Premier Canada

Tribune libre - 2007


À : [Monsieur Nicolas Rodrigue ->9073]

Des Français

qui deviennent - des habitants

des Canadiens

des Québécois

***
Cher monsieur Rodrigue,



En résumé, dans le Premier Canada, (1608-1760-1763), le groupe ethnique québécois composé en grande partie des habitants qui vivent en dehors notamment des deux villes du 1er Canada, (Québec et Montréal), se particularise assez vite et s’éloigne du mode de vie et du type français de société.

Le Père Charlevoix, (Père François-Xavier CHARLEVOIX, s. j. (1682-1761),

Le père François-Xavier Charlevoix séjourna d'abord à Québec, de 1704 à 1709, à titre de professeur. Il y revient en 1720, envoyé par le gouvernement royal, pour étudier les limites de l'Acadie. Il parcourt l'Amérique en tout sens. Il fut le premier à écrire une histoire du Canada qui ait quelque valeur, Histoire et description générale de la Nouvelle France, 1744). Son témoignage est intéressant, car il distingue nettement les «François canadiens» et les Français de France.

décrit ainsi la vie du Canadien :
« Chacun possède ici le nécessaire ; on paie très peu au roi ; l’habitant ne connaît pas la taille ; le pain est bon marché ; la viande et le poisson ne sont pas chers non plus : mais le Vin, l’étoffe et toutes les choses qui viennent de France voûtent très cher. Les gentilshommes et les officiers qui n’on que leur solde et chargés de famille sont ceux qui en souffrent le plus. Les femmes n’apportent ordinairement en dot à leur mari que leur esprit, leur amour, leurs charmes et une grande fertilité ; Dieu bénit les mariages de ce pays comme ceux des patriarches… nous ne connaissons de climat plus sain dans le monde ;
il n’y a pas de maladie particulière au pays ; la campagne et la forêt sont remplis de remèdes merveilleux et les arbres donnent des baumes puissants. Tous ces avantages devraient au moins retenir ici tous ceux que la Providence y a fait naître, mais la frivolité, la répugnance à s’astreindre à un travail assidu et régulier et l’esprit d’indépendance ont contribué au départ de plusieurs jeunes hommes et ont empêché le pays de se peupler. »

Le Père Charlevoix mentionne ensuite un facteur impondérable qui a dû jouer un rôle peu négligeable dans la transformation des Français en Québécois : l’influence indienne sur la société naissante.

S’il est vrai, d’une part, que les traces de l’influence de la culture indienne sur la colonie sont minces en ce qui a trait à la culture intellectuelle, on pourrait, d’autre part, en déceler de plus importantes sur le genre de vie lui-même. Les Indiens du Nouveau Monde étant parfaitement adaptés au pays, ils n’ont pas pu ne pas influencer les colons canadiens et ne pas leur transmettre un peu de ce goût pour les grands espaces et la vie libre.

La plupart des chroniqueurs rapportent que les Québécois et les Indiens de l’est se sont toujours très bien entendus ; l’attitude générale que les Québécois ont adoptée envers les Indiens, si différente de celle des Anglais, prouve une certaine sympathie de part et d’autre. Il faut rappeler que les mariages entre Indiens et Blancs ont toujours été plus nombreux chez les Français que chez les Anglais.

Le Père Charlevoix, énumérant les défauts des Canadiens, dit qu’ils sont aussi ceux des Sauvages.
« Il semble, dit-il, que l’air que l’on respire sur ce continent contribue à l’acquisition de ces défauts, mais l’exemple et les habitudes des aborigènes, qui mettent tout leur bonheur à être libres et indépendants, sont plus que suffisants à faire naître ce caractère. »

Le jésuite signale que les Canadiens aiment à bien s’habiller même s’il leur faut sacrifier les plaisirs de la table. Il compare le colon canadien à son voisin anglais :
« Le colon anglais amasse des richesses et ne fait aucune dépense superflue ; le colon Français dépense ce qu’il a et fait parade souvent de ce qu’il n’a pas ; le premier travaille pour ses héritiers ; le dernier laisse les siens dans le même besoin où il est, les laisse se débrouiller eux-mêmes. L’Américain britannique déteste la guerre parce qu’il a beaucoup à perdre ; il ne tracasse pas les Sauvages parce qu’il n’en voit pas le besoin. Le jeune Français, au contraire, n’aime pas la paix et s’entend bien avec les indigènes dont il gagne facilement l’estime et l’amitié. »

Que conclure sur le Régime français, (1608-1760-1763), sinon que les colons français étaient en passe de devenir des Québécois, que le type de société qu’ils formaient avait évolué au point que même les prêtres canadiens ne pouvaient plus s’entendre avec leurs collègues français.

En 1730, Mgr Dosquet, (Mgr Pierre-Herman Dosquet, (1691-1777), évêque de Québec de 1734 à 1739), se plaindra de l’esprit audacieux et indépendant des prêtres canadiens. Ils sont devenus si insolents, ajoute-t-il,
« que seulement trois d’entre eux suffisent pour devenir les maîtres du pays et pour soumettre tous les évêques… Les chanoines ne veulent pas reconnaître de lois, de statuts, ni mêmes de supérieurs. Ils traitent leur doyen comme un inférieur et leur évêque comme un égal ».

À la fin du Régime français, (1608-1760-1763), qui devait se terminer en 1760 par la Conquête britannique et en 1763 par la Cession de la Nouvelle-France à l’Angleterre, on constate qu’une nation nouvelle est en train de prendre racine en terre d’Amérique.

Les Français, devenus peu à peu des habitants québécois, commencent à manifester certains traits de mœurs et de caractère qui les différencient de plus en plus des Français métropolitains (de Paris, de France). Bougainville, (1821-1895), qui vint à Québec en 1756, (à l’âge de 35 ans), comme aide de Montcalm, dira que le Canadien
« est haut, glorieux, menteur, obligeant, affable, honnête, infatigable pour la chasse, les Courses, les voyages qu’ils font dans les pays d’en haut, (les pays d’en haut : les Grands Lacs, et les territoires à l’ouest des Grands Lacs), paresseux pour la culture des terres. »

Il nota qu’ « il se consomme extrêmement d’eau-de-vie »
Et qu’ « qu’on est peu occupé de l’éducation de la jeunesse, qui ne songe qu’à s’adonner de bonne heure à la chasse et à la guerre… Il faut convenir que malgré ce défaut d’éducation, les Canadiens ont de l’esprit naturellement ; ils parlent avec aisance ; ils ne savent pas écrire, leur accent est aussi bon qu’à Paris, leur diction est remplie de phrases vicieuses empruntées à la langue des sauvages ou des termes de marine, appliquées dans le style ordinaire. »

Bougainville constatera qu’existent des différences grandissantes entre Français et Québécois :
« Il semble, écrit-il, que nous soyons d’une nation différente, ennemie même. »

Au moment donc où les Québécois vont être laissés à eux-mêmes dans la vallée du Saint-Laurent, ils forment déjà un groupe distinct des Français. On doit noter que, sous le Régime français, (1608-1760-1763), les classes sociales sont moins marquées ici qu’en France.

Le seigneur du Premier Canada, le Canada de Nouvelle-France, est un entrepreneur qui a pour fonction d’établir des habitants sur les terres qui lui sont concédées par l’État. Il reste près de l’habitant.

On notera aussi qu’à cause de la concession d’un grand nombre de seigneuries aux habitants, ces derniers deviennent eux-mêmes des seigneurs. L’habitant acquiert une certaine mobilité sociale qui en fait un type social assez différent du paysan français. Si le seigneur est un peu habitant, l’habitant est lui-même un peu seigneur.

Puis vint la guerre de sept ans (1755-1763) :

1759
Les troupes anglaises assiègent de nouveau Québec. Les Anglais prennent possession de l'île d'Orléans le 27 juin 1759. Des bombardements s'échangent tout au cours de l'été jusqu'au jour fatidique du 13 septembre 1759 : à 2 heures du matin, James Wolfe et ses 4 000 soldats débarquent à l'Anse au foulon et réussissent à tromper une sentinelle française. Vers 4 heures, ils sont installés sur les plaines d'Abraham en deux rangées et attendent patiemment les Français.
Entre 9 et 10 heures, les 3 500 soldats français, miliciens canadiens et amérindiens engagent le combat contre les Anglais. En moins d'une demi-heure, l'armée française est défaite. Wolfe meurt sur le champ de bataille et Montcalm est gravement blessé (il succombera à ses blessures le lendemain).

Les Français (M. de Lévis), et les Canadiens (le gouverneur canadien Vaudreuil) (Canadiens, Canadiens-Français, aujourd'hui Québécois, donc le gouverneur québécois Vaudreuil) tentent de reprendre Québec au mois de mai. Ils remportent la « bataille de Sainte-Foy » et assiègent les Anglais.

L'arrivée des premiers renforts décidera du vainqueur. La première frégate à jeter l'ancre devant Québec porte l'Union Jack. Les Français capitulent quelques mois plus tard.


La Conquête devient officielle par le Traité de Paris le 10 février 1763,
et la Nouvelle-France (l'Acadie et le Canada (le Canada = le Premier Canada, le Canada (français)) est cédée aux Anglais.

James Murray, d'origine écossaise, devient le premier gouverneur anglais de la province de Québec, le 21 novembre 1763.

1763. NAISSANCE DU DEUXIÈME CANADA : LE CANADA-ANGLAIS

1763 : on peut fixer à 1763 la date de naissance du deuxième Canada, le Canada-Anglais, une autre colonie anglaise, s'ajoutant aux 13 autres colonies anglaises, en Amérique du Nord.

Revenons à ces habitants qui, après la Conquête, (1760-1763), continueront la nation québécoise.

Citons ce texte tiré du premier roman canadien, dans le 2e Canada, le Canada Anglais, Histoire d’Émile Montague, de Frances Brooke, (l’édition anglaise date de 1769 et la version française de 1770) :
« Il est rare de voir des paysans marcher à pied. Ce serait même une fatigue insupportable pour eux que de monter à cheval : à l’imitation de leurs seigneurs qui, aussi lâches et aussi paresseux, ils se penchent nonchalamment, selon la saison, dans un traîneau ou dans une chaise. Ils ne se donnent pas même la peine de conduire la voiture. Un domestique assis sur le siège mène le cheval. »

La romancière ajoute en parlant des habitants :
« Il n’y a, peut-être, point d’hommes plus vains. Les François leur paraissent le seul peuple Civilisé qu’il y ait au monde ; mais ils se regardent comme la fleur de la Nation. On m’a assurée qu’ils avaient eu une aversion et un mépris extrêmes pour les troupes françoises qui vinrent à leur secours pendant la dernière guerre. »

La baronne de Riedsel observe les mœurs des habitants peu après la Conquête :
« La campagne que j’ai traversée est très pittoresque. Chaque habitant a une bonne maison qu’il prend grand soin de chauler chaque année. Comme les fils, et aussi les gendres, dès que mariés, se construisent, près de leurs parents, de très jolies paroisses, croissent rapidement autour d’eux, et voilà pourquoi ces gens se sont donné le nom d’habitants plutôt que paysans. »

Ce sont ces habitants qui, après la Conquête, continueront la nation québécoise.




Salutations respectueuses, cher monsieur Rodrigue,


John Metcalfe


Laissez un commentaire



2 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    27 septembre 2007

    Monsieur Metcalfe,
    Volà encore un document ambigü. L’an dernier, vous avez pondu : « Pourquoi désirer, vouloir l’indépendance? » Plusieurs pages de profondes cogitations qui nous mènent à la conclusion que «… et l’action par soi développent, enrichissent, épanouissent… Désirer l’indépendance pour affronter ses problèmes, les résoudre soi-même, et en tirer expérience, dynamisme, richesse d’être, liberté. »
    Je m’imagine servir cet argumentaire aux jeunes loups qui ont sauté la barrière linguistique, qui prennent l’avion à chaque semaine pour représenter leur multinationale suédoise, par fierté compétitive envers leurs collègues gradués de Concordia… « …dynamisme, richesse d’être, liberté… »
    Par contre, là où votre texte les accrocherait peut-être, c’est dans un passage qui se veut pourtant négatif dans la défense de votre thèse :
    « On peut concéder que, du point de vue de l’épanouissement individuel, il est souvent préférable pour certaines nations arriérées d’être bien annexées à une nation plus dynamique puisque la valeur de la vie individuelle est liée à la valeur de la vie collective… accepter lucidement, se laisser glisser vers l’assimilation, sont des options qui peuvent se justifier… cette assimilation est même une source de bienfait… elle permet à la nation assimilée d’échapper à la médiocrité économique, politique et culturelle de la nation provinciale. D’où la tentation, très explicable, de tout milieu annexé, d’aspirer à l’assimilation, de proposer cette assimilation… Même que le processus de fusion, en ce qu’il a permis dans le passé l’édification de grandes civilisations, apparaît comme l’un des principaux facteurs de progrès de l’humanité. Si chaque groupe ethnique avait respecté son voisin, selon la morale et le droit, l’humanité serait composée d’une mosaïque de clans, de tribus, et de villages souverains et peu évolués… »
    De quel côté sommes-nous le plus convaincant?
    Quand l’idée de nation a perdu son sens…
    Qui saura revaloriser notre différence?

  • Archives de Vigile Répondre

    27 septembre 2007

    Quel magnifique résumé "in a nutshell" de ce que "NOUS" sommes, Monsieur Metcalf !
    Nous en sommes rendu au point de dépendre de l'Anglais pour apprendre notre véritable histoire!
    Merci de tout coeur.
    Êtes-vous l'écrivain, John Metcalf, né à Carlisle, England, émigré au Canada en 1962 ?
    Toute ma gratitude.