Ernest Glinne est mort le 10 août 2009

Nationalisme wallon et fraternité universelle

Chronique de José Fontaine

En 1960-1961 une grève de six semaines lancée à partir du 20 décembre contre un programme d’austérité du gouvernement belge paralysa la Wallonie six semaines. La grève fut déclenchée dans tout le pays, mais elle s’essouffla en Flandre où les syndicats chrétiens (largement majoritaires), ne la soutenaient pas. Début janvier, André Renard, le leader syndicaliste le plus extraordinaire de notre histoire, lança l’idée que cette grève devait avoir aussi comme finalité l’autonomie de la Wallonie dont les industries déclinaient dans le cadre capitaliste belge.
Au lendemain de l’échec de la grève Renard lança un mouvement le Mouvement populaire wallon. Une trahison de l’unité ouvrière belge selon beaucoup. Aucun socialiste ou syndicaliste wallon n’avait jusque là utilisé le levier politique des luttes sociales en vue de l’autonomie wallonne (l’Etat belge était aussi unitaire que la République française). Renard plongea la gauche en Wallonie dans une série de déchirements et de débats dont elle n’est pas sortie.
Au centre de ces déchirements et de ces débats, Ernest Glinne, né en 1931, dans la région de Charleroi dans une famille ouvrière, devenu ensuite l’un des parlementaires socialistes les plus brillants, par son immense culture, sa connaissance des langues, son engagement international contre la décolonisation, l’apartheid etc. Mais aussi par son engagement wallon. Un engagement wallon certes, perturbé (je ne trouve pas d’autres mots), par des débats idéologiques sur le nationalisme qui, d’une certaine façon, n’ont pas de sens (mais auquel tout un chacun fut sensible, Glinne le tout premier).
Un historien flamand, Maarten Van Ginderachter, a proposé en 2005 une solution à ces débats, estimant avec Michaël Billig qu’il existe un « nationalisme banal » qui peut qualifier simplement l’Etat-nation dans lequel on se situe (mettons le Canada ou la Belgique), ou dans lequel on voudrait se situer (mettons le Québec ou la Wallonie). Les premiers qui se situent dans un Etat-nation existant seront bien moins vite qualifiés péjorativement de « nationalistes ». En revanche les seconds seront immédiatement qualifiés comme tels. Alors que les uns et les autres sont aussi « banals ». La question de savoir qui est le plus à gauche, le plus humaniste, le plus ouvert au monde est à examiner indépendamment de la formule nationale à laquelle ils se réfèrent. Tout dépend du projet politique. En Wallonie, je pense que l’on peut dire que les nationalistes « banals » qui se réfèrent à la Wallonie sont bien plus à gauche, plus progressistes que les nationalistes belges « banals ». Glinne en a été un exemple formidable. C’est sans doute le député qui s’intéressa le plus aux questions internationales (la décolonisation notamment), aux questions sociales (la formation des travailleurs et sa gratuité nécessaire), aux questions éthiques (l’avortement, l’homosexualité). Tout cela, le 17 août de ses funérailles, éclatait magnifiquement au grand jour: aucun homme « important » pour faire son éloge, mais des syndicalistes de base, des travailleurs du Parlement européen (il y présidait le groupe socialiste), des gens de sa Ville, Courcelles, dont il fut le bourgmestre longtemps : des humbles, des gens vrais. Un artiste flamand qui résidait à Courcelles prit la parole en néerlandais. Si Glinne fut un nationaliste wallon, rares sont les hommes politiques qui auront des funérailles comme il les a eues : imprégnée d’un esprit qu’on se doit de résumer d’un mot : l’universelle fraternité humaine. En principe, un parlementaire nationaliste (« banal») belge pourrait en avoir d’aussi belles. Mais dans les faits, par rapport à ce que fut un Glinne, c’est – vraiment - exclu.
Biographie d'Ernest Glinne
Débat avec Maarten Van Ginderachter :

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    24 août 2009

    C'est surtout un bémol pour moi. L'éditeur de VIGILE sait que j'ai dû aller trop vite pour envoyer cet article et j'aurais dû signaler cette orientation finale d'Ernest Glinne dont il m'avait fait part à demi-mots en 2007 (et pourtant, je n'étais pas une de ses connaissances).
    Assez étonnamment, je crois que je ne l'ai jamais dit nulle part, et cela surprendra peut-être Alex: à la manifestation pour les métallos de Liège en mars 2003 (je pourrais retrouver le jour exact pour consolider ce que je vais dire ici),le syndicaliste Jacques Yerna (mort l'été de la même année) - qui, politiquement et éthiquement est à situer fort près de Glinne - m'avait dit qu'il se posait la question de la réunion à la France. Je me souviens très bien quand il me l'a dit et à quel moment, quel endroit même: c'était à la fin de la manifestation, sur la Place Saint-Lambert vers 13h. Yerna m'a dit ceci : "Je me demande si la solution ne serait pas, après tout, la réunion à la France." Il n'a pas dit qu'il fallait aller vers cela, il a exprimé cette pensée et c'est tout, mais c'est beaucoup (et je le regrette).
    Ceci dit, même dans une perspective rattachiste, pour quelqu'un comme Glinne ou Yerna, que voulait dire exactement la réunion à la France? Ce sont quand même des gens qui savaient bien l'étendue des compétences de la Wallonie qui, certes, ne sont guère mises en évidence publiquement, qui ne sont que susurrées de temps à autre par les responsables wallons, mais dont ils n'ont nulle intention de se défaire par ailleurs... Or ces compétences sont celles d'un Etat à moitié indépendant. Il a fallu attendre janvier 2008 pour qu'un chercheur important le dise, d'une certaine façon, en admettant que l'Etat belge était déjà un Etat confédéral. Mais je ne pense pas que cela ait eu une répercussion immense (dans les mentalités).
    Quel écart entre le nationalisme wallon et le nationalisme québécois!!!
    Il est vertigineux!
    Si le Québec avait ce que nous avons, politiquement, il serait distingué du Canada, je pense qu'on peut l'écrire, car, au Québec, un tel statut serait revendiqué, proclamé, crié sur tous les toits et en politique on fait des choses avec des mots (comme le disait Austin).
    En termes de compétences politiques et étatiques, nous avons obtenu en 1994 (soit 14 ans après la première vraie réforme de l'Etat en 1980), ce que les Québécois demandent depuis bien plus longtemps que nous : dans tous les domaines où nous sommes compétents, la prolongation de ces compétences - intégralement et sans réserve - sur la scène internationale...
    Or on sait les difficultés qu'il y a à nommer la Wallonie, encore aujourd'hui. Pourtant, lorsque le Ministre-Président wallon est à l'étranger, il est reçu dans le pays d'accueil - c'est le protocole qui le veut - par le Premier ministre de ce pays, parce que, effectivement, il a un rang égal à celui d'un Premier ministre national ou fédéral. La RTBF a indiqué récemment la qualité du Premier ministre écossais ou du Ministre de la Justice écossais, en les nommant comme tels: écossais. Nous sommes loin d'obtenir cette reconnaissance qui cependant ne serait même pas une reconnaissance de quelque chose qui existerait "de facto", car c'est quelque chose qui existe "de jure"!!!
    Nous pâtissons à cet égard de la proximité avec la France car, dans la culture politique de la France, il ne peut pas y avoir de Wallonie. Il suffit de lire quelques livres en anglais sur la Wallonie. Le monde anglo-saxon n'a aucune peine à prononcer le mot "Wallonie" ou à l'écrire. Mais nous n'en dépendons pas. Nous dépendons d'une culture politique et d'une culture où le statut réel de la Wallonie ne peut qu'être méconnu et même étouffé. Pour dix livres qui traitent de problèmes wallons ou des Wallons en anglais, je ne sais pas s'il y a en a même un seul en France (et ceux en français, il n'y a que nous pour les écrire, ce qui ne veut pas dire que les Français les lisent, loin de là!). Nous y sommes complètement ignorés, niés par le fait même.
    Le salut ne viendra pas de la France. Ni l'inverse non plus. Sur le plan où je me situe, il faut bien se rendre compte que tout ce que nous obtiendrons de reconnaissance de la France, c'est nous qui le lui imposerons et les faits. Plusieurs Premiers ministres wallons ont tenté d'obtenir pour la Wallonie la même reconnaissance que le Québec a obtenue (dont Sarkozy le prive), en 93 (Spitaels) et en 96 (Collignon): à Collignon, Mitterrand a dit à la fin de la conversation qu'il comptait bien sur lui pour maintenir l'unité de la Belgique! Manière de lui répondre qu'il n'avait qu'à aller se faire f...
    Je n'ai pas d'animosité contre la France, mais c'est vrai que cette attitude ne nous aide pas et qu'elle est profondément enracinée dans les mentalités françaises, puisque, même le Québec - malgré le général de Gaulle et son impact sur l'histoire de France (ce qui n'est pas rien) - est clairement renié aujourd'hui par la France et, sauf erreur de ma part, même pas seulement dans sa volonté d'indépendance, déjà même dans sa volonté d'être une société distincte. Je ne pense pas que même les Québécois fédéralistes se félicitent tout à fait de cela. Mais je pose la question à nos amis québécois...

  • Archives de Vigile Répondre

    24 août 2009

    Un bémol sur cet excellent hommage mérité que José rend à notre camarade Glinne.
    A la fin de sa vie, il y a quelques mois, son engagement aux côtés de PH Gendebien sur la liste RWF (Rattachement de la Wallonie à la France).
    Comment un défenseur de la nation wallonne a-t-il pu se joindre à cet ennemi de la Wallonie qu'est Gendebien et ses amis rattachistes?
    Il aurait pu se joindre à une liste, même plurielle, qui défend les intérêts de la Wallonie.
    J'avoue ne pas avoir compris, tout comme je ne comprends pas Claude Eerdekens et d'autres socialistes.
    L'avenir de la Wallonie , c'est son autonomie, pas son rattachement comme région à la France.