« On vit une catastrophe » : le manque de personnel dans les tribunaux pourrait mener à une rupture de service

Le gouvernement doit agir pour régler la crise du manque de personnel à la cour, dit le juge en chef

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Le système de justice à la dérive


La pénurie de main-d’œuvre dans les tribunaux est une «catastrophe» qui risque de mener à une rupture de service si le gouvernement n’agit pas rapidement, prévient le juge en chef de la Cour supérieure du Québec.


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«On vit une crise, une catastrophe. Pour le moment, nous réussissons à boucher les trous, mais à un moment donné, nous ne pourrons plus faire de miracles», a lancé le juge en chef Jacques Fournier en entrevue avec Le Journal.


Depuis plus de deux ans, le magistrat interpelle le gouvernement quant au manque de personnel de soutien à la cour, notamment de greffières et d’adjointes, qui sont cruciales au bon fonctionnement de la justice. Mais, malgré tous ses efforts de sensibilisation, la situation n’a fait qu’empirer.



JUS-JACQUES-FOURNIER

Photo Agence QMI, Joël Lemay




Ainsi, presque chaque jour, des salles d’audience ouvrent en retard ou restent fermées par manque de greffières. 


Juste la semaine dernière, une fraudeuse est rentrée chez elle plutôt que de prendre le chemin de la prison. Le lendemain, une aînée de 87 ans victime d’un violent vol qualifié n’a pas pu témoigner au procès d’un accusé en raison du manque de personnel. Elle est donc rentrée chez elle, sans savoir quand elle devrait revenir.


«C’est dramatique pour les justiciables, déplore le magistrat. Attendre une décision qui peut changer une vie, ça provoque de l’anxiété.»



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Photo Agence QMI, Joël Lemay




Pas attractif


Pas besoin de chercher bien loin les raisons du manque de personnel. Avec un salaire maximum de 45 000 $ par an, Québec peine à recruter des greffières qui sont payées 20 000 $ de plus au municipal, et encore plus au fédéral ou au privé.


«Les greffières sont au centre d’une activité stressante, ce n’est pas de tout repos», insiste le juge en chef.


Les adjointes des juges, qui ont des compétences pointues, partent aussi pour des postes où la rémunération est plus avantageuse.



JUS-JACQUES-FOURNIER

Photo Agence QMI, Joël Lemay




Les maîtres des rôles, qui sont un peu le système nerveux du système, peuvent parfois quitter leur emploi après quelques mois seulement, avant même de développer leur expertise. 


«Ça prend des gens qui ont une bonne formation, mais ils ne viennent pas, déplore le juge en chef. Et dès qu’il y a un concours à la Ville [où les conditions sont meilleures], ils partent. Avec les problèmes de logement à Montréal, pas beaucoup d’adjointes peuvent se payer un loyer dans la métropole.»


Pas le choix de payer


La recette pour pallier le problème n’est pourtant pas compliquée, dit-il. Ce que ça prend, c’est que le gouvernement offre de meilleurs salaires à tout le personnel de l’ombre qui fait fonctionner le système de justice.


«Le Conseil du trésor doit le reconnaître, dit-il en rappelant que le gouvernement a l’obligation de soutenir la magistrature. II faut que les employés se sentent valorisés, et une façon de le faire, c’est en les payant décemment.»


Ainsi, si le gouvernement ne se met pas à offrir des salaires au moins décents au personnel de soutien, la crise va perdurer, jusqu’à atteindre le point de rupture.


«La balle est dans le camp du Conseil du trésor», conclut-il en prévenant que d’ici deux ans, il sera trop tard. 





«Intenable», prévient la Cour du Québec  


Aucune action du gouvernement pour régler la crise du manque de personnel à la cour n’a fonctionné, affirme la juge en chef de la Cour du Québec en prévenant que la situation actuelle est « intenable ».


«Nous savons qu’à ce jour, aucune initiative n’a permis de contrer le nombre important de départs d’adjoints et de pallier les problématiques de recrutement», lit-on dans une lettre de la juge en chef Lucie Rondeau datant de la fin de mars et obtenue par notre Bureau d’enquête.


Tout comme son homologue de la Cour supérieure du Québec, elle affirme qu’une des solutions est d’offrir aux employés une «rémunération adéquate» qui correspond aux «nombreuses responsabilités qu’ils assument».


Or, même si les tribunaux ont été assurés que leurs observations avaient été présentées au Conseil du trésor, rien n’a été fait.


«Les juges en chef ont appris que les nouvelles conditions salariales des adjoints à la magistrature seraient connues ultérieurement, dans le cadre de la signature de la prochaine convention collective du Syndicat de la fonction publique», explique-t-elle en affirmant qu’il s’agissait là d’une déception, compte tenu de l’urgence de la situation.


Les Constables spéciaux aussi


Si la pénurie de main-d’œuvre dans les tribunaux met en péril le système de justice, il en va de même pour la sécurité dans les palais avec un manque criant de constables spéciaux. Il s’agit d’agents armés qui assurent la sécurité dans les palais après une formation à l’École nationale de police du Québec.


«Chaque semaine, le syndicat apprend le départ de membres», déplore le président de leur entité syndicale, Franck Perales.


La situation est si grave que dans certains palais de justice en région, il n’y en a parfois même plus, si bien que le personnel de la cour se retrouve sans protection malgré la présence de criminels.


En leur absence, il est même déjà arrivé qu’un juge ait demandé à un accusé de se rendre par lui-même en prison, après avoir écopé d’une peine.


Et tout comme pour le personnel de soutien de la magistrature, l’enjeu est surtout monétaire, puisque le ministère de la Sécurité publique les rémunère bien en deçà de ce qu’offrent les corps policiers.


– Avec Kathryne Lamon

 







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