Nation: le chemin parcouru

La nation québécoise vue par les fédéralistes québécois


Le premier ministre Stephen Harper, prenant tout le monde par surprise, a lancé une bombe politique en affirmant que "les Québécois forment une nation dans un Canada uni". C'est là un virage majeur dans le discours canadien.
Et il faut voir cette déclaration, et le fait qu'elle sera appuyée par les trois partis fédéralistes à la Chambre des communes comme un progrès très significatif pour les Québécois, pour qui la reconnaissance de ce qu'ils sont par le reste du Canada revêt une grande valeur symbolique.
Mais ce progrès est fragile. Il y a quelques jours, cette question menaçait le Parti libéral du Canada, en pleine course au leadership, d'une crise grave qui aurait eu des effets désastreux au Québec. C'est d'ailleurs pour profiter de ce désarroi libéral que le Bloc québécois a déposé une motion en Chambre sur la nation québécoise. Et c'est pour déjouer cette manoeuvre parlementaire que M. Harper a pris les bloquistes de court en proposant sa propre formulation. Nous sommes dans la tactique parlementaire plutôt que dans le solennel débat de société.
Par ailleurs, il est évident qu'une motion de la Chambre des communes est loin de la reconnaissance constitutionnelle formelle que souhaite le Québec. Et surtout, il est clair que ce consensus des parlementaires ne se reflète pas dans l'opinion publique canadienne comme le montrent les réactions négatives des médias canadiens à la déclaration du premier ministre.
Ces nuances étant faites, on ne peut pas minimiser ce virage, comme l'a fait avec très peu d'élégance le chef bloquiste Gilles Duceppe, pris à son propre jeu. Peut-on sérieusement dénoncer pendant des années le Canada parce qu'il ne reconnaît pas la nation québécoise pour affirmer, lorsque le Canada s'exécute, qu'il n'y a rien là?
L'argumentaire de M. Duceppe ne tient pas la route. Il reproche à M. Harper de ne reconnaître cette nation que dans le contexte canadien, ce qu'il voit comme l'imposition d'une condition inacceptable. Par définition, quand on demande au Canada de reconnaître le Québec comme nation, c'est un débat canadien, avec des Canadiens, qui devrait mener à la modification de la constitution canadienne. La société distincte, c'était aussi dans le Canada. Si la nation dont on parle n'est pas au sein du Canada, il s'agit de souveraineté, et il serait franchement ridicule d'en discuter à Ottawa.
Mais cette reconnaissance ne suscitera pas au Québec une explosion de joie, parce qu'elle prend acte de ce qui est depuis longtemps une évidence pour une grande majorité de Québécois des deux côtés de la barrière.
Voilà une société, concentrée sur un territoire, qui a une histoire commune, des institutions propres, une langue commune, l'un des marqueurs identitaires les plus puissants. Elle constitue en outre une minorité, ce qui renforce son désir de se protéger et de s'affirmer. À cela s'ajoute un autre élément, subjectif mais essentiel, et c'est le sentiment largement partagé de constituer une nation.
La plupart des sociologues et des politologues voient le Québec comme une nation. À peu près tout le monde, hors de nos frontières, décrira sans malaise le Canada comme un État binational, ou plurinational, en tenant compte des autochtones, comme on le fait pour d'autres pays où coexistent plus d'un peuple, la Belgique ou la Suisse, et maintenant l'Espagne et la Grande-Bretagne.
Bien sûr, les choses ne sont pas si simples. On peut dire que ce n'est pas le Québec qui constitue une nation, mais plutôt les Canadiens-français, puisque cette nation se définit d'abord par sa langue. Ou encore que le concept moderne de nation civique est imparfait, parce que de nombreux Québécois non francophones ne se reconnaissent pas dans cette nation. On peut également dire que le concept est imprécis et qu'il a autant de définitions qu'il y a de Québécois, dépendant de la façon dont chacun établit sa propre identité et ses appartenances. Tout cela est vrai. Mais ce ne sont là que des contradictions qui sont le propre des sociétés humaines, ici et ailleurs.
Il n'en reste pas moins que cette "chose" est là, qu'elle est au coeur de notre vie politique dominée par le nationalisme, qu'elle a donné naissance au mouvement souverainiste, qu'elle est le principal obstacle à l'harmonie constitutionnelle. Il n'est certainement pas bête de la nommer et de prendre acte de son existence.
Le Québec a donc parcouru un bon bout de chemin grâce à l'initiative du candidat favori au leadership libéral, Michael Ignatieff, qui a ouvert ce débat sur la nation québécoise, et avec l'intervention fort heureuse du premier ministre Harper. Mais le chemin qui reste à parcourir sera long. C'est ce qu'on verra demain.


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