Libre-Opinion: Au cours des dernières semaines, le chef du Parti québécois, M. André Boisclair, a accusé M. Jean Charest et son gouvernement de poursuivre une mauvaise stratégie dans les discussions relatives au déséquilibre fiscal. En résumé, M. Boisclair soutient que le gouvernement fait fausse route en mettant l'accent sur la nécessité d'une réforme majeure de la péréquation et l'accuse d'avoir abandonné l'idée de demander un transfert de points d'impôt.
Le chef du PQ se trompe grandement. Sa position montre qu'il comprend mal ce qu'est un transfert de points d'impôt et, surtout, qu'il ignore qu'un programme de péréquation qui fonctionne bien est une condition préalable à la mise en place d'un transfert de points d'impôt qui soit dans les intérêts du Québec et des autres partenaires de la fédération.
Transfert de points d'impôt
Pour le Québec, il est clair que le transfert d'espace fiscal (ou, comme on dit familièrement, le «transfert de points d'impôt») fait partie de la solution au déséquilibre fiscal. C'est une position que le Parti libéral du Québec a défendue devant la Commission Séguin en 2002 et que le premier ministre Charest, le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes et moi-même avons réitérée à plusieurs reprises depuis lors.
Mais avant de demander des transferts de points d'impôt à tout prix, il faut bien comprendre de quoi il s'agit.
Tout d'abord, la valeur d'un «point d'impôt» varie considérablement d'une province à l'autre en raison des disparités économiques. Par exemple, un point d'impôt sur le revenu des particuliers (c'est-à-dire 1 % de cet impôt) vaut 46 $ par habitant en Alberta, 41 $ en Ontario, 33 $ en Colombie-Britannique, 31 $ au Québec, 27 $ au Manitoba et en Nouvelle-Écosse, 26 $ en Saskatchewan, 24 $ au Nouveau-Brunswick et 23 $ à Terre-Neuve et à l'Île-du-Prince-Édouard.
Cela signifie que si le gouvernement fédéral transférait aux provinces un point d'impôt sur le revenu des particuliers, les provinces mieux nanties recevraient, en occupant cet espace fiscal, un montant nettement plus élevé que les provinces moins nanties. Il est important de noter que ce genre d'écart n'est pas propre à l'impôt sur le revenu des particuliers. On l'observe aussi pour d'autres sources de revenus susceptibles de faire l'objet d'un transfert fiscal, comme la taxe de vente ou l'impôt sur le revenu des sociétés.
D'où la nécessité, pour que ce transfert d'espace fiscal soit dans l'intérêt de l'ensemble des partenaires de la fédération, de disposer d'un programme de péréquation qui «égalise» les revenus des provinces découlant de ce transfert fiscal à la moyenne des dix provinces canadiennes. Dans ce cas-ci, cela signifierait que toutes les provinces, sauf l'Ontario et l'Alberta, disposeraient, après péréquation, d'une capacité fiscale de 36 $ par habitant à la suite du transfert fiscal. Dans le cas de l'Ontario (41 $ par habitant) et de l'Alberta (46 $ par habitant), elles continueraient de jouir de la capacité fiscale accrue découlant de leur richesse économique plus élevée.
Comme on le voit, si le programme de péréquation n'est pas adéquat, c'est-à-dire qu'il ne joue pas bien son rôle, un transfert d'espace fiscal augmentera les écarts de capacité fiscale entre les provinces plutôt que de les réduire. On sera alors bien loin de régler le problème du déséquilibre fiscal. Au contraire, on l'aura augmenté. Est-ce cela que le chef du PQ souhaite pour le Québec en suggérant une stratégie de transferts de points d'impôt à tout prix sans égard à la formule de péréquation ?
Pourquoi réformer la péréquation
Mais au-delà de la nécessité d'avoir un programme de péréquation adéquat pour que des transferts de points d'impôts puissent contribuer véritablement à corriger le déséquilibre fiscal, pourquoi le Québec croit-il que le programme de péréquation a besoin d'une réforme majeure ?
Tout simplement à cause du rôle fondamental que doit jouer la péréquation dans la fédération canadienne. La péréquation est le seul programme de transfert fédéral dont l'objectif est fixé dans la Constitution du Canada : «Le Parlement et le gouvernement du Canada prennent l'engagement de principe de faire des paiements de péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables» (paragraphe 36 (2)).
Or, le programme de péréquation actuellement en vigueur au Canada est déficient. Il ne permet pas de respecter l'objectif inscrit dans la Constitution à l'égard de la péréquation.
D'abord, la norme du programme ne couvre que cinq provinces (Québec, Ontario, Manitoba, Saskatchewan et Colombie-Britannique). Ensuite, le programme a été transformé, en octobre 2004, en programme à enveloppe fermée, ce qui ne permet plus de corriger adéquatement les écarts de capacité fiscale entre les provinces.
C'est pourquoi le Québec soutient, depuis le début des discussions, que pour que la péréquation atteigne véritablement l'objectif inscrit dans la Constitution, ce programme doit être réformé de façon majeure. Par sa position, M. Boisclair, lui, suggère ni plus ni moins aux Québécois de renoncer à un droit constitutionnel.
La norme du programme doit de nouveau être constituée des dix provinces canadiennes, comme ce fut le cas pendant 25 ans. Ensuite, l'ensemble des sources de revenus des provinces doivent être prises en compte pour calculer la capacité fiscale des provinces, y compris les revenus provenant des ressources naturelles. Enfin, des améliorations techniques doivent être apportées à la mesure de la capacité fiscale des provinces à certaines sources de revenus, dont à l'assiette des impôts fonciers.
D'ailleurs, n'en déplaise au chef du Parti québécois, le Québec n'est pas seul à croire que le programme de péréquation doit être réformé de façon majeure. Cette position est appuyée par une majorité de provinces et territoires. En outre, trois rapports, celui du Comité sénatorial sur les finances publiques, présidé par le sénateur Lowell Murray (mars 2002), celui du Comité consultatif sur le déséquilibre fiscal du Conseil de la fédération (mars 2006) et celui du Groupe d'experts du gouvernement fédéral sur la péréquation (mai 2006) affirment notamment que la formule de péréquation doit être basée sur la norme des dix provinces et qu'aucune raison ne peut justifier l'exclusion complète des ressources naturelles.
En conclusion, j'ai voulu dans ce texte clarifier deux aspects importants de la position de notre gouvernement à l'égard de la correction du déséquilibre fiscal. Premièrement, notre gouvernement a toujours été et est toujours en faveur de transferts de points d'impôt pour corriger le déséquilibre fiscal. Mais, et c'est là un point crucial, pour qu'un transfert d'espace fiscal soit dans l'intérêt du Québec, il faut un programme de péréquation qui fonctionne adéquatement.
Deuxièmement, au-delà de la nécessité d'avoir un programme de péréquation adéquat pour que des transferts de points d'impôt contribuent à corriger le déséquilibre fiscal, la péréquation doit être réformée de façon majeure pour que, conformément à la Constitution de notre pays, le Québec et les autres provinces disposent des revenus suffisants pour assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables.
Michel Audet
_ Ministre des Finances du Québec
Péréquation et points d'impôt : l'un ne va pas sans l'autre
Déséquilibre fiscal
Michel Audet6 articles
L'auteur a été ministre des Finances dans le gouvernement Charest de 2005 à 2007.
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