Le quarantième anniversaire de la célèbre déclaration du Général de Gaulle, «Vive le Québec libre», remet à l'ordre du jour la question de l'indépendance du Québec. Pourquoi, en effet, faudrait-il faire du Québec un pays souverain?
Comme me l'a fait remarquer récemment un de mes amis, il y a deux façons de répondre à cette question. On peut y répondre dans le sens de «à cause de quoi faut-il faire l'indépendance?», ou on peut y répondre dans le sens de «en vue de quoi faut-il faire l'indépendance?». Les deux réponses sont évidemment valables, mais elles font appel à des motivations fort différentes.
À cause de quoi?
Les principales raisons mises en avant jusqu'à maintenant pour préconiser l'indépendance du Québec ont surtout mis l'accent sur les injustices et les déficiences des arrangements constitutionnels actuels. C'est ainsi que l'on fait valoir que le Canada anglais a toujours refusé de reconnaître vraiment la nature binationale de la Confédération canadienne; que le fédéralisme canadien s'est avéré vicié, le gouvernement fédéral ayant toujours adopté une attitude centralisatrice, ayant continuellement accaparé une trop large part des recettes fiscales et s'étant constamment ingéré dans les domaines réservés au Québec; que le poids démographique et politique du Québec au sein de la Confédération canadienne, qui dépassait le tiers en 1867, s'est progressivement effrité pour devenir moindre du quart en 2007; que la reconnaissance de la langue française dans les services fédéraux ou dans les domaines qui relèvent du Parlement fédéral a toujours été et reste encore déficiente, etc., etc.
Il va de soi que ces arguments ont du poids et restent valables. C'est d'ailleurs à la suite d'événements comme la crise des Gens de l'air, le piétinement du drapeau du Québec ou le refus des accords du Lac Meech que le sentiment nationaliste a atteint ses sommets au Québec. Mais ce sont des arguments qui sont tournés vers le passé et qui imputent la faute sur les autres. Et ils ont leurs limites, car les autres ne font pas que des mauvais coups, la pratique du fédéralisme peut s'améliorer, les attitudes peuvent changer...
En vue de quoi?
Personnellement, j'aime mieux mettre l'accent sur nous-mêmes et sur l'avenir. Les arguments qui, pour moi, ont le plus de poids sont ceux qui expliquent en vue de quoi il faut faire l'indépendance du Québec.
Car si nous voulons devenir souverains, c'est d'abord pour nous-mêmes. Non pour nous libérer des autres, mais pour être libres de nos choix. Non pour nous plaindre des décisions d'autrui, mais pour avoir les moyens de prendre nos propres décisions en vue de nous construire, ici, un pays qui corresponde vraiment à nos besoins et à nos aspirations. Non pour rejeter le fédéralisme, mais pour récupérer les pouvoirs qui nous manquent et les ressources financières qui nous échappent.
Et cela, en vue de faire un certains nombre de choses qui, dans le cadre constitutionnel actuel, échappent à notre portée.
D'abord, en vue de faire du Québec un pays français. Cela est une nécessité absolue pour assurer la pérennité du caractère français de la nation québécoise. Dans cette ère d'échanges et de communications, on ne peut pas faire abstraction de la situation géopolitique du Québec, petit îlot francophone au milieu d'une mer anglo-saxonne. Le français ne pourra y survivre que s'il est protégé par l'encadrement d'un État français. Or, tant qu'il fera partie du Canada, le Québec ne pourra jamais être un État français et restera toujours un pays bilingue puisque l'anglais y aura toujours droit de cité.
Ensuite, en vue de nous donner des règles de conduite sociale qui, dans tous les domaines, reflètent nos propres valeurs. N'y a-t-il pas quelque chose d'incongru à ce que ce soit à Ottawa que la députée Francine Lalonde doive présenter son projet de loi sur le suicide assisté? Qu'une question comme celle-là doive être décidée par un parlement où les Québécois sont largement minoritaires? Qu'il en soit de même pour le contrôle des armes à feu, pour l'usage de la marijuana, pour la lutte contre le crime organisé, pour la conduite en état d'ébriété, pour les libérations conditionnelles et pour toutes les autres matières qui relèvent du droit criminel? Ou pour toutes les autres matières, et elles sont nombreuses, qui relèvent du Parlement fédéral?
Et aussi en vue d'être présents sur la scène internationale. Ce n'est que depuis le «Vive le Québec libre» du Général de Gaulle que le reste du monde connaît l'existence du Québec. Pourtant, nous avons beaucoup à apporter aux autres nations en raison de notre histoire, de notre culture à la fois européenne et américaine, de notre créativité et de notre ouverture aux autres. Nous avons une contribution à faire et une aide à donner aux pays en voie de développement. Et nous avons aussi des intérêts à protéger dans les forums internationaux. Or il n'y a que les pays souverains qui ont droit de parole sur la scène internationale.
Enfin, en vue d'avoir pleins pouvoirs sur l'organisation de notre démocratie et de nos institutions politiques. À l'heure actuelle, nous ne pouvons modifier ni le caractère monarchique ni le caractère parlementaire de notre régime politique. Et il nous est très difficile, sinon impossible, de procéder à une véritable décentralisation des pouvoirs en créant des gouvernements régionaux démocratiquement élus qui permettraient à nos régions de se prendre en mains.
L'épanouissement de la nation
Tous admettent maintenant que les Québécois forment une nation. C'est-à-dire que le groupe national auquel ils s'identifient collectivement et qui assure leur continuité dans le temps est la nation québécoise. C'est cette nation qui, par ses institutions politiques, sociales, économiques et culturelles permet à chaque individu de se définir, de se développer et de trouver sa place dans le monde.
La nation québécoise est le fruit de 400 ans d'efforts pour implanter, en ce coin d'Amérique, un rameau français capable de survivre et de se développer. Malgré les épreuves et les temps difficiles, cette implantation a réussi à grandir pour devenir une société vibrante et dynamique. Mais c'est une nation qui reste encore fragile, incomplète et dont la construction reste à finir.
Je suis persuadé que, lorsqu'elle prendra pleinement conscience d'elle-même, de ses capacités et de ses possibilités d'avenir, elle n'hésitera plus à prendre les moyens pour qu'enfin vive le Québec libre.
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Louis Bernard, Ex-secrétaire général du Conseil exécutif du Québec, candidat à la direction du Parti québécois en 2005, l'auteur a été chef de cabinet de René Lévesque
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