Au cours d’une entrevue récente au Devoir et lors d’une conférence à Montréal, le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, a affirmé deux choses. D’abord, les juges fédéraux ne seraient pas partisans. Ensuite, la Cour ne jouerait pas un rôle politique. L’idée d’un gouvernement des juges serait donc erronée. Qu’en est-il exactement ?
Selon M. Wagner, les magistrats ne se substitueraient pas aux élus, car ils ont reçu la mission du Parlement d’interpréter les lois à la lumière de la Charte et de les invalider au besoin. Or, comme je l’ai démontré dans La bataille de Londres, en 1980-1981, la Cour suprême a donné de l’information confidentielle au pouvoir politique pour aider au rapatriement, violant ainsi la séparation des pouvoirs. Les magistrats voulaient une charte qui leur donnerait plus de pouvoirs au détriment des élus, particulièrement ceux de l’Assemblée nationale.
Depuis, ils imposent régulièrement leurs choix politiques. En interprétant la Charte, ils ne se contentent plus de dire si un gouvernement viole la Constitution. Ils dictent aussi la solution.
Ce phénomène est particulièrement visible quand il est question du financement du système judiciaire. Ce fut le cas par exemple avec l’arrêt Askov en Ontario. Askov était un criminel violent qui avait attendu son procès deux ans tout en demeurant en liberté. En 1990 les accusations contre lui ont été abandonnées. La Cour suprême a décrété que son droit à un procès dans des délais raisonnables avait été violé. Il incombait au gouvernement ontarien de mettre plus de ressources dans l’administration de la justice.
50 000 cas
Cette décision a mené à l’époque à l’abandon des accusations dans 50 000 cas rien qu’en Ontario, a-t-on calculé, en 2016, dont 290 causes d’agression sexuelles et 3 de meurtres. On imagine ce qu’ont dû vivre les victimes et leurs proches de voir les accusés échapper ainsi à la justice !
Bien sûr, les juges ont alors blâmé les élus pour cette catastrophe. Pourtant, rien dans la Constitution ne dit que deux ans est un délai trop long pour un procès. Ce sont les magistrats qui ont inventé ce laps de temps.
La décision a aussi obligé l’Ontario à injecter plus d’argent dans le système judiciaire, comme le voulaient les juges. Pourtant, dans une démocratie, c’est aux élus qu’il incombe de faire les arbitrages budgétaires entre les différentes missions que finance l’État. Dans les suites de cette affaire, le vérificateur général ontarien a dénoncé le sous-financement de l’éducation et les trop grandes dépenses pour la construction de prisons. Selon lui, cette situation était directement liée à l’arrêt Askov.
L’histoire se répète avec l’arrêt Jordan. Suivant cette décision de 2016, les procès ne peuvent dépasser 18 ou 30 mois selon les cas. Cela a mené à l’annulation de 800 causes au pays à ce jour. Des présumés meurtriers, violeurs et escrocs ont échappé à la justice.
Encore une fois la Cour suprême a agi de façon à obtenir plus d’argent. « Le système de justice est sous-financé » a affirmé Richard Wagner au Devoir. Si rien n’est fait dit-il, les juges abandonneront encore des milliers de procédures.
Cette méthode n’est pas surprenante quand on pense qu’en 1997, la Cour suprême a forcé les gouvernements à donner des augmentations de salaire à des juges. Certaines provinces avaient alors réduit les émoluments de leurs juges, mais la Cour suprême les en a empêchées. Cela constituait une violation de la Charte, comme si ce document disait que le gouvernement ne peut baisser le salaire des juges en période d’austérité. La Cour a forcé la mise en place de comités salariaux, lesquels ont décrété que les contribuables devaient verser plus d’argent aux magistrats, même s’ils appartiennent aux classes privilégiées. La conséquence est qu’il ne reste plus assez d’argent pour engager des employés de soutien travaillant dans nos tribunaux, ce qui contribue à l’engorgement.
Nazisme et ségrégation raciale
Outre cette situation, Wagner nie la partisanerie des magistrats. Pourtant, plusieurs militent activement contre les droits de la minorité nationale québécoise. L’an dernier, par exemple, la loi 21 a été invalidée partiellement par le juge Marc-André Blanchard. Le fait qu’avant sa nomination il était un donateur du PLC n’aurait eu aucun impact sur sa façon de voir.
Que dire aussi de l’arrivée d’Azimuddin Hussain à la Cour supérieure ? Comme avocat, il a plaidé que la loi 21 était comparable aux lois de Nuremberg, lesquelles ont mené au génocide de six millions de Juifs, et comparable encore à la ségrégation raciale américaine, en vertu de laquelle 4075 lynchages ont eu lieu entre 1877 et 1950.
Que répondrait le plus haut magistrat du pays si on lui soumettait l’exemple de ces deux juges ? Il rétorquerait sûrement que leur partisanerie et leur vision politique n’ont aucunement guidé leurs actions. Pas plus sans doute que M. Wagner ne le fait lui-même en menaçant de faire avorter des milliers de procès.
Le juge en chef utilise ici un chantage éhonté pour obtenir plus d’argent, se livrant à une campagne politique incompatible avec sa fonction. De fait, il expose au grand jour son insensibilité face aux souffrances des victimes de crimes.
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2 commentaires
François Champoux Répondre
19 juillet 2022N'empêche qu'avec la loi 21 le risque d'un déraillement social existe bel et bien; on doit apprendre de nos erreurs historiques. La tolérance n'est jamais facile à déterminer; elle exige un dialogue respectueux, constant, et non pas une intolérance légalisée: ça, c'est historique et à considérer. Nelson Mandela nous l'a rappelé lors de son combat contre l'apartheid.
François Champoux, Trois-Rivières
Mathieu Labelle Répondre
19 août 2022J'aimerais bien avoir un exemple de déraillement social et d'erreurs historiques. De plus, est-ce que le fait que le Québec soit dans la Constitution du Canada sans son consentement est un exemple d'une "intolérance légalisée" ? Pauvre Nelson Mandela... S'il voyait l'état actuel de son pays...