S’il faut rendre à César ce qui est à César selon Jésus lui-même, commençons par blâmer les libéraux pour avoir laissé pourrir la situation à ce point. Il y aura onze années en mai que, dans son rapport final, la commission Bouchard-Taylor invitait le gouvernement à produire un livre blanc sur la laïcité, qui aurait servi à définir le concept, à tenter de trouver des consensus, en d’autres termes à commencer par le commencement.
L’incurie des libéraux, si durable, aura finalement coûté très cher au climat social. Pas étonnant, dans ces circonstances, que le premier ministre Legault ait commencé sa récente « adresse à la nation » par un « enfin ! » bien senti, un quasi « Amen », après tant d’années de laisser-aller ou, plus justement, de « rien faire ».
S’il n’est pas parfait ou de conception immaculée, qu’il ne va pas assez loin pour certains ou qu’il va trop loin pour d’autres, le projet de loi sur la laïcité de l’État a plusieurs mérites. D’abord, celui d’être accompagné d’un véritable serment à retirer le crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale. Comment a-t-on pu jusqu’ici justifier pareille incohérence ? Là-dessus, rendons grâce aux caquistes pour avoir privilégié le bon sens face à leurs intérêts purement électoralistes ou clientélistes.
L’inclusion d’une clause de droits acquis pour les personnes visées par l’interdiction de porter des signes religieux au moment de la présentation du projet de loi permet aussi au premier ministre de jouer la carte de la modération. L’évacuation de la dimension « ostentatoire », et par le fait même des rubans à mesurer, s’ajoute à la colonne des plus, tout comme le recentrage du débat sur la laïcité comme telle. Exit donc les pompeuses « valeurs québécoises » et tout le superflu qui accompagnait le projet de charte présenté par le gouvernement Marois.
Comme le rappelaient en 2010 les Intellectuels pour la laïcité menés par Guy Rocher, la laïcité fait partie de l’histoire du Québec, depuis les Lumières jusqu’à la déconfessionnalisation des commissions scolaires en 1998, en passant par la Déclaration d’indépendance des patriotes, en 1838, et la modernisation de la société lors de la Révolution tranquille. Il est de bon ton pour les détracteurs du projet de loi actuel de parler de la laïcité comme d’un concept étranger au Québec, en effaçant un courant pourtant bien présent tout au long de l’évolution de note société distincte en Amérique du Nord. Il est faux — presque blasphématoire — de prétendre que nous avons commencé à parler de laïcité seulement récemment au Québec.
C’est d’ailleurs dans une perspective historique qu’il faut accueillir ce qui ne constitue rien de moins qu’un jalon. Qu’on y pense : c’est la première fois qu’une loi va proclamer en son article premier que « l’État du Québec est laïque » et que la Charte des droits et libertés de la personne sera modifiée pour inclure l’« importance fondamentale que la nation québécoise accorde à la laïcité de l’État » alors que le Canada, lui, est fondé à la fois sur « la suprématie de Dieu et la primauté du droit », deux principes contradictoires.
Pourquoi ne pas situer le débat dans ce courant progressiste ? Ne l’oublions pas : aussi importante que soit la question de l’interdiction du port des signes religieux, elle n’est pas la raison d’être du projet, ni une fin en soi, mais une conséquence simple et logique de l’affirmation de la neutralité de l’État incarnée par certains de ses agents et de leur nécessaire devoir de réserve pendant les heures de travail.
C’est enfin dans une perspective féministe qu’on peut applaudir le projet de loi sur la laïcité. Dans son avis, publié en 2011, « Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », le Conseil du statut de la femme rappelait « qu’à mesure que l’État s’est dissocié de la religion, les femmes ont progressé sur le chemin de l’égalité ». C’est une incontestable vérité qui se vérifie partout dans le monde et qui vaut aussi pour les communautés LGBTQ +.
Tout cela pour dire qu’il existe ici, et depuis fort longtemps, une gauche laïque et progressiste. Alors, quand les néo-marxistes de Québec solidaire décident fort curieusement d’embrasser le religieux sans retenue et sans nuances, on a vraiment envie de citer à nouveau Jésus: « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ».