On fait souvent comprendre aux militants qu’ils doivent admettre que les médias institués intègrent la plus grande part des points de vue et que tout militant en demeurera éternellement insatisfait. Sauf si… le média devient lui-même le militant d’une cause au point de commettre des erreurs volontaires ou non (parfois, la différence est faible entre les deux), destinées à servir cette cause.
La RTBF, organe du militantisme et du royalisme belge
Des études plus poussées devraient illustrer mieux ce que j’avance ici. Pourtant, un observateur éminent comme le professeur Jacques Dubois concluait dans le même sens il y a 14 ans.
La RTBF a toujours dédaigné, au fond, les institutions de la Belgique fédérale et en particulier celles qui concernent les 80 % de son public, celles de la Wallonie. La RTBF n’est d’ailleurs pas une télévision wallonne, mais la télévision de la Communauté française puisque, à ce public wallon, s’ajoute son public bruxellois qui est probablement son vrai public et qui définit tous ses choix (en l’absence de toute vraie politique rédactionnelle). Le 1er octobre 2003, suite à une nouvelle initiative tendant à mettre en cause (à supprimer) cette institution, la Communauté française de Belgique, institution inutile et surannée qui se charge de l’enseignement en Wallonie et à Bruxelles comme si les deux Régions en étaient incapables ainsi que de la culture ou de l’audiovisuel, son directeur osait écrire à propos de son public principal : « La RTBF a une mission de service public de et dans la Communauté française. C’est notre cahier des charges. On a donc vocation à être la vitrine culturelle de cette Communauté et à en être proche. En tant qu’acteur déterminant de cette Communauté, la Wallonie doit donc avoir une place sur nos antennes… »
« Une place », nous avons « une place » à la RTBF. L’expression dont on se sert pour admettre les doléances de quelque minorité réduite et lointaine. Sur le ton dont on se servait pour les femmes, il n’y a pas longtemps encore, car il y a des minorités qui sont majoritaires, mais traitées en minorité. C’est le cas de la Wallonie en Belgique (là elle est une vraie minorité), mais aussi dans la Belgique française (là au contraire, elle est fortement majoritaire et sans elle il n’y aurait pas de Belgique francophone, c’est ce qui est le plus enrageant). Les fins de semaine, le personnel réduit de la chaîne l’empêche probablement d’envoyer « des équipes » en Wallonie sauf en cas d’inondations, images dont est vorace un média comme la télé, asservi à l’image.
La Wallonie est donc réduite à une nature de même que les humains qui y vivent (ses « naturels » constamment brocardés notamment pour leur accent) : les manifestations folkloriques des indigènes sont aussi fidèlement rapportées que les inondations de rivières, les sécheresses agricoles ou les incendies de forêt, à quoi on l’y réduit peu à peu. La nature c’est l’air pur destiné à vivifier les gens de la ville enfermés dans leurs thébaïdes. Les gens de Bruxelles, la seule ville aux yeux de certains en Belgique francophone (appellation déjà trompeuse), qui tient à se distancer de la Wallonie, notamment par l’accumulation de de ses titres de capitale (de la Belgique, de l’Europe, de l’OTAN, de la Communauté, des médias, de l’art et, ce qui pèse plus que tout, de Bruxelles elle-même, en réalité Ville-État).
Le Jt du 31octobre 2012
Le Journal télévisé du 31 octobre de cette année coïncidait avec l’anniversaire (jour pour jour), du vote définitif établissant la frontière séparant la Wallonie de la Flandre. J’ai pu retranscrire ce qui y a été dit et qui stupéfie.
D’abord, l’établissement de la frontière linguistique est décrit comme ayant coupé en deux le pays. Quand on sait la suite du JT, on devine pourquoi cette expression négative a été utilisée. En fait cette frontière a toujours existé. En 1600, les Franciscains et Jésuites, très présents dans le pays qui est un poste avancé de la Contre-Réforme catholique, divisent leurs provinces en deux selon un tracé qui correspond en gros avec l’actuelle frontière. Pour des raisons pragmatiques, leurs activités (prédication, enseignement, soins aux malades, aide aux pauvres etc.), l’appellent.
Certaines subdivisions de cette Belgique d’alors chevauchent la frontière, mais cela se marque souvent de diverses façons, d’où l’appellation Brabant wallon par exemple dès les années 1500 (le reste du Brabant étant flamand). En 1833, l’historien L.Dewez estime que la distinction entre Wallonie et Flandre est une évidence.
La politique de la France républicaine puis du Royaume des Pays-Bas à qui ont appartenu la Belgique actuelle (1795-1815 et 1815-1830), tiennent compte de la division et le roi de Hollande fait voter une législation en faveur de l’usage du néerlandais dans les communes flamandes qu’une frontière linguistique permet de déterminer, c’est la première fois que la frontière linguistique acquiert une signification administrative (voyez Kenneth D. McRae, Conflict and Compromise in Multilingual Societies : Belgium, Wilfrid Laurier University Press (1 january 1986), p. 18.).
La frontière établie en 1962 a donc des ancêtres et d’ailleurs aussi une première frontière tracée en 1932, mais qui était encore sujette à modifications.
En outre, bourde principale de la RTBF, ce ne sont pas les Wallons qui auraient refusé, en 1932, le bilinguisme étendu à tout le pays, les Flamands n’en voulaient pas. On devrait le savoir, ils avaient légitimement à mes yeux, réclamé la flamandisation complète de l’université de Gand et l’avaient obtenue dès 1930.
La séquence donne uniquement la parole à un Flamand prestigieux, l’ancien Premier ministre Martens (consulté encore lors de la crise politique récente par le roi) et qui explique en néerlandais que tracer une frontière c’est déterminer deux des éléments de l’État moderne (territoire, population) et rendre possible par là même la création d’un État fédéré flamand avec son gouvernement et son parlement. Il le fait donc en néerlandais. Mais personne n’explique à quoi la frontière correspond côté wallon.
On dit bien que André Renard avait vu cela d’un bon oeil, mais on ne dit pas pourquoi. De sorte que l’on reste avec sur les bras une explication fausse (les Wallons ne voulaient pas le bilinguisme en Wallonie), et absurde par sa mesquinerie. En fait, Renard a impulsé la quête de l’autonomie wallonne parce qu’il avait compris, comme syndicaliste de tout premier plan dans son pays et au-delà de son pays, que la Wallonie ne survivrait pas économiquement sans devenir autonome. Étrange quand même d’évoquer un Wallon mort avant le vote de la loi sur la frontière, sans expliquer pourquoi il la voulait et de donner la parole à un Flamand toujours vivant qui, lui, donne les raisons seulement côté flamand. Tout cela est plus longuement, avec les sources adéquates, discuté ici. Mais ce n’est pas fini.
Ajoutons que le JT explique à tort que la frontière linguistique a été votée à la Chambre par une majorité de parlementaires flamands opposée aux députés francophones : en réalité les Bruxellois francophones ont voté majoritairement (13 contre 9), avec les Flamands : les Wallons essentiellement ont subi la majorité flamande ET bruxelloise francophone, celle-ci devenant coresponsable du problème des Fourons qu’elle a constamment méprisés ensuite.
Le sketche de propagande nationaliste belge
Non content de travestir les faits, la RTBF envoie une équipe à la frontière entre la commune wallonne d’Otrange et la commune flamande de Law. Il n’est pas difficile de trouver des voisins, wallons et flamands, qui s’entendent merveilleusement bien, comme on peut trouver cela à la frontière de tous les pays qui ne sont pas en guerre. J’ai moi-même habité pas loin de la frontière linguistique à Enghien. Ma promenade du soir s’effectuait selon un circuit qui m’amenait en Flandre où je saluais le fermier voisin qui m’expliqua un jour la retraite heureuse que lui valut la vente des terres sur lesquelles était construite ma maison. Un peu plus loin, j’avais un grand ami flamand Maurits van Liedekerke, rédacteur en chef du journal Wij, organe à l’époque du parti nationaliste flamand centriste Volksunie. Il m’accueillait avec une bière wallonne quand j’allais chez lui, et moi avec une bière flamande quand il venait à la maison. Nous avons gardé le contact.
Ces amitiés ou ces bons voisinages ne sont évidemment pas rares. Faudrait-il que l’on s’entretue nécessairement pour fixer une frontière?
On dirait que c’est ce que voudrait la RTBF pour que la frontière ait du sens!
Faute de constater que sang n’y coule pas perpétuellement, il faut que la séquence que je commente ici se conclue par une phrase de pure propagande politique.
Cette phrase invalide tous les processus par lesquels la Belgique est devenue fédérale et la Wallonie autonome avec bientôt plus de 60 % des compétences étatiques alors qu’elles étaient encore à zéro en 1980. Elle tend à ridiculiser dans l’esprit de l’opinion toute notre histoire de Wallonie depuis 1980 et avant, la construction d’un État dont nous avons vitalement besoin pour survivre. Cela d’autant plus que les mécanismes fédéraux de solidarité seront supprimés d’ici 10 ans. Et que le chômage est deux fois plus élevé en Wallonie qu’en Flandre.
Voici cette phrase : « Flamands, Wallons au fond quelle importance! c’est avant tout une histoire d’habitants d’un même pays et de leur vie tranquille loin des querelles linguistiques. »
C’est de la pure et simple propagande politique qui détourne l’argent alloué à la RTBF en vue d’une cause qu’elle n’a pas à défendre puisque les institutions qui la font vivre sont bien des institutions qui ont été mises en place grâce à la fixation de cette frontière linguistique. Dont on nie toute importance pour les Wallons alors que le pouvoir politique dont ils dépendent, du fait de cette frontière, est déjà le plus important pour eux, importance qui va supplanter celle du fédéral en raison de l’énorme transfert de compétences (17 milliards d’€ prévus par le gouvernement actuel), du fédéral vers les entités fédérées (qui totalisent déjà 51 % des ressources publiques contre 49 % au fédéral pour le fonctionnement des organes supérieurs de l’État, soit les entités fédérées et l’État fédéral : voir Charles-Etienne Lagasse, Les nouvelles institutions politiques de la Belgique et de l’Europe, Érasme, Namur, 2003, pp. 288-289.).
Se plaindre à la RTBF?
Il me semble qu’il est devenu impossible de se plaindre à la RTBF. Je parie même qu’elle ne rectifiera pas la bourde énorme commise (la frontière linguistique a comme origine le refus par les Wallons du bilinguisme) et dont on sait qu’elle est commise d’ailleurs, encore souvent, par des gens qui pourtant devraient s’y connaître (1). Le nationalisme belge aveugle à ce point la RTBF qu’il me semble aujourd’hui impossible que cette télévision s’intéresse à la tâche primordiale qui est la sienne et qui est d’informer les Wallons qui, d’ailleurs, sont les contribuables qui financent très majoritairement ce service public dénaturé. Journaliste moi-même, je n’ai d’ailleurs nullement envie que l’on fasse pression sur d’autres journalistes (bien que la RTBF vienne quasiment d’exclure l’un des siens, Frédéric Deborsu, coupable, lui, d’avoir mis en cause la monarchie et qui vient de recevoir un soutien mesuré et critique, mais bien réel de l’Association des Journalistes professionnels : j’en ai parlé ici la semaine passée).
En principe, je trouve qu’un journal devrait résister aux tentations des radios-trottoirs où il n’est pas difficile de pousser les gens à s’exprimer de manière poujadiste ou antipolitique (comme ce 31 octobre). Un journal devrait aussi résister à ce que l’on appelle le « populisme », mot que je trouve inadéquat et auquel je préfère « poujadisme » et « antipolitisme » quand il s’agit des citoyens et qui est de la « démagogie » quand il s’agit des politiques et des élus.
Mais le filon nationaliste belge sera encore longtemps exploitable. Une grande partie de l’opinion publique wallonne, que renforce le nationalisme belge de la plupart des médias et une grande partie des élites, trouve chez ces gens qui ont du prestige, la justification principale de sa propre inculture politique et de son aveuglement face à un avenir politique et social catastrophique. Certes, c’est pour dans dix ans. Ce qui est long. Et en attendant, pour se faire élire, il vaut mieux surfer sur cette vague nationaliste belge, comportement que le premier ministre belge actuel, un Wallon, impose au fond comme modèle à toute la classe politique. La presse a même parlé lors de visites qu’il organisait dans des villes, de Joyeuses-Entrées, terme médiéval qu’on a utilisé pour le prince héritier et sa fiancée lors de leurs passages dans les mêmes villes devant des foules clairsemées, où l’on contraint les enfants des écoles à applaudir. Ce n’est pas la moindre faute de déontologie de la RTBF que de tout faire pour faire croire qu’il y a du monde lors de pareils événements qui en deviennent pathétiques. Lisez, cela en vaut la peine!
(1) Stéphane Rillaerts La frontière linguistique, 1878-1963 in Courrier hebdomadaire du CRISP 2010/24-25 - n° 2069-2070, p. 41. Il cite l’ancien PM Dehaene. On pourrait l’historien Paul Wynants, le PM actuel Di Rupo qui confond même 1962 et 1932, d’autres encore (La Libre Belgique, 7 janvier 2003, p. 14. Article d’O.Mouton).
Nationalisme belge et désinformation à la RTBF
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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1 commentaire
José Fontaine Répondre
4 novembre 2012Une erreur m'a amené à mal dater cet article. Je le communique à Erick Frappier n'ayant pas d'autre courriel à ma disposition. Il est en réalité du 3 novembre 2012
José Fontaine