Réplique à "Le danger de mêler religion et politique"

La haine de soi

Est-ce qu’un État québécois provincial, laïc, et neutre, peut conserver son patrimoine religieux architectural de son histoire, sans en construire d’autres dans l’espace public, et demeurer un État provincial québécois laïc, et neutre ?

Tribune libre 2012


Cher monsieur Ouedraogo,

(...) J’ai lu avec beaucoup d’intérêt et de plaisir votre lettre de ce vendredi 17 août 2012.
Selon vous, madame Djemila Benhabib porterait en elle une haine de soi, observée chez les Juifs, et ce serait dans le cas de madame Djemila Benhabib une version musulmane de la haine de soi observée chez les Juifs.
Je me suis demandé, si vous-même, monsieur Ouedraogo, ne porteriez pas en vous une haine de soi, une version africaine, d’un endroit, en Afrique, à déterminer.
Je n’oserais pas m’exclure, moi-même, Québécois faisant partie de la société, collectivité québécoise, de cette haine de soi, phénomène observé notamment chez des Juifs célèbres.

« Jüdische Selbsthass », la haine de soi
Le 4 octobre 1903, le jeune et brillant écrivain juif Otto Weininger, (1880-1903), fut retrouvé inconscient, allongé sur le sol, dans la chambre qu’il avait louée la veille dans la maison du 15 Schwarzspanierstrasse, à Vienne, maison où Beethoven, (1770-1827), avait vécu ses derniers jours. Weininger s’était tiré une balle en plein cœur. Emmené à l’hôpital, il décéda quelques heures plus tard. Son suicide, à l’âge de 23 ans, ajouta encore à sa célébrité précoce et suscita aussi une vague de suicides par imitation. Weininger était le cas le plus connu de Juif atteint d’une maladie très particulière, qui fut désignée plus tard comme la « haine de soi juive ».
C’est le philosophe juif allemand Theodor Lessing, (1872-1933), qui créa l’expression « Jüdische Selbsthass » - haine de soi juive – pour décrire ce phénomène bien particulier, affectant une partie de l’intelligentsia juive européenne au début du siècle dernier. Dans un livre paru en 1930, Lessing décrivait six cas de Juifs atteints de haine de soi caractérisée, sous sa forme la plus aiguë, qui les conduisit presque tous au suicide. Le plus célèbre parmi eux est Otto Weininger, qui se suicida un an après s’être converti au protestantisme.

Le cas de Weininger, (1880-1903), est particulièrement frappant, et mérite qu’on s’y arrête. Le jeune philosophe, auteur du livre à succès Sexe et caractère, eut une influence marquante sur plusieurs intellectuels célèbres, parmi lesquels Ludwig Wittgenstein, (1889-1951), Franz Kafka, (1883-1908), ou Franz Musil (1880-1942). On prête à Adolf Hitler, (1889-1945), cette boutade sinistre, au sujet de Weininger : « Il n’y avait qu’un seul Juif honnête, et il s’est suicidé ». Selon une des explications, Weininger, (1880-1903), aurait voulu échapper définitivement à sa condition juive, ayant expliqué dans son livre que le christianisme était « la plus haute expression de la foi », tandis que le judaïsme était à ses yeux la « forme extrême de la couardise… ». Il attribuait à l’influence juive la décadence de son époque, ce qui explique que les nazis eurent utilisé certains extraits de son œuvre dans leur propagande.

Du pathologique au politique

Si Otto Weininger, (1880-1903), est le spécimen le plus achevé de la haine de soi juive sous sa forme extrême et suicidaire, il est loin d’être le seul. Paul Giniewski, qui a consacré un livre à la philosophe Simone Weil, (1909-1943), elle aussi touchée par cette maladie, passe en revue plusieurs Juifs célèbres atteints de haine de soi. Rachel Levine-Varnhagen, (1771-1832), femme de lettres juive allemande, avait pour « aspiration centrale de se dépêtrer de son judaïsme », selon sa biographe Hannah Arendt, (1906-1975), (qui avait elle-même un rapport ambigu au judaïsme et à Israël). Varnhagen ira jusqu’à écrire, à propos de sa judéité : « Jamais, à aucune seconde, je n’oublie cette infamie. Je la bois dans l’eau, je la bois dans le vin, je la bois avec l’air, à chaque respiration ». Elle dira encore que « le Juif doit être exterminé en nous, même au prix de nos vies ». Giniewski, (1926-2011) compare Varnhagen, (1771-1833), à Simone Weil, (1909-1943), elle aussi atteinte de haine de soi, de manière explicite : « Mon attitude envers moi-même est un mélange de mépris, de haine et de répulsion ».
Plus près de nous, les cas de Juifs atteints de haine de soi sont nombreux, même s’ils poussent rarement leur maladie jusqu’au suicide.
On les voit plutôt sur les plateaux de télévision ou les chaires des universités, appeler au boycott d’Israël (comme le rédacteur en chef du supplément littéraire du journal Haaretz), signer des pétitions pour la Palestine ou contre l’armée de défense d’Israël… Si la haine de soi juive a pris aujourd’hui des formes différentes de celles analysées il y a 80 ans par Theodor Lessing, (1872-1933), c’est qu’elle est devenue un phénomène politique collectif plus qu’une pathologie individuelle.

La haine de soi, au Québec, Nouvelle-France, dite Canada
Et c'est aussi cette haine de soi pathologique qui explique le comportement délirant de certains(es) "Québécoises, Québécois, de langue française" au Québec.
Quand un Québécois écrit dans les colonnes d’un journal québécois de langue française qu'il faut "effacer les crucifix des murs de nos institutions publiques", il fait preuve d'une haine de soi qui apparaît bien dans leurs lignes. En fait de "crucifix", ce ne sont pas ceux des Québécoises, Québécois, de langue française qui emprisonnent la mémoire, mais plutôt ceux de notre refus d'assumer la condition québécoise, et son choix de rejoindre, pour échapper au destin collectif de son peuple, le camp des bourreaux de notre mémoire collective.
De 1608 à 1760. L’Église catholique romaine a fait partie de l’Histoire du Québec, Nouvelle-France, dite Canada, à partir de 1608. Avec des Croix, des Crucifix, des hôpitaux, des écoles, dont l’Église catholique romaine québécoise (canadienne française), de langue française a eu la mission, sous la colonie française, d’abord. Puis sous le régime anglais, à partir de 1760.
De 1760 à 1840. Le Conquérant britannique, (Anglais, Canadien Anglais), s’est emparé avec la Conquête de l’économie québécoise et du politique québécois. Seul le clergé, les prêtres, frères, sœurs des communautés religieuses ont échappé à cette prise en charge. Parce que les Britanniques étaient Protestants, et ne pouvaient nommer à la tête des évêchés et communautés religieuses des anglophones, ceux-ci n’étant pas catholiques.
Avant la révolution de 1837-1838, les Québécoises, Québécois, de langue française (Canadiennes Françaises, Canadiens Français), qui ne pratiquaient pas leur religion catholique romaine étaient dans une proportion d’environ 65-66%. Cela se vérifie, car c’est environ la proportion qui ne faisaient pas leurs Pâques, annuellement : se confesser et communier durant le Carême ; les hosties et les confessions étaient comptabilisées, vous pouvez retrouver ces statistiques notamment à l’archevêché de Montréal.

De 1840 à 1960-1970. Après la révolution de 1837-1838, mâtée par le fer et le feu, répression très cruelle, je vous évite les détails, spontanément, tout le peuple québécois (ou presque) spontanément s’est mis à devenir pieux, à aller à l’Église, faire ses prières, etc. Cela commence en 1840, avec l’Acte d’Union, où les Québécoises, Québécois, de langue française, (Canadiennes Françaises, Canadiens Français), étaient annexés(es) au Canada Anglais, minorisés(es), provincialisés(es).
L’Église catholique romaine québécoise a continué de plus belle à occuper tout le champ social, paroisses, écoles, hôpitaux, etc. Cela a duré jusqu’en 1965-1970.
De 1840 à 1965-1970 : La Grande Noirceur. La Grande Noirceur, si Grande Noirceur il y a, ça ne commence pas avec Maurice Duplessis de 1936 à 1939 et de 1944 à 1949, non. Ça commence en 1840 et ce jusqu’en 1965-1970. Soit 130 ans durant, (130 divisé par 30 = 4 générations, dont le crucifix de l’Assemblée nationale).
De 1970 à 2012. Si madame Djemila Benhabib porte en elle la haine de soi, probablement une version musulmane, comme vous dites, je me suis demandé si vous ne portiez pas vous aussi, une haine de soi, très respectueusement, une haine de soi, version africaine à déterminer. Et nous, nous aussi, Québécoises, Québécois, de langue française, portons-nous, nous aussi, une haine de soi, version Québécoises, Québécois, de langue française.
La haine de soi, au Québec de langue française. Pourquoi voulons-nous, voudrions-nous, faire disparaître de l’espace public, ou détruire, une partie de notre patrimoine architectural, historique, religieux, catholique romain, québécois, qui a occupé une place si importante, sociale, économique, politique, culturelle, dans notre devenir québécois,
notamment de 1608 à 1760, (plus d’un siècle et demi, plus 5 générations), notamment de 1760 à 1840, (80 ans, soit 3 générations de plus, total : 8 générations), de 1840 à 1965-1970, (130 ans de plus, soit 4 générations de plus) depuis les débuts du Québec, Nouvelle-France, dite Canada, 1608, jusqu’en 1965-1970, soit plus de 360 ans, c’est-à-dire, les 12 générations qui précèdent 1970 (il y a 42 ans, soit 2 générations, ce n’est pas si loin) ?
Est-ce que cela ne ressemble pas étrangement à la haine de soi, Québécoise, Québécois, de langue française ?
Est-ce qu’un État québécois provincial, laïc, et neutre, peut conserver son patrimoine religieux architectural de son histoire, sans en construire d’autres dans l’espace public, et demeurer un État provincial québécois laïc, et neutre ?
La réponse est OUI.
Est-ce qu’un État laïc, neutre, qui serait Égyptien, Grec, comme nous qui sommes Québécoises, Québécois, de langue française, favorables à un État, de langue française, laïc et neutre, devraient pour ce faire, déplacer, ou détruire, tous les symboles religieux de son histoire passée, toutes les statues, égyptiennes, grecques, les monuments, les représentations passées dans l’espace public, des dieux, et croyances, du passé ?
À défaut de quoi… on ne vivrait pas dans un espace public moderne laïc et neutre ?
Oui, la haine de soi, nous habite au Québec, et elle a été intériorisée dans de très nombreuses occasions au cours de notre histoire québécoise sous la coupe des Britanniques, des Canadiennes Anglaises, Canadiens Anglais, du Canada Anglais, à l’intérieur duquel nous avons été annexés(es), minorisés(es), provincialisés(es), avec tous les effets qui s’ensuivent sur notre esprit, notre psyché, notre mentalité, et notre culture.
Je doute que madame Djemila Benhabib en porte, en ellle, une version musulmane de la haine de soi.
Il se peut que vous-mêmes, monsieur Ouedraogo, portiez en vous une version africaine, (héritage d’un endroit à déterminer), de la haine de soi.
Chose certaine, les Québécoises, Québécois, de langue française, à les observer réfléchir, et réagir, devant les symboles religieux de leur patrimoine historique religieux catholique romain, vestiges du passé, notamment devant un Crucifix, qui est là depuis avant 1965-1970, chose certaine, l’hypothèse de la haine québécoise de soi, en soi, bien intériorisée, se vérifie sans trop de difficulté.
Habité par la haine de soi, souhaitant et appelant une État québécois, laïc, et neutre, tout en conservant les symboles de mon histoire québécoise, sans vouloir en repousser des parties dans l’ombre,
salutations respectueuses, monsieur Ouedraogo,

Bonne journée,
JM

***
Monsieur Echraf Ouedraogo – Démographe
_ et Conseiller en immigration à la ville de Québec

LETTRE À MA SŒUR DJEMILA BENHABIB
_ Le danger de mêler religion et politique
_ Le Devoir (opinions)
_ le vendredi 17 août 2012


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2 commentaires

  • Mario Boulet Répondre

    18 août 2012

    Monsieur Metcalfe,
    Il m'a fait plaisir de lire votre texte. Est-ce que les Québécois possèdent une haine de soi, je ne crois pas.
    Otto Weininger s'est suicidé après être passé du judaïsme au christianisme. Je n'en sais que peu sur cet individu. Est-ce que l'on peut tenter de faire un lien avec ce qui se passe au Québec et sa laïcité de ses instutions, ça je ne sais pas. Je ne crois pas.
    Le seul danger de devenir un état laïc, est que nous laissons une énorme place vide à un prochain règne religieux. D'autres prendront cette place disponible si on ne sait pas bien définir notre laïcité. Je n'aimerais pas que d'ici plusieurs dizaines d'années, que nous puissions remplacer le crucifix par un boudda ou mahomet. Si nous affirmons qu'il devra rester laïc, laissons-le laïc. Ordonnons-le même!
    Pour ma part, mes croyances religieuses sont à milles lieux du sujet présent. Par contre, je m'intéresse grandement aux religions diverses.
    Concernant ce qui s'est passé au Québec, ce sont plutôt des frères missionnaires (Récollets, Jésuites, etc.) et des soeurs missionnaires (Notre-Dame, Soeurs grises, etc.) qui vinrent implanter les assises. Ce n'est pas Rome qui envoya des prêtres et curés. Ce fut plutôt des missions.
    Hors, l'Église joua un grand rôle comme vous le mentionnez. Je vous ferai remarquer que les historiens s'accordent à dire qu'autant que l'Église nous a protégé, autant elle nous a empêché d'avancer. N'oubliez pas que Lucifer signifie en latin le « Porteur de lumière ». L'Église, de tout temps, même en Europe, n'était pas très friande à l'idée de laisser les esprits libres « vagabonder ». Ceux qui posait trop de questions étaient honnis. Ceux qui trouvaient des réponses également. Il fallait se fier uniquement sur la Parole de Dieu. L'Église joua un grand rôle, tel un carcan sur chaque tête de ses troupeaux.
    Après la Conquête de 1760, l'Église catholique romaine eut peur de perdre son contrôle, voire même de périr. Rappelons-nous ce qui se passa en Acadie en 1755. La population de ces régions durent prêter allégeance à la Reine et au protestantisme pour ne pas perdre la vie. Ils ont même du renier leur langue. Après 1755, il y a eu l'exode de milliers d'Acadiens vers le Québec et vers plusieurs états américains.
    Hors, la guerre de 7 ans entre la France et l'Angleterre appauvrit la Reine. En 1763, les deux nations signèrent le Traité de Paris qui concéda la Nouvelle-France aux Anglais entre autres. En revanche, il fallait que l'Angleterre fasse attention aux colons restants qui n'avaient pas pu regagner la France.
    Puis, à cause que l'Angleterre devait se « refaire », elle imposa des taxes et impôts supplémentaires à ses colonies américaines. De plus, ces colonies ne devaient plus exporter autant vers l'Europe. Ces colonies se révoltèrent. En 1773, il y eut l'évènement du Tea Party (Tea signifiant « Taxed Enough Already »). Hors, déjà quelques années auparavant, les américains tentèrent de s'emparer du Canada. Les Anglais craignant de perdre, ils signèrent des accords supplémentaires avec les colons français, aussi bien dire avec l'Église. L'Église avait encore plus peur de l'invasion des Américains car ils ne pratiquaient pas du tout la même religion et parlaient pas la même langue.
    Alors, l'Église, prête à conserver ses acquis en Amérique, prêcha pas seulement la parole de Dieu, mais eut un rôle déterminant pour empêcher les colons français de se révolter contre la couronne britannique. Ça les gens ne savent pas tellement. Ce qu'ils savent ce sont les cas d'agressions sexuelles sur des mineurs, des saouleries avec du vin de messe à leur presbytère, d'une mère partie trop rapidement à cause qu'il fallait qu'elle enfante un 12e enfant (sans oublier ses 4 fausses couches), etc.
    L'Église a été dure pour contenir ses ouailles. C'est probablement pour cela qu'elle ne bénéficie pas du capital de sympathie qui semble passer pour la haine de soi.

  • Archives de Vigile Répondre

    18 août 2012

    Le fédéralisme à tous prix est justement la haine de soi de son peuple et de ses ancêtres de sa religion et de son patrimoine donc de son histoire.
    Le colonialisme est une maladie mentale mortelle
    MICHEL