Parler le créole québécois ?

Le PQ, dans sa fuite identitaire qui veut rameuter les indépendantistes aigris pour faire oublier sa « conversation nationale », adopte cette thèse : une langue québécoise.

Le «français québécois standard»

On peut se demander ce que le conseil exécutif national du PQ avait fumé collectivement quand il a décidé de proposer pour défendre le français au Québec «l'enseignement de la langue standard québécoise écrite et parlée». Chaque mot dans cette proposition surréaliste mérite d'être pesé.
- «Langue». Il existerait donc, comme le pense un important clan de linguistes et de sémanticiens obtus et «nationaleux», une langue québécoise. Pas un idiome, pas un patois, pas des particularismes québécois, mais une langue. Faut-il rappeler qu'une langue possède un vocabulaire distinctif, une orthographe et une syntaxe? Non, pour ces gens, les rappeurs possèdent leur propre langue, comme les fourmis et une communauté berbère du nord de l'Atlas. Pour ces gens, tout groupe de signes communs et compris dans une communauté constitue une langue. Nous serions huit dans notre quartier à pratiquer les mêmes mots que nous posséderions une langue. Le PQ, dans sa fuite identitaire qui veut rameuter les indépendantistes aigris pour faire oublier sa «conversation nationale», adopte cette thèse: une langue québécoise.
- Langue «écrite». J'imagine qu'on veut ici désigner les ajouts souvent intéressants que le Québec a apportés au français: courriel, clavardage, baladeur, qui d'ailleurs ont été généralement acceptés dans les dictionnaires, même s'ils ne sont pas utilisés de manière importante en France. Mais dans la langue «parlée» ici, on dit plutôt «chat», «walkman», «iPod». Je ne connais aucun adolescent qui se livre à du clavardage mais j'en connais plusieurs qui «chattent». Qu'allons-nous enseigner selon le PQ? «Chat» ou clavardage? Et s'il faut enseigner la langue standard québécoise écrite, faudra-t-il enseigner l'absence d'accord des participes passés, l'orthographe sonore, l'inutilité de la syntaxe?
- Langue québécoise standard «parlée». Voilà une proposition encore plus surréaliste. Un Marocain ou un Sénégalais vous dirait qu'il ne comprend pas pourquoi il devrait, pour devenir Québécois, mal parler le français.
Et quel est le «standard» de la langue québécoise parlée? Ce n'est même pas la médiocrité du français qu'on entend à Tout le monde en parle, ce qui serait déjà horrible, c'est la langue parlée au Loft ou à Occupation double, dans la télé-réalité qui, au chapitre du langage, est malheureusement bien réelle.
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J'essaie d'imaginer ce qui surviendrait en Suisse ou en Belgique si on proposait d'y enseigner le belge français standard ou le suisse français standard. Ce serait la convulsion générale. Pourtant, les Belges et les Suisses possèdent autant que nous des particularismes, des accents, des expressions qui vivent dans leur français quotidien. Mais de ces différences réelles et sonores, ils n'en font pas une langue, une différence telle qu'il faille enseigner le belge ou le suisse standard parlé. Et pour parler d'autres langues, enseigne-t-on le mexicain ou l'espagnol au Mexique?
Pour paraphraser je ne sais pas quel politicien qui parlait du fédéralisme, une langue n'est pas une cafétéria où on choisit ce qu'on veut. Une langue, c'est un repas complet, une table d'hôte. Entrée, plat principal, dessert. Tout est compris. Vocabulaire, orthographe, syntaxe.
Au moment où la ministre de l'Éducation réintroduit dans les écoles les fondamentaux, comme disent les économistes, la lecture et la dictée, le Parti québécois veut nous enseigner l'ignorance et la complaisance langagière. Il y a là une contradiction qui me paraît troublante.
Le mouvement indépendantiste souffre d'une ambiguïté coupable à l'égard de la langue française. Il a toujours fondé son action sur la menace contre la survie du français et il l'a fait avec raison. Mais aujourd'hui, dépourvu d'objectifs mobilisateurs, il se rabat sur tout ce qui est identitaire, prenant le risque de nous précipiter dans la médiocrité et l'isolement linguistique.
Si nous sommes si isolés linguistiquement, comme le disent les péquistes, pourquoi devrions-nous nous isoler encore plus en enseignant une sorte de créole québécois, une langue qui n'existe pas?
Je comprends Pierre Curzi, qui aime sa langue, le français, d'être complètement bouleversé par cette proposition de son conseil exécutif national, par cette régression intellectuelle qui nous ramène au début des années 1970, quand dire «christ» et «tabarnak» constituait une forme d'affirmation identitaire.
Cette semaine, on a fêté Gilles Vigneault à Paris. De grands poètes et de grands artistes étaient présents. Guy Béart, Hughes Aufray, Julos Beaucarne, Luc Plamondon, Marie-Paule Belle, Anne Sylvestre. Ils célébraient le plus grand des chanteurs québécois, le plus profondément québécois des auteurs-compositeurs. Vigneault, à 80 ans, tourne en France et ailleurs où on parle et comprend le français. De ses chansons, dans ces pays étrangers, on entend le Québec, on le comprend, on l'imagine, on l'invente, on le souhaite. Vigneault, ce n'est pas «la langue standard québécoise écrite et parlée» du PQ, Vigneault, c'est le français avec le Québec qui se glisse sans problème dans une langue universelle.
Vigneault a toujours été un indépendantiste convaincu, grand défenseur du français, refusant la créolisation du langage et l'isolement. Je me demande ce qu'il pense de cette «langue standard québécoise écrite et parlée» qu'il n'a jamais écrite ni chantée.


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