Pourquoi s'est-on arrêté à exactement 50%?

Chronique de Jean-Jacques Nantel

Après tout le travail, l’énergie et l’argent investis pendant cinquante ans pour réaliser l’indépendance du Québec, comment se fait-il que sa progression dans les intentions de vote se soit arrêtée à exactement 50% pour ensuite s’inverser? Pourquoi cela ne s’est-il pas produit à 10, 20 ou 40%? La réponse est simple : c’est parce que, dans notre débat national, les adversaires étaient de connivence pour gagner du temps et, donc, pour nous faire perdre le nôtre.
Il n’y a pas eu complot, mais communauté d’intérêts; c’est-à-dire que les fédéralistes avaient intérêt à attendre que le jeu de la démographie fasse fondre notre majorité alors que les leaders souverainistes avaient intérêt à étirer leur temps de glace en exploitant la ferveur patriotique de leurs supporters lors de chaque nouvelle élection. Comme il n’était plus possible, après 1995, de gagner du temps en continuant à faire la promotion de l’option – car elle aurait pu passer la barre fatidique de 50% et obliger nos leaders à faire leur travail – ces derniers ont simplement arrêté d’en parler pour déclarer qu’il fallait attendre l’apparition miraculeuse de ¨conditions gagnantes¨. Le mot clé ici était ¨attendre¨.
Y-a-t-il eu trahison? Non, simplement un total manque de courage. Voilà pourquoi le pauvre Lucien Bouchard a sauté sur le premier prétexte venu pour ne pas faire de référendum en 1998 alors qu’il connaissait parfaitement bien les tendances démographiques du pays. Il en va de même de Pauline Marois qui, au lieu de profiter de l’opportunité que l’histoire lui offre de devenir la mère de l’indépendance, essaie de se faufiler en tête des sondages en tenant un discours conçu, non pour faire avancer la cause, mais pour plaire à toutes les clientèles électorales.
Bien sûr, si le projet souverainiste est devenu aussi populaire, c’est parce qu’il existe vraiment un problème entre le Québec et le Canada. Si, à l’inverse, il est aujourd’hui en péril, c’est à cause de l’immigration massive qui nous arrive d’un tiers-monde en état de crise. Les deux courants s’affrontent; le plus puissant faisant reculer le plus faible; un peu comme cela se produit quand une marée océanique fait refluer les eaux d’un grand fleuve.
Malgré cela, il y a des raisons de croire qu’après s’être opposés, les deux courants vont finir par se confondre et par redescendre la même pente à l’unisson au moment du jusant; c’est-à-dire quand l’histoire aura passé sur notre époque et que la crise qui commence aura métamorphosé le monde auquel nous sommes tous habitués. Il se pourrait, par exemple, que l’invasion subie par le Montréal métropolitain soit seulement temporaire. On connaît en effet l’incapacité séculaire des immigrants à s’installer durablement au Québec à cause de son climat désagréable et coûteux et de la présence de deux langues complexes à apprendre. Il faut aussi tenir compte de l’inconfort que créera l’inévitable réaction de rejet d’une population angoissée, de la pauvreté croissante du territoire qui encouragera les redéparts et, surtout, du fait que tous les peuples mettent présentement les bouchées doubles pour rattraper en quelques années la dénatalité québécoise.
Un monde interdépendant
On raconte que, lors de la première orbite lunaire de la mission Apollo 8, la première qui ait permis à des humains de contourner notre satellite, le commandant de la mission, Frank Borman, se serait exclamé en voyant ses deux compagnons tourner leurs caméras vers la Terre : ¨Hey! Nous sommes ici pour photographier la Lune!¨ Jetant un coup d’œil à l’extérieur, il aurait alors subi un choc en voyant que devant lui, juste au-dessus de l’horizon lunaire, flottait la scintillante émeraude sur velours noir qu’on appelle la Terre. Pour la première fois, des hommes jetaient un regard extraterrestre sur le monde où vivait tout le reste du genre humain. Submergé par l’évidence, Borman se serait à son tour jeté sur sa caméra pour prendre les clichés les plus inoubliables de l’histoire.
Exactement comme dans la nouvelle ¨How the Grinch stole Christmas¨, où toutes les péripéties vécues par un peuple de lutins se déroulent à l’intérieur d’un simple grain de neige, l’humanité habite désormais un monde tout petit où tous les peuples s’observent, se critiquent et se copient. Cette situation est tout à fait nouvelle puisque, jusqu’à tout récemment, les différents peuples vivaient non seulement dans des pays lointains, mais dans des temps différents. Chacun évoluait à son propre rythme. Confrontée à un milieu particulier, chaque nation cherchait alors à développer une culture adaptée qu’elle protégeait ensuite contre le changement.
Cette inertie culturelle correspondait bien à la nature primitive de l’être humain qui n’aime pas qu’on perturbe son mode de vie ou ses habitudes de pensée. Quand il a trouvé une manière efficace de produire de la richesse, le citoyen moyen exige de ses gouvernants qu’ils imposent à tous des rites, des coutumes, des conventions et des constitutions dont l’effet est toujours d’empêcher ou de retarder le changement. Le cas le plus patent est celui des religions dont les adeptes assurent la survie en déformant de façon permanente l’affect de leurs enfants à force de répétitions, de récompenses et de punitions. Habitués à raisonner en suivant toujours la même chaîne de réflexes - à tel argument, on répond ceci; à tel autre, on répond cela – les tenants d’une religion ou d’une idéologie vivent toute leur vie dans un monde de certitudes confortables et exigent qu’on punisse sévèrement les hérétiques. Cela n’est guère difficile puisque, pour se débarrasser de leur caquetage, il suffit de les couper en deux morceaux, de préférence au niveau du cou.
Cette attitude de rejet ne change qu’au moment des crises quand les peuples désemparés se voient forcés de se tourner vers les solutions proposées par les esprits non conventionnels. Dans le monde des idées, ceux-ci sont toujours les premiers à s’être arrêtés devant les portes cadenassées par leurs prédécesseurs pour poser cette question lourde de toutes les révolutions : ¨Pourquoi?¨ Habitués à prendre la vérité là où ils la trouvent pour ensuite s’en contenter, ces êtres à part ont été à l’origine de la plupart des découvertes qui ont jadis permis à notre espèce de s’adapter.
La grande nouveauté de l’époque actuelle, c’est que les mass media permettent à tous les peuples du monde de mettre en commun leurs meilleures idées; ce qui a provoqué une synchronisation de leurs modes de vie. En tirant tous dans la même direction, comme au souque à la corde, nos contemporains ont rompu les équilibres environnementaux dont dépend leur survie. A force de maximiser leur population, leurs rendements industriels et leur pollution, ils ont fini par se heurter à des limites physiques infranchissables, notamment au niveau de leur approvisionnement en matières premières (ex : le pic de Hubbert dans le domaine pétrolier).
Même s’ils essaient de le nier, il est évident qu’un environnement planétaire où les espèces, les forêts et les pêcheries sont en régression rapide ne peut absorber la pollution produite par des économies en croissance constante. Certains signes ne trompent pas. Ainsi, depuis 2008, l’Europe, les USA et la Chine ont injecté des milliers de milliards de dollars dans l’économie mondiale sans réussir à la faire redémarrer. Si ces recettes traditionnelles ne fonctionnent plus, c’est clairement parce que quelque chose d’absolument fondamental s’est détraqué. Or, les solutions proposées par les écologistes pour régler nos problèmes actuels consistent presque toutes à faire l’inverse de ce que nous avons fait pendant des milliers d’années. Il est donc évident que les changements nécessaires pour nous adapter seront intellectuellement et socialement très désagréables.
Même si l’humanité était capable de ne pas réagir à la crise par la violence – un énorme ¨si¨ comme chacun sait – les bouleversements sociaux et culturels à réaliser seraient quand même gigantesques. Ainsi, le simple fait de devoir organiser une décroissance généralisée et volontaire de notre monde industriel impliquerait la création d’un gouvernement planétaire dont une des tâches serait de redistribuer plus équitablement la richesse mondiale. Ce seul élément de programme serait hautement impopulaire puisqu’il causerait un appauvrissement massif des actuels pays riches. Parallèlement, chaque gouvernement national se verrait confier la tâche de réduire sa population. Dans les pays surpeuplés, cela voudrait dire de punir les parents ayant plus d’un enfant, comme le fait la Chine actuelle, alors que dans les pays en état de dépeuplement, cela signifierait de réduire l’immigration à presque rien.
D’autre part, pour éviter toute guerre apocalyptique où seraient utilisées des armes de destruction massive, chaque civilisation devrait accepter de remiser au placard ses projets de conquête. Dans ce scénario idyllique, les Musulmans renonceraient à leur rêve de conversion planétaire et les Occidentaux abandonneraient l’espoir de pouvoir un jour assister à un défilé de la fierté gaie à La Mecque.
Ces simples exemples donnent une idée des changements drastiques de mentalité qui seraient nécessaires pour adapter pacifiquement l’humanité au monde qui est en train de naître. Or, nous l’avons dit, les humains sont contre le changement. Pire, l’extrême rapidité des bouleversements actuels dépassent de beaucoup leur capacité de réaction et de compréhension. En conséquence, il faut donc s’attendre à ce que la mise à jour dont on parle se fasse d’une façon passablement anarchique.
Ce qui ne veut pas dire que toute action utile sera impossible, notamment dans des pays de marge bien protégés comme le Québec.
Où intervenir?
Sur une planète dépourvue de gouvernements continentaux et mondial efficaces, le meilleur endroit où un simple individu puisse intervenir utilement n’est pas au niveau mondial ou macropolitique, mais au niveau national et micropolitique; c’est-à-dire à une échelle d’espace et de temps qui corresponde à notre nature d’êtres fragiles et éphémères. Dans le monde chaotique où nous allons entrer, chacun devra aider son peuple à s’adapter de manière à ce que l’humanité puisse ensuite faire la synthèse de toutes les petites trouvailles locales. Comme le disait René Dubos, nous devrons penser globalement et agir localement.
Pour aider la planète à survivre au passage de l’humanité, le mieux que les Québécois pourront faire sera de s’assurer que leurs activités industrielles deviennent compatibles avec la survie et le rétablissement de leur environnement local. Il leur faudra donc réduire la taille de leur économie et modifier leurs façons de produire et de consommer.
Au niveau démographique, cela voudra dire de stopper la croissance de leur population. Car il faut le savoir, le Québec était déjà surpeuplé avec 600,000 habitants quand, en 1837, la pénurie de terres agricoles provoqua un malaise social qui s’est exprimé dans la révolte des Patriotes puis, dans les décennies suivantes, par une émigration massive. (Les historiens ont montré qu’il existe une forte corrélation entre les problèmes de pénurie agricole et les révoltes populaires : révolutions française, bolchevique, etc.) Si, depuis 1837, le Québec a été capable de faire vivre une population dix fois supérieure, c’est uniquement parce qu’il avait accédé à un niveau technologique supérieur. Or, en réduisant la capacité de support du pays (et de la planète), la crise environnementale qui commence aura un effet similaire à celui que causerait un brutal recul de la civilisation. Sur une planète dont les terres polluées ne pourront plus nourrir la population et où le coût de l’énergie servant à transporter les aliments sera devenu prohibitif, un pays appauvri comme le Québec, qui manque de bonnes terres agricoles, sera redevenu surpeuplé.
Au niveau politique, l’idée de réduire les gaspillages inutiles signifiera que les Québécois devront réaliser leur souveraineté et mettre un terme définitif aux filouteries du Canada anglais. De toute façon, la souveraineté d’un pays naturel (à symétrie radiale) comme le Québec sera plus efficace pour produire de la richesse qu’un fédéralisme centralisateur qui gaspille d’énormes ressources pour maintenir l’unité d’un pays démesurément allongé comme le Canada.
Quand intervenir?
Quand on approche d’un point charnière de l’histoire, les actions de chaque individu bénéficient d’une sorte d’effet levier qui leur confère une importance souvent déterminante. Comme le monde approche d’un tel point d’équilibre, où la moindre poussée pourra tout faire basculer, chacun d’entre nous peut aujourd’hui espérer jouer un rôle utile. Or, au Québec, le problème central qui bloque toute modernisation de notre société est celui de son accession à la souveraineté. Nous devons donc briser en priorité l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, notamment en nous débarrassant des fausses certitudes que nous ont inculquées nos ennemis.
Ainsi, il est faux de prétendre que l’option souverainiste n’ait pas progressé depuis 1995. En effet, si elle n’a pas gagné en étendue, elle a gagné en profondeur puisque la plupart des souverainistes ont cessé d’être des souveraineté-associationnistes pour devenir de purs ¨séparatistes¨. Pour faire progresser l’option dans la population, il suffirait d’aller vers les jeunes et les immigrants pour leur en expliquer les avantages; ce que nos leaders se gardent bien de faire pour des raisons bassement électoralistes.
Il est tout aussi faux de prétendre qu’il soit impossible de convaincre les immigrants de se joindre au peuple québécois. Pour les forcer à écouter nos arguments, il suffirait de recourir à des arguments d’ordre moral en déclarant par exemple que ce que les Québécois reprochent aux minorités ethniques, ce n’est pas ce qu’elles SONT, mais ce qu’elles FONT. Car ces gens ne sont pas nés en votant ¨non¨ et en se joignant systématiquement à un peuple d’agresseurs et de voleurs; une action qui, d’ailleurs, leur nuit à eux autant qu’à nous puisque c’est l’ensemble du Québec, immigrants compris, qui se fait détrousser.
La liste des idées fausses que nous a imposées une constante propagande est assez longue. Mais où les souverainistes ont-ils pris l’idée que la souveraineté avait fait le plein de votes à exactement 50%? Ou que la souveraineté était un sujet électoralement néfaste? Ou que la population devait être manipulée avec des questions référendaires alambiquées? Ou qu’elle soit trop lâche pour qu’on puisse lui dire que les négociations postréférendaires seront serrées et viriles, mais payantes? Toutes ces idées reçues proviennent des arrivistes sans courage qui ont pris le contrôle du mouvement souverainiste au cours des dernières années.
Malheureusement pour le Québec, le courage est l’une des choses les plus étrangement distribuées de tout l’univers. Si on peut comprendre que de pauvres types battus par la vie aient peur de tout et oublient de vivre intensément, cela n’est pas excusable de la part de chefs qui ont pu fréquenter les maîtres du monde; ces êtres qui ne plient jamais l’échine et qui traversent la vie en se sachant à nul autre pareil. Quand on a la chance de se retrouver à la tête d’un peuple qui marche vers la lumière, comment peut-on commettre l’erreur, le crime de vivre chichement, en comptant ses sous? Quand on sait qu’on va fatalement mourir, comment peut-on résister aux grandes ambitions et aux vastes perspectives? Mystères de l’âme humaine!
Oui, le mouvement souverainiste est présentement mal dirigé, divisé et en désarroi, mais nous allons trouver de nouveaux leaders, de nouvelles idées et de nouveaux arguments et nous repartirons à la conquête de notre liberté. Comme disait Edmond Rostand : ¨C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière!¨
***
Jean-Jacques Nantel, ing.
Septembre 2011


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