Thomas Mulcair venait tout juste d'opposer son veto au projet de vente de terrains dans le parc du Mont-Orford lorsqu'il a été convoqué par le premier ministre Jean Charest et éjecté du Conseil des ministres.
Dès le lendemain, devant un mémoire préparé en quelques heures, les membres du gouvernement Charest ont dû approuver en vitesse un dossier qui n'était jamais passé par le processus normal des comités ministériels.
Un mois après la décision controversée de céder au privé une partie du parc du Mont-Orford, l'ancien ministre Mulcair a accepter (sic) de parler avec La Presse des circonstances entourant son congédiement.
«Orford a été la goutte qui a fait déborder le vase», a-t-il confié, contredisant carrément le message qu'avait tenté de faire passer l'entourage de Jean Charest jusqu'ici.
M. Charest a procédé à son remaniement ministériel le lundi 28 février. Or, la fin de semaine précédente, le secrétaire général du gouvernement, André Dicaire, avait communiqué par téléphone avec la sous-ministre de l'Environnement, Madeleine Paulin. Il lui avait «ordonné» de fournir le document nécessaire pour préparer le projet de loi décrétant la mise en vente des terrains du parc du Mont-Orford au secteur privé.
Ce faisant, M. Dicaire, en quelque sorte le «sous-ministre» de M. Charest, passait outre aux objections maintes fois répétées par le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs. Sans détour, M. Mulcair a ordonné à la sous-ministre Paulin de ne pas bouger sur le dossier Orford. Et il a insisté sur un point: «Jamais personne ne pourrait produire un document favorable à Orford qui porterait sa signature.»
Peu après, le chef de cabinet Stéphane Gosselin recevait un coup de fil de l'attaché de presse de M. Charest, Hugo D'Amours. M. Mulcair était convoqué au cabinet de Jean Charest pour 14h10 précises. Selon des tiers, M. Charest, aussi sanguin que son ministre d'origine irlandaise, n'a pas soulevé le dossier d'Orford. Il a toutefois proposé à M. Mulcair un autre portefeuille, un seul, celui des Services gouvernementaux. M. Mulcair avait 45 minutes pour prendre sa décision, un délai pendant lequel il a contacté sa famille et quelques piliers de son organisation dans Chomedey, avaient déjà confié ses proches dans les heures suivant sa rétrogradation.
Le second face-à-face avec M. Charest a été passablement émotif, confirme-t-on. Depuis l'arrivée de M. Charest à la tête du PLQ, en 1998, M. Mulcair était l'un des supporteurs les plus inconditionnels du chef.
Défavorable au projet Orford, bien conscient des conséquences politiques d'une loi d'exception pour scinder un parc national, M. Mulcair avait déjà profondément irrité le cabinet de M. Charest en réclamant un avis juridique sur cette transaction. Cet avis avait conclu que seule une loi pourrait autoriser le gouvernement à faire ce qui était illégal dans l'état actuel de la législation.
Au sein de l'administration, on confirmait à La Presse que la rédaction de ce projet de loi reste un véritable casse-tête juridique, compte tenu des risques de contestation. Dans la controverse sur la ligne Hertel-Des Cantons, une loi spéciale du gouvernement Bouchard avait failli être cassée. Elle a finalement été validée parce que le tribunal avait jugé que l'intérêt public du Québec de l'après-verglas devait primer. Mais il pourrait être difficile d'invoquer l'intérêt public pour la cession des terrains d'Orford.
De plus, la loi spéciale nécessaire au gouvernement suppose qu'on suspende tous les pouvoirs de la municipalité dans ce dossier, un autre risque de guerre juridique quand on sait que le maire d'Orford s'est justement fait élire sur la promesse que le parc resterait intact.
Ce n'est qu'en fin de journée, ce lundi-là, que le ministère de l'Environnement, passé sous la direction de Claude Béchard, a préparé le mémoire destiné à être adopté dès le lendemain au Conseil des ministres. Habituellement, ce type de projet passe quelques semaines dans le dédale des comités interministériels, passage obligé au dépôt d'un mémoire au Conseil. Ce processus a été court-circuité dans le cas d'Orford. On avait même placé ce dossier comme premier point pour approbation au Conseil des ministres, un geste jugé disgracieux par certains membres du gouvernement, a-t-on appris.
Dans les heures qui ont suivi le remaniement, M. Mulcair a disparu de la scène publique.
Plusieurs employés politiques du cabinet de M. Charest et du ministre Béchard ont fait une tournée téléphonique des médias pour chuchoter que M. Mulcair était favorable à l'idée de céder des terrains d'Orford.
«C'est un projet qui était sur la table... que M. Mulcair avait préparé... et que j'ai annoncé dans les jours qui ont suivi», a nuancé hier le ministre Claude Béchard, bien plus catégorique il y a quelques jours. Mais au départ de M. Mulcair, aucun mémoire n'avait été préparé, a-t-il reconnu. «Il n'y avait pas de mémoire de fait comme tel, ou signé par lui. Les documents étaient en préparation... On l'a annoncé cinq jours après», a dit M. Béchard.
Durant toute cette saga, M. Mulcair n'avait jamais répondu à la trentaine d'appels faits par La Presse, à son bureau, à son domicile ou même sur son portable.
À La Presse, M. Mulcair a indiqué qu'il comptait sous peu parler publiquement du dossier d'Orford - TVA annonçait pour le week-end une entrevue reprenant les objections formulées par M. Mulcair dans La Presse.
Rabaska
M. Mulcair a aussi donné son opinion sur le projet Rabaska, un terminal méthanier de 800 millions que souhaite construire Gaz Métropolitain sur la Rive-Sud de Québec. Il en avait parlé avec Jean Charest, fin janvier, après un périple à Boston. M. Charest avait pourtant soutenu avoir été surpris des objections soulevées publiquement mardi par M. Mulcair dans ce dossier.
«Il y avait de fortes pressions pour que je ne sorte pas sur Rabaska. On m'a fait taire là-dessus», a précisé M. Mulcair à TVA.
Le député de Chomedey a même reçu des mots d'encouragement de collègues de la région de Québec, réduits au silence dans ce dossier controversé que surveille étroitement Stéphane Bertrand, chef de cabinet de M. Charest et ancien vice-président de Gaz Métropolitain. M. Bertrand, plutôt indifférent au dossier d'Orford, suit de très près le dossier de Rabaska, a-t-on appris.
Avec les mauvais sondages qui s'accumulent, le moral est au plus pas chez les élus. Une formule caustique circule chez les députés libéraux pour résumer le dernier remaniement, qui semble avoir enfoncé davantage le gouvernement dans l'opinion publique: «un conservateur qui congédie un libéral afin de faire une place à un péquiste», Raymond Bachand.
MULCAIR LIMOGÉ À CAUSE DE SON OPPOSITION, DIT-IL
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé