Pour le meilleur et pour le pire

Québec 400e - vu de l'étranger



Nombre de Québécois de plus de 50 ans se reconnaîtront dans le récit que fait de son premier séjour en France la journaliste Adèle Lauzon dans son autobiographie (Pas si tranquille, Boréal, 2008) : "Je n'eus pas à faire des efforts pour m'adapter. J'étais, dès les premiers jours, à la fois éblouie par la beauté de Paris et profondément convaincue d'être chez moi, de rentrer à la maison."

Ce sentiment de "rentrer à la maison", dans d'émouvantes retrouvailles avec une mère-patrie que l'on n'avait jusque-là connue que par les livres et le cinéma, était chose courante parmi les générations qui avaient baigné dans la culture française, de la maternelle à l'université. De fait, jusqu'au tournant des années 1960, les écoles québécoises n'enseignaient pratiquement que la littérature française. Les universités québécoises manquaient de personnel qualifié, et c'est tout naturellement en France que l'on recrutait des professeurs.
Au XIXe siècle et durant la première moitié du XXe, l'influence de la France sur les élites canadiennes-françaises a été phénoménale. Pour le meilleur et pour le pire.
Pour le meilleur : pendant des décennies, les Québécois le moindrement scolarisés s'approprièrent la richesse prodigieuse de la culture française comme si c'était la leur. De la comtesse de Ségur à Villon, Voltaire, Piaf ou Brassens, la France régnait dans l'imaginaire québécois.
Pour le pire : durant les années 1930, les courants de pensée antidémocratiques et antisémites français, relayés par l'Eglise et la droite nationaliste, déferlèrent sur le Québec, dont les élites allaient basculer massivement dans le camp pétainiste.
Les rapports avec la France se métamorphosèrent à partir du début des années 1960, avec la Révolution tranquille, marquée par la rapide modernisation du Québec et l'émergence du mouvement indépendantiste. Ce bouillonnement allait engendrer le culte de la fierté identitaire ainsi qu'un mouvement de repli sur la culture québécoise. Dans les programmes scolaires, la littérature québécoise commença à détrôner la littérature française.
Par la suite, la mondialisation allait marquer la fin de la domination intellectuelle française sur le Québec, même si les livres français, au grand dam des éditeurs québécois, sont toujours les best-sellers des librairies québécoises et même si le Québec reste de très loin, proportionnellement à sa population, le plus grand consommateur de produits culturels français au monde. Ce qui est fort logique : le Québec est la seule société en dehors de l'Hexagone où la majorité de la population est composée de descendants directs de Français.
Jusqu'aux années 1960, c'est en France que les étudiants québécois allaient parfaire leurs études. Aujourd'hui, le mouvement s'est inversé : les jeunes Français sont plus nombreux à faire le voyage vers le Québec. Il y a cette année 6 400 étudiants français au Québec, six fois plus que d'étudiants québécois en France. La chose s'explique principalement par les problèmes des universités françaises, de même que par le désir bien légitime des jeunes Français d'apprendre l'anglais et de découvrir l'Amérique à partir d'une société francophone.
Les Québécois qui poursuivent leurs études hors du Québec choisissent aujourd'hui les grandes universités américaines ou les meilleures universités du Canada anglais. En règle générale, on ne fait son doctorat à Paris que si l'on se spécialise dans la littérature, dans l'histoire de la France ou dans certaines disciplines très pointues.
Le Québec n'a plus comme auparavant les yeux rivés vers la France, exception faite de la classe politique. C'est à ce niveau, éloigné des réalités quotidiennes, que s'est joué, pendant les dernières quarante années, le ballet hésitant des rapports entre le Québec et la France. Depuis le percutant "Vive le Québec libre !" du général de Gaulle en 1967, les dirigeants français ont été tiraillés, voire coincés, entre les souverainistes qui attendaient un signe d'encouragement et les fédéralistes qui craignaient l'ingérence de Paris dans les affaires canadiennes. Ce ballet fut ponctué de moult querelles de tapis rouge entre l'ambassade canadienne et la délégation générale du Québec à Paris, qui se disputaient la faveur des Français.
L'usure du temps a fait tomber le rideau sur une pièce jamais conclue, faute de l'adhésion d'une majorité de Québécois à l'option souverainiste. Les diplomates canadiens, au lieu de s'épuiser en vaines querelles, ont intelligemment misé sur l'intérêt des Français envers les réalisations sociales et économiques du Canada hors Québec dont, notamment, la réduction du déficit budgétaire par l'ancien gouvernement de Jean Chrétien, opération douloureuse mais réussie, qui constitue aujourd'hui un modèle pour la France sarkoziste. Le chef de l'Etat français ne cache d'ailleurs pas qu'il refuse de se laisser enfermer dans une relation exclusive avec le Québec.
Les souverainistes québécois continuent d'espérer que la France serait le premier pays à reconnaître le nouvel Etat québécois, advenant un "oui" majoritaire à un référendum sur la souveraineté..., référendum dont la perspective, faut-il dire, s'éloigne de plus en plus.
Dans une optique plus pragmatique, le gouvernement provincial fédéraliste de Jean Charest mise quant à lui sur l'élargissement des relations bilatérales entre le Québec et la France. On vise notamment la mobilité accrue de la main-d'oeuvre et la reconnaissance mutuelle des diplômes et des compétences professionnelles - un projet qui pourrait être l'amorce de négociations de libre-échange entre l'Europe et le Canada.
Le lien passionnel que d'aucuns qualifiaient de relation "amour-haine" s'est distendu. Les Québécois ont coupé le cordon ombilical. Ils ne se ressentent plus comme des Normands déracinés, hantés par l'amer souvenir de l'abandon de 1759, mais comme des Nord-Américains à part entière, voire comme des citoyens du monde.
On ne retrouve plus chez les jeunes Québécois l'émotion que les générations précédentes éprouvaient à l'évocation de la "mère-patrie". Ce mot est lui-même tombé en désuétude. La France est à leurs yeux un pays parmi d'autres, admirable, certes, et proche par la langue et l'histoire, mais qui n'est plus le phare unique et la référence primordiale. Les jeunes Québécois, comme tous les voyageurs qui y affluent de partout au monde, découvrent avec ravissement ce magnifique pays, mais rares sont ceux qui éprouveraient, comme Adèle Lauzon en 1950, le sentiment de "rentrer à la maison".
Lysiane Gagnon est chroniqueur politique à La Presse de Montréal et au Globe and Mail de Toronto


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