Le PQ peut-il sauver le mont Orford?

L'ex-ministre Yves Duhaime suggère à son chef d'envoyer un message clair aux promoteurs

Mont Orford


La privatisation du mont Orford semble aussi impossible à arrêter, pour certains, qu'un train lancé à toute allure. Mais tout le monde ne pense pas ainsi, et c'est peut-être l'opposition à l'Assemblée nationale qui détient le pouvoir de forcer le gouvernement et les promoteurs à appliquer les freins sous peine de perdre beaucoup au jeu.


Le Parti québécois peut probablement mettre un frein à la privatisation du mont Orford en annonçant maintenant que, dès son arrivée au pouvoir, il annulera par tous les moyens à sa disposition les décisions du gouvernement Charest dans ce dossier.
Tel est le point de vue «personnel» qu'a exprimé hier au Devoir le père de l'actuelle loi-cadre sur les parcs, adoptée en 1977. À l'époque, Yves Duhaime était ministre du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche dans le premier gouvernement de René Lévesque. Sa réforme des parcs, qui a mis fin à la coupe forestière, à l'exploitation minière et aux concessions de toutes sortes dans les parcs québécois, a été suivie, dès la fin de 1977, par l'annonce d'une autre réforme d'envergure qu'il a parrainée, soit l'abolition des clubs privés de chasse et pêche et leur remplacement par les «zones d'exploitation contrôlée», plus communément appelées les zecs de nos jours.
Yves Duhaime voit d'ailleurs un lien direct entre les tentatives de privatisation d'une partie du parc d'Orford et la réintroduction de privilèges au profit d'acteurs privés dans les zecs, créées comme un patrimoine faunique public accessible à tous.
«Si j'étais au gouvernement aujourd'hui, affirme Yves Duhaime, il est sûr et certain que les choses resteraient en l'état à Orford. Et je pense que le prochain gouvernement du Parti québécois devrait s'engager maintenant à dire à tous ces promoteurs : si vous touchez au mont Orford, vous perdez votre temps parce que nous remettrons les choses en état.»
Le Parti québécois avait en quelque sorte goûté à cette médecine au milieu des années 80 alors que le premier ministre René Lévesque voulait financer le projet Archipel, destiné à rendre les eaux de la métropole plus propres et plus accessibles à tous en construisant un barrage hydroélectrique sur les rapides de Lachine. Son rival, Robert Bourassa, avait porté un coup fatal au projet en annonçant avant les élections de 1985 qu'il annulerait, dès son arrivée au pouvoir, toutes les décisions dans ce dossier afin de protéger le dernier grand rapide du Saint-Laurent. Les entreprises et les municipalités qui travaillaient à ce projet avaient alors compris que le risque de continuer pouvait leur coûter cher et avaient pour la plupart commencé à se retirer.

Yves Duhaime se dit convaincu que le Parti québécois peut aller plus loin qu'avec le classique filibuster à l'Assemblée nationale. Il peut porter un grand coup, dit-il, contre la privatisation du mont Orford en prenant publiquement cet engagement, ce qui serait conforme à ses positions récentes à l'Assemblée nationale et préserverait l'esprit et la lettre de la loi-cadre sur les parcs, un des joyaux de son héritage politique au Québec.
«Je ne suis pas absolument certain, précise néanmoins le parrain de cette réforme législative, que ça dissuaderait tout le monde. Mais ça les ferait réfléchir drôlement, d'autant plus que ça ne rejoint pas seulement les doléances de l'opposition mais le voeu de toute une région, comme on l'a vu avec les récentes manifestations qui ont rassemblé 3000 personnes à Orford, du jamais vu dans ce domaine.»
L'ancien ministre péquiste estime que le gouvernement Charest a plusieurs motifs valables d'opérer rapidement un virage dans ce dossier, mais il craint que son entourage n'envisage pas les choses ainsi.
«C'est comme si le gouvernement, explique Yves Duhaime, a tellement reculé dans d'autres dossiers, comme le Suroît et les écoles privées juives, pour ne donner que deux exemples, qu'il veut faire la démonstration que cette fois-ci, il ne reculera pas. Sauf qu'il n'est pas dans le bon dossier pour le faire. Le premier ministre, qui a déjà écrit qu'il ne procéderait pas dans le dossier d'Orford sans un véritable consensus social, devrait, ne serait-ce que pour préserver son image, dire qu'il abandonne la partie parce que sa propre condition de base n'est pas respectée.» Il ajoute avec ironie que «même le Parti libéral est du côté de l'opposition» car un des derniers conseils généraux des libéraux de Jean Charest a adopté une résolution réclamant la protection du parc national du Mont-Orford.
La possibilité que la loi spéciale envisagée par Québec soit contestée par la coalition SOS Orford peut aussi retarder le démarrage du projet, explique l'ancien ministre péquiste. La coalition a déjà ramassé 15 000 $ à cette fin et prévoit passer le chapeau au cours de l'importante manifestation de Montréal, cet après-midi, ajoute Yves Duhaime, aussi président du conseil d'administration du Devoir.
«On a donc le temps de changer de gouvernement à Québec» et d'empêcher ainsi une altération importante de la montagne la plus célèbre de l'Estrie, dit-il. Si le Parti québécois, ses instances ou son chef devaient s'engager à annuler les décisions du gouvernement Charest dans ce dossier, Yves Duhaime estime que les banques, les financiers et les actionnaires intéressés par le projet immobilier «y penseraient eux aussi à deux fois avant d'investir des dizaines de milliers de dollars en spécialistes, consultants, etc., dont l'apport est nécessaire pour préparer un projet» dans le cadre de l'appel d'offres annoncé.
Yves Duhaime, qui a déjà durement croisé le fer devant les tribunaux avec l'ex-ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Thomas Mulcair, reconnaît que ce dernier «avait appréhendé sur le plan politique qu'il y aurait une résistance féroce dans cette région : il faut reconnaître qu'il a vu juste». Comme il appuie lui aussi la protection intégrale du parc national d'Orford, il conclut : «Ça me gêne un peu de vous le dire, mais pour une fois, je suis d'accord avec M. Mulcair.»


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