Le drame se poursuit...

C'est, notons-le bien, la langue des élites, des gens instruits, qui s'est dégradée, pas la langue des milieux ruraux et populaires.

Le «français québécois standard»


J'ai devant moi une petite brochure intitulée Le drame de l'enseignement du français. Cette série d'articles écrite en 1975, alors que je couvrais le domaine de l'éducation, avait eu une telle répercussion chez nos lecteurs que La Presse en avait fait un recueil.


Ce déferlement de réactions montrait qu'hier comme aujourd'hui, les Québécois prennent à coeur l'avenir de leur langue.
Hélas! la série d'articles que La Presse consacre cette semaine au même sujet montre qu'en 32 ans, rien n'a vraiment changé.
Au fil des pages de ma brochure jaunie, on trouve les mêmes maux qu'aujourd'hui: la dégradation de la syntaxe et de l'orthographe, la multiplication démente des «méthodes» et des «réformes», l'activisme pervers des pédagogues du ministère, qui se sont malheureusement reproduits.
En 1975, on avait déjà commencé à faire de la «communication» au lieu d'enseigner la langue; on faisait écrire aux élèves des «romans» plutôt que des analyses de texte; on leur faisait lire des articules de journaux, le résultat étant qu'on pouvait faire 13 ans de scolarité sans avoir jamais lu un seul livre. Les profs de la gogauche considéraient qu'il fallait être un sale bourgeois pour trouver important de bien parler et de bien écrire.
Les enseignants d'aujourd'hui sont les produits du système que je dénonçais en 1975.
J'avais cependant commis, en conclusion de cette série d'articles, une grosse erreur. Dans le contexte politique bouillonnant de ces années marquées par les combats linguistiques, j'attribuais la responsabilité première des maux du français au laisser-faire des gouvernements qui refusaient de donner au français un statut prédominant. «Comment s'étonner que les étudiants apprennent mollement et sans intérêt une langue qui ne leur servira pas dans les hautes sphères du marché du travail?»
Ô naïveté L'année suivante, le PQ arrivait au pouvoir. Quelques mois plus tard, le ministre Laurin déposait la Charte de la langue française. Depuis, le Québec a été dirigé pendant 18 ans par le PQ, un parti qui lie son destin à la langue, et pendant 14 ans par le PLQ, qui a fait sienne la loi 101. Et le français reste toujours mal enseigné, mal appris et mal aimé.
Que s'est-il passé pour que rien n'ait changé, même une fois le français devenu langue commune et protégé en sus par une myriade d'organismes?
Si l'on se fie aux récentes enquêtes, la qualité moyenne des étudiants des facultés de l'éducation aurait diminué depuis quelques décennies, peut-être en partie parce que beaucoup de professions plus gratifiantes se sont ouvertes aux femmes, et que l'enseignement n'attire pas les plus douées en aussi grand nombre qu'autrefois.
Chose certaine, les enseignants qui étaient au travail il y a 32 ans étaient eux-mêmes passés par un système d'enseignement beaucoup plus exigeant que celui qui a formé les jeunes enseignants d'aujourd'hui.
Ne mettons pas tout sur le dos de l'école. Il y a les parents, il y a la société. Il est perceptible à l'oreille que le niveau de la langue parlée a baissé depuis 30 ans. On appelle tout le monde par son prénom, le tutoiement s'est généralisé. Les formulations joualisantes et les expressions infantiles («tu veux-tu», etc.) font partie intégrante du langage des gens branchés.
C'est, notons-le bien, la langue des élites, des gens instruits, qui s'est dégradée, pas la langue des milieux ruraux et populaires.
L'exemple vient de haut. Il suffit d'écouter la télévision de Radio-Canada, naguère le grand véhicule de la correction linguistique qui, en quelques années seulement, s'est transformée en école de vulgarité. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à entendre le niveau de langue de l'émission-vedette de Radio-Canada, Tout le monde en parle. La langue de bébé et les rires niais de nos humoristes ont contaminé toute la société.
Alors voilà, on a simplement continué à descendre la pente, mû par la force de l'inertie et le refus de l'effort. Les gouvernements, une fois le français posé sur un piédestal, ne se sont jamais souciés de sa qualité. Sous Lucien Bouchard, l'ex-ministre Louise Beaudoin avait proposé à ses collègues du cabinet de lancer une grande campagne en faveur de l'amélioration de la langue parlée. Elle s'était fait dire que cela ferait ringard et élitiste.
La ministre de l'Éducation actuelle, Michelle Courchesne, semble déterminée à agir, mais réussira-t-elle là où tous ses prédécesseurs ont échoué? Je le croirai quand je le verrai.
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