Que va-t-il se passer en Belgique?

Chronique de José Fontaine


Un gouvernement dit “intérimaire” a été mis en place, sans qu’il ait de programme, ce qui est tout à fait inhabituel. Il peut prendre des mesures d’urgence qu’un gouvernement démissionnaire ne peut pas prendre. C’est peut-être d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle il s’est mis en place. Dans notre démocratie parlementaire, lorsque les élections ont eu lieu, il se passe un certain temps avant que le gouvernement que l’on peut former en fonction des résultats électoraux se mette en place (car il faut former des coalitions et que les partis qui y souscrivent se mettent d’accord sur un programme, le leur étant différent des autres partis avec lesquels ils s’allient).
Mais ici, depuis le 10 juin, aucun gouvernement ne se mettait en place, et six mois de vacance du pouvoir, cela, on ne l’avait jamais vu. Mais cela peut être dû au fait que même sans gouvernement, la Belgique continue à être gérée en quelque sorte par le haut (la monnaie est européenne) , et par le bas: les gouvernements des Etats fédérés.
Le programme du gouvernement intérimaire
Ce gouvernement va mettre en route un programme économique et va mettre en route un programme de réforme de l’Etat. Deux importants ministres sont chargés de cela. En mars il démissionnera et sera remplacé par un gouvernement disons définitif. Mais les élections dites régionales (c’est-à-dire dans les Etats fédérés) auront lieu à la mi-2008 et la proximité des élections gêne toujours le travail d’un gouvernement à cause des surenchères.
Jusqu’où ira cette réforme de l’Etat? Fatalement plus loin en faveur des Etats fédérés. Or ceux-ci peuvent être considérés comme exerçant un peu plus de 50% des compétences étatiques qui étaient exercées il y a trente ans encore par le seul Etat belge. Et de plus, les compétences de ces Etats fédérés se prolongent sans restriction sur la scène internationale. Enfin, il n’y a pas hiérarchie des normes en Belgique, les compétences sont exclusives et ce principe n’est pas contredit par le fameux “pouvoir de dépenser” du Canada.
Mauvais état de l’opinion en Wallonie
On a l’impression que les Wallons et les Francophones n’ont accepté finalement cette réforme de l’Etat seulement parce que les Flamands l’ont voulue et seulement parce que leur refus d’y procéder mettait en cause l’existence de la Belgique.
Seulement, si l’on donne de nouvelles compétences aux Etats fédérés, cela va fatalement en enlever à l’Etat fédéral. Dans quelles proportions? J’ai déjà calculé (à la louche), que si les Etats fédérés dépassaient quelque peu les 60% de compétences, alors la Flandre serait un Etat avec un budget plus élevé que l’Etat belge.
On sait que l’existence d’un Etat finit par créer la conscience d’un destin commun, d’une appartenance commune, d’un “nous” constitutionnel.
En apparence aujourd’hui, le “nous” wallon est plus faible que jamais. Les dirigeants wallons ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils ne voulaient pas de nouvelles compétences. Et l’opinion publique wallonne semble travaillée par la peur de voir la Belgique disparaître ou par la nostalgie de son existence.
Même si, il n’y a pas longtemps, les Flamands ont décroché de nouvelles compétences (par exemple sur les pouvoirs locaux), dont seuls les Wallons ont retravaillé - vraiment et de fond en comble - l’exercice: ce qui prouverait que leur inappétence à la liberté n’est pas si évidente que cela.
Economiquement, la Wallonie, quoique en retard sur la Flandre, peut être considérée comme allant bien: le nombre de chômeurs y a fortement diminué et la croissance y dépasse (très légèrement) celle de la Flandre depuis 2000.
Pourtant, plus aucune voix autorisée ne s’exprime sur ce que la Wallonie aurait à gagner en acceptant de nouvelles compétences. “Il vaut mieux se gouverner soi-même que d’être bien gouverné”, dit le bel adage écossais. On ne sent aucun frémissement à cet égard, ni dans la classe politique, ni dans la population.
Le désenchantement de la post-modernité?
C’est peut-être typique de ce que l’on appelle la post-modernité, à savoir le scepticisme à l’égard des grands projets collectifs. D’une certaine façon, d’ailleurs, si les Flamands ont un projet, c’est quand même de prendre de nouvelles compétences pour gérer comme ils l’entendent et au bénéfice de leur prospérité de nouvelles compétences.
Fatalement, côté wallon, on ne peut pas faire de tels projets et ce qui semble envisagé c’est que de nouvelles libertés pourraient coûter cher. Mais de ce point de vue, le “projet” flamand et le “projet” wallon se ressemblent: on veut plus, ou on le veut pas, non pas avec un projet de société mais pour être plus riche ou ne pas devenir plus pauvre. Des deux côtés, on ferait sans doute bien de s’interroger sur le fait de savoir si le seul rêve de devenir plus riche ou de ne pas devenir plus pauvre est suffisant pour former une vraie Cité humaine. Personne, par exemple, parmi les dirigeants wallons, ne se rend compte que les hypothèses que l’on fait et dont je viens de parler sont très humiliantes pour le peuple wallon, sans cesse confronté à la plus grande richesse d’un autre et à la perspective de dépendre d’autrui (que cela soit la Flandre, la Belgique ou, pour les réunionistes, la France).
Dans cet état d’humiliation des Wallons, on évoque même, comme je le disais la fois passée, les torts de l’Etat belge mais à l’égard des seuls Flamands, alors que ce n’est pas polémique de dire que les Flamands ont réussi aussi parce qu’ils ont mis l’Etat belge à leur service, réclamant par exemple dans plusieurs domaines qu’aux aides consenties à la Wallonie dans ses difficultés économiques ou sociétales (la sidérurgie dans les années 1980, l’enseignement dans les dernières décennies), correspondent de sommes plus ou moins équivalentes à verser à la Flandre qui n’en avait pas besoin autant. Cela crée des déséquilibres qui font, par exemple, qu’un enseignant wallon est payé de 15 à 20% moins qu’un enseignant flamand alors qu’il y a 15 ans ils recevaient le même traitement. Que les Wallons finissent par apparaître comme des perdants, je ne sais pas à qui on doit le reprocher, mais ce n’est quand même pas un hasard si c’est le cas et, au moins dans ce domaine, les dirigeants wallons peuvent être considérés comme totalement incompétents.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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