Ne lâchez point

Conseils d’un jeune octogénaire aux jeunes du printemps érable

Élection Québec 2012 et le Conflit étudiant


À la veille d’un scrutin qui risque de peser lourd sur le destin du peuple québécois, je me permets de m’approcher de vous, jeunes du printemps érable, afin de vous faire partager les réflexions d’un jeune octogénaire ayant vécu de près les turbulences d’un demi-siècle de vie politique au Québec.
Pour bien des gens, le combat de votre génération semble être en rupture avec les valeurs des générations précédentes. La mienne l’a été tout autant. J’amorçais la trentaine quand se sont manifestés les premiers signes de la Révolution tranquille. Nous, les jeunes d’alors, avons été les premiers à prendre conscience que l’identité canadienne-française était un piège. Elle avait comme principale conséquence de nous faire accepter de n’être collectivement qu’une simple minorité au sein du Canada. Nous avons donc décidé qu’il valait dorénavant mieux de s’identifier comme Québécois. À la grande surprise de nos parents et souvent au regret de nos grands-parents. Idem quand nous avons de moins en moins fréquenté l’église. Et quand nos conjointes ont laissé tomber la méthode Ogino Knaus pour la pilule.
J’aurais peut-être fait partie de la CLASSE si elle avait existé à cette époque où on était considéré comme radical du seul fait d’être en accord avec les idées de la revue Parti pris. Et en se disant du RIN. Il ne m’a suffi d’un seul discours de Pierre Bourgault pour me convainque de la nécessité de faire l’indépendance.
Je m’interroge. Avant de passer l’arme à gauche, aurais-je enfin la joie de voir le Québec se dire OUI à lui-même ? Avec votre printemps érable, j’ai commencé à l’espérer. Juste au moment où j’abordais mon quatre-vingtième printemps.
Déjà, à mon soixante-dix-neuvième, une petite flamme en moi s’était allumée et son mince reflet ne provint point de la vague orange. La déconfiture du Bloc m’ayant tellement chagriné, ce n’est que trois jours plus tard que mon humeur revint au beau fixe.
Ce soir-là, mon fils et moi avions dû jouer du coude pour pouvoir assister à la conférence d’Hervé Kempf. Enfin entrés dans l’amphithéâtre du Pavillon des sciences de l’UQAM, nous avions eu l’heureuse surprise de constater que presque tous les sièges étaient occupés par de très jeunes têtes. Combien de fois m’avait-on dit que vous ne vous intéressiez pas à la politique? Et voilà qu’un Français pas trop connu débarque ici et fait salle comble devant un très jeune public pour l’unique raison qu’il vient au Québec faire la promotion d’un livre, L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie.
Elle vous intéresse donc encore la politique ?
Elle le semble en tout cas quand on l’aborde de la façon d’un Hervé Kempf, cet écrivain qui l’a assez bien résumée en quatrième de couverture de son livre :

« Dans tous les pays occidentaux, la démocratie est attaquée par une caste. En réalité, nous sommes entrés dans un régime oligarchique, cette forme politique conçue par les Grecs anciens et qu’ont oubliée les politologues : la domination d’une petite classe de puissants qui discutent entre pairs et imposent ensuite leurs décisions à l’ensemble des citoyens. »


[->32978]Glacial regard sur la démocratie telle qu’elle a évolué chez-nous et ailleurs que nous a présenté ce Français en ce 5 mai 2011. À moins d’un an avant que s’amorce votre printemps érable, on sentait déjà que les paroles de l’essayiste semaient dans la salle des remous contrastés selon le sujet abordé : huée bien sentie quand il commentait les accointances de Sarkozy avec madame Béthencourt, applaudissements nourris quand il se disait encouragé par les manifestations qui, en France comme au Québec, ont été organisées contre l’exploitation des gaz de schiste.
Les interventions de la salle m’ont également permis de constater que bien des jeunes avaient lu ses deux autres essais : Comment les riches détruisent la planète, et Pour sauver la planète, sortez du capitalisme. Et s’étaient également nourris des réflexions de Stéphane Hessel.
Le Indignez-vous de cet écrivain est une véritable charge contre le 1% des riches qui accaparent la plus grande part des richesses de la terre. Hessel en appelle à s’indigner aux 99% des autres. Il a été entendu. Son livre a été à la source de nombreuses manifestations lesquelles avaient débuté à Madrid avec les Indignados, pour se prolonger dans le mouvement Occupy Wall Street à New-York. Et dans de nombreuses autres occupations de places publiques à travers le monde, Montréal et Québec ne faisant pas exceptions.

À l’approche de dame hiver, ces mouvements se sont essoufflés. Ou l’ont vite été sous la vindicte de maires de type Régis Labeaume. Mais, grande surprise en 2012 : c’est dans notre Québec que par votre grève, la contestation du néolibéralisme a semblé le mieux tenir le cap.
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Pas surprenant que le printemps érable ait fait le tour du monde avec d’impressionnantes vidéos montrant des dizaines de milliers de personnes de tous âges et de toutes conditions déambulant pacifiquement tous les 22 du mois dans les rues de Montréal. Dommage que certaines de ces vidéos devaient montrer que nous aussi avions des casseurs à l’œuvre lors d’événements dont les objectifs de départ étaient pacifiques. Déplorables excès qui ont cependant moins terni le Québec que ceux de nombreux policiers trop portés sur la matraque.
C’est bien avant que vous obteniez cette notoriété à l’étranger que nos médias ont dû s’intéresser à vous. Difficile de faire autrement quand, jour après jour, augmentait le nombre de vos associations votant pour une grève illimitée. Et que vos manifs en venaient à déranger l’enchaînement des bulletins de nouvelles. Comme on ne pouvait plus vous ignorer, la population a pu se faire une idée plus précise de ce qui vous motivait. Elle a surtout été agréablement surprise par la qualité du discours de vos porte-parole, le moment fort de cette perception étant leur passage à Tout le monde en parle.

Avec d’abord Gabriel Nadeau-Dubois le 28 février où il dut croiser le fer avec Arielle Grenier de l’Association des étudiants responsables du Québec. Est-ce que votre porte-parole l’a emporté sur cette étudiante pro-dégel ? Si vous ne vous en rappelez point, vous pourrez facilement revoir sur U-Tube l’affrontement entre les deux antagonistes.
Il est indéniable qu’en cette ère d’information-spectacle, il existe au Québec un important effet Tout le monde en parle sur le Politique. Qu’on se rappelle comment Chantal Hébert avait pu asséner un vigoureux crochet gauche à Mario Dumont. Ce qui n’avait pas empêché ce dernier de devenir chef de l’opposition officielle quinze jours plus tard.
Mais l’effet TLMEP le plus marquant a été la double apparition du bon Jack à l’émission dans la seule année 2011. À chacune d’elle, le roi Guy A premier et son fou ont tous deux loué le courage du chef du NPD face à sa santé défaillante. Imaginez. Être jour après jour sur le terrain d’une campagne électorale alors qu’on est en rémission de cancer. Deux mois plus tard : retour sur le plateau du bon Jack marchant cette fois à l’aide d’une canne. Sous l’air de « J’veux être un bon gars » ! Un scénario apte à faire gagner le plus crétin des politiciens.
***
Mais revenons à votre printemps. Voyons ce qu’en a pensé Richard Therrien du Soleil, le 30 avril dernier : « Au plus fort du conflit étudiant, les opposants au gouvernement Charest, les trois leaders des mouvements étudiants étaient en terrain conquis hier soir à Tout le monde en parle, accueillis avec une ovation.» Et, phrase prémonitoire de Léo Bureau-Blouin servie comme un petit hors-d’œuvre par le journaliste du Soleil : « S’il y a des élections, eh bien, M. Charest va nous trouver sur son chemin. »
Cette montée de sympathie de la population envers votre cause ne pouvait qu’agacer de nombreux hommes d’affaires qui, depuis toujours et comme partout ailleurs, soutiennent tout gouvernement dont la volonté est de donner un sérieux coup de barre à une gouvernance jugée trop social-démocrate. Trop interventionniste. En cette année 2012, vous étiez pour eux la bête à terrasser.
Vous l’étiez d’autant plus qu’au lieu de s’essouffler, vos manifs nocturnes avaient pris de l’ampleur. Doublant même en importance, avec concert de casseroles ajouté, dès que furent connues les intentions du gouvernement de vous broyer. Il reste que, bien avant l’annonce du projet de loi 78, vous aviez déjà forcé les grandes chaînes à bousculer leurs plages de nouvelles. À affecter moult journalistes à vous suivre dans la rue. Ce qui, de facto, permit à vos leaders d’être constamment sollicités par les médias. Pour chaque fois dénoncer «un premier ministre qui ne veut pas nous rencontrer. »
Jean Charest n’a jamais eu l’intention de rencontrer vos leaders, si bien que, tant la négociation Beauchamp que la Courchesne n’ont été, et se devaient de n’être, que de la frime. Une façon comme une autre de gagner du temps. Une façon comme une autre de vous noircir davantage auprès de l’opinion publique. Une façon comme une autre de diviser vos leaders et porte-parole. Pour qu’au moment importun, on vous jette dans les câbles.
Tout en espérant que les médias s’assagissent. Des médias trop enclins à donner beaucoup d’espace à vos porte-parole. Jean Charest devait surtout en vouloir à Anne-Marie Dussault et son équipe de 24 heures en 60 minutes, une émission qui pourtant cherche toujours à présenter toutes les facettes d’un quelconque problème.
Étrangement, La Presse semblait également être dans son collimateur. Étant pourtant assuré de la fidélité des Pratte, Dubuc Roy et Lysiane, notre PM appréciait moins les Rima Elkouri, Michèle Ouimet et Marie-Claude Lortie, pondant des papiers trop souvent sympathiques à votre cause. Il n’en fallait pas plus pour que Foglia saute sur l’occasion pour écrire qu’était faux le mythe qui fait croire que Desmarais donne un coup de fil à Pratte chaque fois qu’un de ses journalistes dérive un peu trop vers la gauche.
***
Heureusement pour John-James, de telles incartades sont rarissimes chez Quebecor. Avec un patron plein de contradictions. Sur le plan des rapports Canada-Québec, Pierre-Karl entretient la confusion en regroupant dans les pages de ses journaux des chroniqueurs à tendance carrément fédéraliste, comme Benoît Aubin et J. Jacques Samson; avec autant d’autres d’allégeance nationaliste, tels les Mathieu Bock-Coté, Joseph Facal, Gilles Proulx et Christian Dufour.

Mais quand il s’agit du débat gauche-droite, toute ambigüité disparait. Ce qui fait que, pour vous mâter, Jean Charest ne pouvait trouver meilleur allié que PKP. Gros travail. Il s’agissait d’amoindrir un tant soit peu l’effet du passage de vos leaders à Tout le monde en parle. Ainsi que de neutraliser les entrevues de «la trop condescendantes » Anne-Marie Dussault. Une tâche d’autant plus assumée que PKP est actuellement en conflit ouvert avec CBC/Radio-Canada. Et il est un patron qui n’a jamais eu le syndicalisme en odeur de sainteté. Qu’il soit ouvrier ou estudiantin.
À la page 88 de L’oligarchie ça suffit, Hervé Kempf cite Edward Bernays :
« La manipulation consciente et intelligente des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans les sociétés démocratiques. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays. »

Deux sentences fort percutantes tirées du livre Propaganda paru en 1928.

EDWARD BERNAYS - Propaganda 1/2 vostfr par scratch0001

S’il y a quelqu’un au Québec qui a l’immense pouvoir de manipuler l’opinion publique à son gré, c’est bien PKP. Dès le début de votre bataille, presque tous les chroniqueurs des médias Quebecor ont cassé du sucre sur votre dos. Même les plus nationalistes d’entre eux.
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De cette vendetta, Richard Martineau remporte la palme. Un tel parti-pris ne manqua pas de lui faire beaucoup d’ennemis sur la Toile. À un point tel qu’il en finit par s’ériger en victime expiatoire « des enfants gâtés » que vous seriez tous. Que vous habitiez tout près de chez-lui à Outremont ou dans Hochelaga-Maisonneuve.
Et comme il sert bien la Cause, Martineau est lui-même devenu l’enfant gâté de PKP. En plus de sa colonne quotidienne dans Le Journal de Montréal, il anime Franchement Martineau tous les jours de la semaine à LCN. La seule fois que je suis tombé sur cette émission, Johanne Marcotte et Éric Duhaime étaient ses invités. Des invités qui ne se sont pas du tout gênés pour cogner sur le même clou à savoir que, compte tenu de « la gigantesque » dette du Québec, vous devriez faire « votre juste part ». Et d’opiner constamment du bonnet notre «très neutre» animateur.
Curieux que PKP n’ait pas obligé Martineau à placer le fort en chiffres Léo Paul dans ce panel un peu trop consensuel. Votre volubile prof en comptabilité de l’UQÀM doit être sympathique à ce grand patron puisque, malgré son discours anti-néolibéral, PKP lui a offert d’avoir un blogue sur l’espace Quebecor. Façon peut-être de quelque peu vous amadouer. Mais pas question de placer du Lauzon à la une d’un de ses journaux, surtout avec des titres comme celui que le turbulent prof avait choisi pour son blogue du 9 août: « Le mensonge des Québécois les plus taxés en Amérique du Nord continue ».
Péladeau veille au grain et il a en Martineau son plus fidèle scribouilleur. Dans les jours où, suite au projet de loi 78, le bruit des casseroles s’est le plus fait entendre, notre franc-tireur pontifiait que c’était surtout à Montréal que l’on trouvait le plus fort appui de la population à votre cause. Hors de la métropole, une forte « majorité silencieuse » appuierait la hausse des droits de scolarité et en aurait mare de la rue. Avec ou sans casseroles.
En lisant quotidiennement Martineau, on en vient à penser qu’il a peut-être influencé Charest à se jeter dans la fausse aux lions. Une influence peut-être subliminale par la constante utilisation des très éculés termes de « majorité silencieuse». Il aurait surtout marqué l’esprit de John-James en spécifiant que cette dite « majorité silencieuse » résidait hors-Montréal, des Hors-Montréalais fiers de leur premier ministre quand, à l’Assemblée nationale, il somme la chef de l’opposition d’enlever son carré rouge. Et quand il décrète que les manifestations des Montréalais « sont sources d’intimidation et de violence».
Devant un tel chouchoutage, John-James a dû avoir grande envie de déclencher les élections. D’en fixer le jour avant qu’une certaine dame Charbonneau vienne trop brouiller les cartes. Il doit s’en mordre les pouces.
Jour après jour, Martineau n’a pas lâché de vous blâmer. De sous-entendre que, par vos constantes manifs, vous auriez contaminé les Montréalais.
Notre franc-tireur semble avoir honte de vivre dans une cité en état de si profonde perdition. On serait en droit de prévoir que, si Sophie ne se plaint pas trop de ses absences, il pourrait rejoindre Éric Duhaime, et faire partie des animateurs de la nouvelle radio X de Montréal. Vaut mieux être deux pour réussir à bien dénoncer l’influence pernicieuse de la faune des intellos du Plateau.
***
Les récents sondages nous prouvent en tout cas que, depuis qu’elle existe, cette radio poubelle a fait du « bon bouleau » dans notre capitale nationale, puisque là-bas on s’apprête à voter caquiste mur à mur. À une exception peut-être du quartier Saint-Roch, le bastion d’Agnès Maltais, les résidents du grand Québec feraient donc partie de « la majorité silencieuse » de Martineau. Mais ils tourneraient le dos à Jean Charest et se rallieraient plutôt à Legault lequel n’est sûrement pas un de vos plus grands amis.
Il est rassurant pour vous de constater qu’à Montréal, du moins à l’est de la Main dans les quartiers à forte densité indigène, on vous aime. La rue et la télévision vous ont permis de le constater. Surtout après le vote de la loi matraque. Au lendemain même de ce 17 mai, nombre de Montréalais ont fait corps et âmes avec la déclaration de Gabriel Nadeau-Dubois, comme quoi la CLASSE allait défier la nouvelle loi en organisant des marches nocturnes sans donner d’avance aux autorités le parcours à suivre.

Le soir suivant, des Montréalais des quartiers de Villeray et Rosemont ont pris l’initiative de vous imiter. Leur bruit de casseroles a entrainé des familles entières à entrer dans le rang. Cellulaires et messages Twitter ont ensuite permis à ces petites manifs de se noyer dans la principale, celle de la CLASSE partie de la place Émilie-Gamelin tous les soirs dès 21 heures.
Vos manifs nocturnes ne pouvaient qu’exacerber Martineau. Un tel effet d’entrainement de foules ne pouvait heureusement, selon lui, se produire là où de tels tintamarres n’étaient vus et entendus que par l’intermédiaire des bulletins nouvelles. Dans nos calmes campagnes, il existerait donc une majorité silencieuse n’approuvant pas que les Montréalais de prendre fait et cause pour vous.
On comprend son argument quand on sait quelles sortes d’événements la télé est le plus portée à couvrir. Quand, la manif vient de Saint-Clinclin et que l’on ne prévoit aucun incident fâcheux, pourquoi y expédier un journaliste ? Mais là où on prévoit qu’il pourrait y avoir de la casse, on en affecte quelques fois deux avec caméramans expérimentés pour bien montrer sang et vitres brisées répandus sur le sol.
Or, les images fortes n’ont pas manqué de nous arriver sur nos petits écrans et grands plasmas pendant tout ce printemps érable, un printemps qui, pour cette année, s’est prolongé jusqu’au 31 juillet, date où le digne représentant de sa majesté nous a solennellement signifié que, le 4 septembre, nous pourrions enfin décider qui, de la rue ou du PLQ, a raison.
Pendant plus de cinq mois, nos petits écrans et grands plasmas reprenaient constamment en boucle les images de centaines de policiers masqués, à pieds ou à cheval, qui chargeaient les foules. Certaines chaînes de télévision étant surtout plus à l’affût de montrer l’action des casseurs que, par exemple, de recevoir le témoignage de pacifiques manifestants qui, ayant été littéralement piégés, avaient ensuite été enfermés dans un autobus devenu prison portable. Sans possibilité ni de boire ne de faire pipi.

Au lendemain de ces fâcheux incidents, la télé nous montrait une Pauline Marois demandant pourquoi le premier ministre n’essaie pas de rencontrer vos leaders. Et Charest de ne jamais répondre à la question. De plutôt questionner Pauline : « Je demande à madame la chef de l’Opposition quand elle va bien vouloir enlever son carré rouge.» Tout cela pour noter l’immense rôle que notre télévision a joué un dans le psychodrame national qu’a été votre printemps érable.

C’est partout comme ça ailleurs, un constat qu’Al Gore fit suite à sa longue pérégrination afin de nous avertir du grave danger que nous courions si nous laissons le climat continuer à se dégrader. Kempf l’a rencontré et il raconte : « Ce dernier s’est montré sidéré par l’extrême importance qu’a prise la télévision dans son pays. Sa domination est écrasante et en dépit d’internet, elle gagne en importance d’année en année.»
Quand on sait comment, dans le pays de Gore, Fox News réussit à ameuter la population contre l’Obama Care, quand on sait que Sun News, propriété de PKP, tente de réussir des exploits semblables dans le ROC, on est en droit d’être inquiet.
Le dimanche 29 avril, l’effet Tout le monde en parle semble avoir joué en votre faveur. Est-ce à dire que, le dimanche soir, « la majorité silencieuse » de Martineau habitant hors-Montréal était toute à TVA. Ce serait affirmer que les gens de la banlieue et de la campagne préfèrent regarder Star Académie et Le banquier plutôt que de voir et d’entendre les invités de Guy A Lepage. Un tel clivage n’existe pas. Il faut penser à autre chose pour tenter d’expliquer ce dit clivage. Si tant est que clivage il y a.
Pressés qu’ils sont d’entrer à la maison après leur bouleau, même les gens des couronnes nord et sud de Montréal n’ont pu bénéficier de cette possibilité de vous rencontrer. De faire la parlotte avec vous. Quelques fois, vous les avez même embêtés avec vos blocages de ponts et les détournements de la circulation causés par vos manifs dont les parcours n’avaient pas été officialisés.
Qui plus est, tant en banlieue que dans les régions rurales, on a semblé conserver des images assez négatives de vous et de votre cause via le Télé-journal de Radio-Canada et, peut-être davantage même, aux Nouvelles TVA. Il est certain que, parce que cela aide aux cotes d’écoute, ces émissions d’information ont toujours tendance à privilégier les images d’affrontements avec la police. Que dire d’un Amir Khadir qui se fait arrêter après que la police de Québec ait proclamé la manif illégale? Ou de sa fille dont, en direct s’il vous plaît, la police va au petit matin, la chercher chez-elle, l’accusant d’avoir placé une bombe fumigène dans le métro ?
***
Mais, oh surprise, à une semaine du 4 septembre, les sondages montrent que Richard Martineau, et donc Jean Charest qui l’a trop écouté, se sont mis le doigt dans l’œil. La « majorité silencieuse » n’a pas du tout étouffé le bruit des casseroles. Malgré quelques parcours erratiques de sa campagne, il semble bien que Pauline Marois ne sera pas punie d’avoir porté le carré rouge.
Il reste que l’on est porté à donner raison à Gore quand on voit le degré de sympathie qu’a su aller chercher Françoise David en participant au débat télévisé des chefs organisé par le consortium. Plus que l’internet, la télévision joue encore une énorme influence dans le jeu politique. Elle l’a joué lors de la Révolution tranquille. Que vos grands parents vous parlent donc de Lévesque et de son Point de Mire. Le temps a changé. Aujourd’hui, ces sont les émissions d’Information-spectacle qui peuvent, et de loin, bouleverser le jeu politique. Preuve en est ce que Tout le monde en parle a su faire pour le NPD. Et comment, par la même occasion, elle a pu briser le Bloc. Et comme elle a grandement aidé votre printemps érable.
Revenons à ces dimanches soirs au Québec où il semble que nos deux principales chaînes battent des cotes d’écoutes record. On peut penser que le lundi matin dans les bureaux, tout le monde en parle autour de la machine à café. Un certain lundi, une majorité s’est dit enchantée d’avoir pu admirer Céline Dion à Star Académie. À la grande déception de la minorité ayant été plutôt branchée sur TLMEP. Le 30 avril dernier, grande exaltation dans les officines à propos de votre printemps. On n’avait que des bons mots pour Léo, Martine et Gabriel. Malheureux d’avoir raté ça, certains se promirent que, dès le retour à la maison, ils tenteront de retracer l’émission sur internet.
C’est cette énorme capacité qu’ont les émissions à forte cote d’écoute que Gore déplorait. Si on peut se permettre de s’en désoler, on peut quelques fois s’en réjouir comme ce fut le cas pour moi en ce 29 avril, jour de mon anniversaire de naissance. Il reste qu’il y a grave risque pour la démocratie si ce genre d’émission info-spectacle permet à certains de venir défendre sa cause, mais ne permet à une éventuelle partie adverse de se faire également voir.
À ce jeu-là, les politiciens qui sont presqu’assurés de rester dans la marge sont ceux, qui faisant trop peur aux détenteurs de pouvoir, ne seront jamais invités à des débats des chefs d’avant scrutin général ou dans un talk-show détenant une grosse cote d’écoute. On ne doit donc pas être surpris que Jean-Martin Aussant ne soit pas plus connu des électeurs à cinq jours du 4 septembre.

Il ne l’est pas parce que, bien avant la campagne électorale, certains avaient intérêt à ce que la population ne le connaisse pas. Quand au tout début de Tout le monde en parle, Dany Turcotte prend place en studio, il en profite toujours pour défendre les causes qui lui sont chères. Comment se fait-il qu’avant la fin de la saison, on n’ait jamais daigné inviter le chef d’Option nationale à l’émission?
Le nouveau parti qu’il a fondé regroupe pourtant beaucoup de ces « purs et durs » dont on parle tant en cette fin de campagne. Des « purs et durs » qui ont tous délaissé le Parti québécois. Des « purs et durs » qui, plus est, ont l’oreille de Jacques Parizeau puisque sa conjointe était assise tout près d’Aussant lors du congrès de fondation du parti. Le député sortant de Bécancour n’a pourtant pas créé un groupuscule du genre ML ou trotskiste qui veut avoir la peau du capitalisme. Comment se fait-il que les recherchistes de Guy A. Lepage n’ont pas flairé le grand atout d’une telle visite? Sa capacité de monter la cote BBM de l’émission au dessus de celle, disons d’Occupation double ?
Marie-France Bozo a, au contraire, eu ce flaire, et c’est très tôt dans son entretien avec Aussant qu’elle a ressenti, par la réaction du public en studio, qu’elle avait devant elle un chef de parti méprisant la langue de bois. Pas surprenant que, depuis sa diffusion, tant de personnes l’ayant raté, tentent de se rattraper sur la Toile.
Je ne serais pas surpris d’apprendre un jour que Guy A. Lepage et son réalisateur avaient l’intention d’inviter JMA. Qu’ils en auraient même discuté en haut-lieu, cherchant à savoir si une telle visibilité donnée à un tel organisme pouvant être jugé comme «radical » n’aurait pas de fâcheuses conséquences pour l’unité nationale Canadian. Pourquoi un tel scénario ne serait pas envisageable ? Quelques fois, c’est à se demander si on n’a pas oublié d’enterrer Trudeau avec ses vases chinois.

Je soupçonne donc que, du moment où il a claqué la porte du PQ parce qu’on refusait de faire clairement la promotion de l’indépendance du Québec, Jean-Martin Aussant soit devenu persona non grata à Radio-Canada. Ce faisant, il ne pouvait donc être du débat des chefs. Je suis personnellement persuadé que, tout autant que pour Françoise David, la population aurait appris à l’apprécier. Tout autant que pour Québec solidaire, Option nationale ne trainerait plus dans les sondages. Ce faisant, on aurait davantage parlé de votre printemps érable pendant la campagne électorale en cours.
Quel réflexe pavlovien que de sous-entendre au Télé-journal de dimanche soir que Jacques Parizeau tente de nuire à Pauline Marois en décidant de donner deux cents dollars à la campagne de Jean-Martin Aussant! Alors que ce montant ne devait servir qu’à favoriser l’élection du chef d’Option nationale dans son propre comté. L’assemblée nationale ne mérite-t-elle pas d’avoir en son sein un si hors du commun politicien?
Une chance que Radio-Canada est loin de s’approcher de la malhonnêteté de La Presse à Desmarais qui, ce lundi 27 août, donne comme manchette à la une : « Québec penche pour la CAQ » donnant ainsi l’impression aux marcheurs jetant un coup d’œil furtif aux journaux des kiosques que le parti de Legault est en avance partout au Québec alors que c’est uniquement de la ville de Québec qu’il s’agit. Un journal qui, maintenant, ne finit plus de trouver des qualités à Françoise David, histoire de diviser le vote souverainiste permettant ainsi à leur nouveau poulain, François Legault, de devenir premier ministre.
***
Vous savez très bien qu’une telle éventualité jouerait en votre défaveur. Mais, pour l’éviter faut-il voter stratégique? Vouloir que son vote soit utile plutôt que de le donner au parti qui, au mieux rencontre nos convictions? Je n’ai pas eu à vivre un tel dilemme quand je me suis présenté lundi au bureau de votes par anticipation, la raison étant que, dans ma circonscription de Marquette, on est presque condamné à perpétué à être des orphelins politiques. C’est comme si la loi d’airain s’applique à un Lachine si près du West-Island.
Je regretterai peut-être un peu d’avoir voté Option nationale si mon X aura permis à un candidat anti printemps érable de se gagner de justesse dans Marquette. Mon déplaisir serait de courte durée. Je finirai par me réjouir de pouvoir dire que, malgré mes soixante-dix-neuf ans, je suis resté fidèle à mes convictions. Avoir voté ON, est en ligne directe de la façon que j’ai voté au scrutin 1966 alors que j’ai posé mon X devant le nom du candidat riniste. Ne voulant rien savoir d’un parti libéral défraichi.
***
Question de vous démontrer davantage comment notre télévision pourrait un jour devenir un frein à la démocratie québécoise, revenons à un instant-clé de la campagne électorale. Suite au débat télévisé entre Pauline Marois et François Legault, Richard Martineau (encore lui!) faisait partie d’un panel d’analystes tous de la très consensuelle écurie Quebecor, les Mario Dumont, Jean Lapierre et Bock-Côté devant forcément « évaluer » que c’était bien Legault qui l’avait emporté. Et c’est notre Franc-tireur qui a eu droit au mot de la fin. C’est avec grande exaltation qu’il s’est écrié : « Ce soir, le débat a bien démontré que le champ de bataille au Québec n’est plus entre souverainistes et fédéralistes, mais bien entre la gauche et la droite. »
C’est Pierre-Karl qui doit être fier de son poulain. Imaginez. Il peut maintenant écrire à Stephen Harper pour lui souligner que, dans un passé récent, ce n’est pas Quebecor qui, par deux fois, a invité Layton à une émission de grande écoute. Et combien il a pris la bonne décision de se retirer du consortium permettant à la gauchiste et séparatiste Françoise David de faire tant de gains d’estime. À Quebecor, nous ne prenons jamais de tels risques. Bien au contraire, c’est avec notre dernier débat face-à-face que François Legault, notre prochain premier ministre, a pu jeter dans le ravin Pauline Marois et ses caribous...
Very interesting ! a dû s’écrier un Stephen Harper qui, lui aussi, aimerait bien couper les vives à CBC, ce nid de gauchistes et à la SRC, nid en plus de séparatistes. Si Legault va faire le ménage à Hydro-Québec et dans la fonction publique québécoise, pourquoi lui ne profiterait pas du vent conservateur qui souffle sur le Québec pour transformer la CBC/Radio-Canada en un gros PBS. « Déjà, songe Harper » je dois remplir les chaises vides au CRTC. Je dois, à ce sujet, donner un coup de fil à Martineau.» Il le mérite tant.
Soyez assurés, mes jeunes amis, que si Harper avait déjà pu mettre la main sur Radio-Canada avant que votre printemps débute, vous n’auriez pas eu la sympathie d’une bonne partie de la population du Québec. Si, dès l’arrivée d’un gouvernement conservateur majoritaire, Harper avait tout de go décidé de couper radicalement les vivres à notre télévision publique, ou d’en faire une télé d’État, votre printemps érable aurait perdu énormément de sa vigueur. La population n’aurait pu compter ni sur Guy A, ni sur Anne-Marie pour se renseigner adéquatement sur votre compte. L’émission Franchement Martineau aurait donc eu les coudées franches pour vous noircir à souhait.
Ne lâchez point
Vous représentez la relève pour nous, têtes grises et têtes poivre et sel qui n’avons jamais lâché prise. Grâce à vous, les Québécoises et les Québécois vont enfin comprendre que certains animateurs et chroniqueurs de tout crains sont devenus les nouveaux curés à cravate nous prêchant de ne pas trop faire de tapage devant les puissants de ce monde.
Il semble bien que ceux parmi vous qui ont les discours les plus articulés sont souvent engagés dans des études en sciences humaines : philosophie, sociologie, psychologie, science politique, économie, mais peu d’entre vous semblent étudier - faut-il s’en étonner ? – en sciences de la gestion.
Il y a un demi-siècle, de fortes personnalités comme les Jacques Parizeau, Guy Rocher, le père Georges-Henri Lévesque étaient tous des professeurs émérites dans des disciplines semblables. Ils ont été de grands artisans de la Révolution tranquille.
La différence aujourd’hui, c’est que, en initiatives audacieuses grâce peut-être aux nouvelles technologies, les élèves ont tendance à dépasser les maîtres.
Je pense bien que vous êtes aptes à amorcer cette Seconde Révolution tranquille. Gardez le cap.


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6 commentaires

  • Dominique Beaulieu Répondre

    2 septembre 2012

    Pour Jean-Martin Aussant, l'indépendance n'est pas une urgence mais une affaire de "long terme" :
    "Peu importe, le résultat du 4 septembre, Jean-Martin Aussant vise le long terme. Il sait que la route est longue pour un nouveau parti qui souhaite prendre le pouvoir"
    Source : http://quebec.huffingtonpost.ca/2012/08/08/portrait-jean-martin-aussant-option-nationale_n_1752147.html
    "L’argument de la division du vote, Jean-Martin Aussant n’y croit pas. «Le vote n’appartient à personne, dit-il"
    Personne n'a dit que le vote appartenait au PQ. Ce qu'on dit, avec une simple lecture de la réalité terrain, c'est qu'effectivement, la présence de plus d'un parti indépendantiste divise le vote et favorise les ennemis de l'indépendance.
    Une proportionnelle empirerait la situation puisque, selon les sondages, la somme du PLQ et de la CAQ dépasse les 50%.

  • Stefan Allinger Répondre

    2 septembre 2012


    Merci de donner votre point de vue. Vous êtes la preuve que l'expérience doit être mise à profit dans notre société.
    Moi, j'ai 39 ans et je constate que plusieurs jeunes sont allumés et ont déjà un esprit critique peu importe qu'ils soit docteurs ou soudeurs.
    Je voterai aussi pour Option national mardi car c'est pour moi le point de départ d'un profond changement politique au Québec. Le début d'un indépendantisme québécois solide et positif. Le vent s'est déjà levé et les voiles se gonfleront bientôt j'espère à moins que, comme vous le dites, les médias s'acharnent à détourner le message. Peu importe, je ne lâcherai point.
    Merci JM Aussant!

  • Archives de Vigile Répondre

    2 septembre 2012

    M. Charron,
    "Ne lâchez point
    Conseils d’un jeune octogénaire aux jeunes du printemps érable"
    C'est votre titre. Et à lui seul, il suffisait.
    Vous le dites en conclusion: l'élève dépasse le maître, en matière de communication.
    René Lévesque ne lisait un mémo que s'il ne dépassait pas une page. Aujourd'hui: 140 caractères pour exprimer sa pensée.
    Le reste de nos mémoires, il nous sert justement à notre propre mémoire, nous les têtes blanches qui souhaitons tant voir reprendre la Révolution tranquille avortée par la peur. Et j'abonde en votre sens: la peur est absente des Québécois des années 2000. Après le 4 septembre, s'ils nous sentent avec eux, ils poursuivront encore mieux.

  • Archives de Vigile Répondre

    2 septembre 2012

    Comme je suis contente de lire Claude Charron cela fesait longtemps qu'on ne l'avait lu. J'aime lire vos propos car pour savoir où l'on và il faut savoir d'où l'on vient.J'étais extrêmement fière de nos étudiants ces jeunes qui ont réveillé un Québec endormi par les Desmarais,les
    Chrétien, les Bouchard, etc.de ce monde. Tout comme vous j'ai été déçue de ne pas entendre Jean-Martin Aussant aux débats mais lorsque tu peux détruire les visions fédéralistes tout en gardant son calme et en étant capable de détruire leurs arguments,lorsque nous sommes convaincants ils prennent bien soin de nous faire disparaître et de nous faire oublier.Moi, je voterai stratégique c'est-à-dire PQ même si mon coeur est à ON car je ne veux pas prendre le risque de voir arriver au pouvoir la CACQ qui va venir finir le travail des libéraux.

  • Stéphane Sauvé Répondre

    2 septembre 2012

    Comme je n'ai pas votre courriel privé, et que je m'abstiens de commenter sur Vigile, je ne peux que vous dire, du fond de mes trip: Merci.
    SSB

  • Archives de Vigile Répondre

    1 septembre 2012

    "Les récents sondages nous prouvent en tout cas que, depuis qu’elle existe, cette radio poubelle a fait du « bon bouleau » dans notre capitale nationale, puisque là-bas on s’apprête à voter caquiste mur à mur. À une exception peut-être du quartier Saint-Roch, le bastion d’Agnès Maltais, les résidents du grand Québec feraient donc partie de « la majorité silencieuse » de Martineau. Mais ils tourneraient le dos à Jean Charest et se rallieraient plutôt à Legault lequel n’est sûrement pas un de vos plus grands amis."
    Le fait que seul le quartier le plus défavorisé de la ville de Québec, le quartier Saint-Roch, ne voterait pas pour la CAQ démontre que les Québécois, et en particulier ceux de la région de Québec, ne votent qu'en fonction de leur classe socio-économique.
    Plus tu as un bon emploi, un bon salaire, que tu fais la belle vie, que tu es "heureux" et "satisfait", plus tu as de chance de voter pour la CAQ.
    J’ai hâte d’être riche et de faire la belle vie pour pouvoir moi aussi voter pour la CAQ.