La constitution du Canada est-elle constitutionnelle ?
J’en conviens, la question a l’air bizarre. Je vous entends rire : « C’est comme se demander si l’eau est mouillée ! »
Mais dans notre Dominion, elle se pose sérieusement. Du moins selon le professeur de droit constitutionnel Daniel Turp et l’historien Frédéric Bastien.
Ils ont déposé hier en cour supérieure, avec l’avocat François Boulianne, une requête pour faire déclarer « nulle, invalide et inapplicable » la loi constitutionnelle de 1982.
Rapatriement
Il y aura 40 ans bientôt (le 17 avril 1982), à Ottawa, Élisabeth II, sous le regard de Pierre Elliott Trudeau et de Jean Chrétien, signait la proclamation de la nouvelle constitution.
C’est ce qui conclut l’épisode dit du « rapatriement ». La loi des lois du Canada cessait d’être un document émanant du Parlement de Westminster.
Ce fut ni plus ni moins qu’une refondation du Canada. Premier ministre du Québec à l’époque, René Lévesque dénonça un « coup d’État » juridique.
Par la suite, les Mulroney, Bourassa, etc. tentèrent de réparer ce qu’ils qualifièrent de « coup de force » (avec les « défunts accords » de Meech et de Charlottetown).
En 1982, en rapatriant la constitution, puisqu’il n’existait pas de règles pour changer la « constitution », une « formule d’amendement » y fut ajoutée. En plus, on y introduisait une Charte des droits. Cela révolutionna le droit canadien.
L’ennui : tout cela se fit sans l’assentiment (politique) du Québec. D’où la formule « le Québec n’a pas signé la constitution ». Chaque année, l’Assemblée nationale rappelle, avec une résolution appuyée par tous les partis, qu’il y a un problème. Dans son livre J’ai confiance (Québec/Amérique, 2018), l’actuel ministre de la Justice caquiste, Simon Jolin-Barrette, parle d’une « trahison ».
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Elle s’applique
Juridiquement toutefois, la constitution rapatriée s’applique au Québec.
Dix jours avant la proclamation du 17 avril 1982, le gouvernement du Québec a argué devant le tribunal que le rapatriement était illégal ; le Québec possédait un « droit de veto ». Les juges refusèrent.
Quarante ans plus tard, Bastien, Turp et Boulianne reprennent le combat.
Dans leur requête étoffée, ils soutiennent avoir de nouveaux arguments. Profitant des découvertes de Bastien dans les archives britanniques (consignées dans l’ouvrage La bataille de Londres), ils affirment que le principe de l’indépendance judiciaire a été violé, des juges s’étant penchés sur le rapatriement ayant par ailleurs eu des échanges avec des membres du gouvernement.
Autres arguments : avant 1982, toutes les modifications de la constitution du Dominion se sont faites avec l’accord préalable de toutes les provinces ; le rapatriement enfreint la règle selon laquelle on ne peut modifier les pouvoirs exclusifs du Québec en matière de « propriété et de droit civil » ; le rapatriement a violé le droit du peuple québécois à disposer de lui-même.
Éclairant, le geste n’en est pas moins donquichottesque, car voué à l’échec. Malgré la force de l’argumentaire juridique, le tribunal osera-t-il vraiment déclarer la « constitution inconstitutionnelle » ?
Le vide juridique créé serait abyssal et relancerait le débat constitutionnel, pratiquement abandonné depuis 1995. On peut même craindre qu’en bout de course, les juges ne donnent, dans leur jugement, une légitimité à 1982.
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