Plus ça change...

Le «français québécois standard»

On connaît la chanson. Lysiane Gagnon rappelait jeudi dans [sa chronique de La Presse->10201] qu'elle avait publié une série de reportages alarmistes sur la qualité du français en 1975. La réaction des lecteurs avait été à ce point horrifiée que La Presse avait décidé de transformer ces reportages en petit livre. Le même journal revient cette semaine avec une série d'articles sur le même sujet et avec le même constat: c'est une catastrophe, et il n'existe que des linguistes postmarxistes pour dire le contraire.
Que faire? En ces domaines où tout le monde a une opinion, les politiciens réagissent rapidement, comme les amateurs de La Cage aux sports. À La Cage aux sports, on disait que l'avenir du Canadien passait par Guillaume Latendresse; à Québec, la ministre rétorque que l'avenir du français doit passer par la dictée. Cela ne peut pas nuire, tout comme le jeune ailier gauche ne nuit pas au Canadien, mais 1000 dictées ne remplaceront jamais un enseignant et un programme qui ne privilégient pas le français correctement écrit, correctement parlé et bien compris.
On dira qu'il faut revoir la formation des enseignants. C'est comme l'oeuf et la poule. On ne peut pas enseigner le français à l'université, on y enseigne la didactique du français, et il est normal que les enseignants en général connaissent mal leur langue parce qu'ils ne l'ont pas étudiée à l'école. On dira qu'il faut changer les programmes et les méthodes, mais là encore, l'oeuf et la poule se pointent. Qui mettra en oeuvre ces nouvelles approches? Les enseignants.
Le problème du français au Québec est beaucoup plus profond et paradoxal. Pour résumer, disons que nous défendons l'espace francophone en Amérique mais que nous nous foutons du français. La société québécoise a toujours entretenu une sorte de rapport schizophrène avec sa langue maternelle. C'est la langue qui fonde la nation qui en pousse même certains à vouloir proscrire des droits si on ne la baragouine pas, mais c'est aussi une langue étrangère. C'est la langue des Français de France, celle de l'élite et des intellectuels. Et nous, Québécois, parlons et écrivons à notre manière.
Passons sur l'absence historique des Français ici, sur la survivance au Québec d'un français vieillot, plein de charme et de beauté, et sur les contrastes qui apparurent plus tard entre le français d'ici et celui de Paris ou de Lyon. Le mal est plus profond. Je viens d'une famille de la classe moyenne où on était fier de sa langue: pas de l'accent français mais du français. Écolier, je découvris rapidement que le français correct n'était pas un atout dans une cour d'école. Si je ne parlais pas comme une «tapette», je parlais comme un intellectuel, terme encore méprisant dans son acception québécoise.
Passons aussi rapidement sur l'élévation du «joual», idiome de mon quartier natal, au rang de langue libératrice par les pédagogues révolutionnaires. Passons encore, même si c'est important, sur les grandes théories progressistes de l'«oralité» de l'apprentissage de la «communication», qui permettaient au cri primal de remplacer un adjectif bien senti et bien choisi. On apprenait que le français n'était pas la langue du peuple et que, à la limite, son apprentissage constituait un outil d'aliénation pour l'élite capitaliste productiviste. C'est le nationalisme gauchiste des pédagogues québécois qui a tué l'enseignement du français il y a bien longtemps; maintenant, tous les oeufs ressemblent à la poule.
François Cardinal a développé dans un petit livre une thèse intéressante: les Québécois sont parmi les plus écologistes de la planète en pensée mais font partie, tant individuellement que collectivement, des pires pollueurs du monde occidental. Grands parleurs, petits faiseurs: voilà une belle expression, à la fois française et québécoise. À propos de la qualité du français, nous entretenons la même attitude. Nous ferons l'indépendance du Québec pour sauver notre langue, mais pour l'écrire correctement, nous ne ferons rien.
Le français est un problème d'école parce que c'est là qu'on l'enseigne, mais c'est avant tout un problème de société. Comment demander aux enfants de parler mieux que Guy A. Lepage ou que les ados attardés de Loft? La norme du langage est déterminée par trois lieux: l'école, la famille et la télévision. Le plus faible de ces lieux est l'école. Ne demandez pas aux enseignants de se battre contre Lepage et Julie Snyder, de se battre contre les messages texto et les marionnettes de Dollarama que Radio-Canada vient d'acheter. Ne demandez pas aux écoles de remplacer la société.
Je n'aimais pas les dictées ni les cours de français. J'étais un écolier normal. Il existe quelque chose d'oppressant et d'intimidant dans l'obligation d'apprendre une langue qu'on croit posséder et qu'on parle. J'ai quitté cette relation maladive en abordant les livres. Ce n'était pas de la grande littérature mais de bonnes histoires et, pour en suivre les péripéties, pour bien comprendre le comportement du héros, il fallait bien que je me concentre sur les phrases et les mots et que j'en remarque les accords. L'orthographe du mot s'imprimait dans mon subconscient autant que son sens, que je vérifiais dans un dictionnaire. La construction de la phrase s'imposait. Je m'en souvenais le lendemain quand je devais écrire une narration. Je ne voulais pas apprendre le français, je voulais comprendre l'histoire. Mais voilà, même cela, grâce aux pédagogues, aux gouvernements et à la société qui méprise le livre, n'est plus possible. On ne lit pas dans les écoles. Il n'y a pas de livres dans les écoles, seulement des programmes de compétences transversales et des objectifs de «diplomation». Et au nom de la nation, nous continuons à former des ignorants. Pas de mots, pas d'histoire, pas de culture générale, rien. Le Loft comme système d'éducation.
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