M. Bernard Landry,
Après avoir reconnu que le Québec est déjà un État national puissant, qui, au sein du Canada, possède des capacités d'agir bien supérieures à celles d'un grand nombre d'États dits souverains, vous y allez d'une affirmation équivoque. En effet, dans un [texte paru dans La Presse du 16 novembre 2006->2932], vous affirmez que l'indépendance du Québec est ni plus ni moins qu'une question de dignité. Nous, les Québécois, devons "choisir la liberté" et "assumer notre destin la tête haute", dites-vous. Dans un autre journal moins diffusé que La Presse, vous avez même livré le fond de votre pensée en affirmant que j'étais "un héritier de Trudeau, un colonisé dans l'âme" (L'Union de Victoriaville, 15 novembre 2006).
Si vous vous demandiez encore pourquoi les Québécois refusent d'appuyer massivement votre option politique, c'est que vous leur présentez des arguments qui, en cherchant à exploiter le ressentiment, la frustration et la victimisation, sont tellement grossiers qu'ils ne collent pas à leur réalité quotidienne.
Les Québécois ne sont pas libres au sein du Canada, dites-vous? Vous me permettrez de vous contredire. Vous en connaissez beaucoup de pays, même parmi ceux que l'ont dit démocratiques, qui offrent autant de liberté que le Canada, y compris celle qu'ont les Québécois de choisir leur destin national?
Quand un peuple est vraiment opprimé et colonisé, il ne laisse pas passer une occasion, encore moins deux, d'obtenir démocratiquement son indépendance. L'enthousiasme populaire pour l'option souverainiste n'y est pas, car une majorité de Québécois considère avec raison que les imperfections du fédéralisme canadien ne justifient pas la solution radicale que vous proposez.
Il n'y a jamais eu d'adéquation nécessaire entre les mots liberté et indépendance. La liberté est un concept qui ne peut être réduit à l'idée d'indépendance. Les Québécois sont-ils moins libres, par exemple, que les Cubains ou les Chinois? Il y a quarante ans, déjà, feu Claude Ryan écrivait à cet égard: "Nous nous méfions du tempérament de ceux qui nous promettent la liberté absolue. Quand on a l'avantage d'être un peu plus libre que la grande majorité des peuples de la terre, on ne sacrifie pas allégrement ce qu'on a sur l'autel d'une liberté théorique qui, absolue, risquerait de devenir vite limitée" (Le Devoir, 23 septembre 1967).
Formule de l'avenir
Les qualités réelles du fédéralisme contribuent à en faire la formule politique et juridique de l'avenir. Un nombre sans cesse croissant de pays se fédéralisent. Même l'Union européenne a adopté jusqu'à présent un grand nombre de traits fédéraux, ai-je écrit dans une lettre ouverte parue dans La Presse le 31 octobre 2006. Je n'ai jamais dit que l'Union européenne constitue présentement une fédération, ni qu'elle en sera une un jour. Ni vous ni moi ne pouvons prédire comment l'Europe évoluera.
Si l'Union européenne est pour l'instant un modèle mixte, hybride, sui generis, à mi-chemin entre la confédération et la fédération véritables, force est cependant de constater que les États d'Europe ne conservent plus "scrupuleusement" leur souveraineté, comme vous le prétendez. Ils acceptent au contraire de se contraindre mutuellement dans des domaines considérés avant comme fondamentaux au plein exercice de la souveraineté étatique: le contrôle de la dette et des déficits, la monnaie et le cours de l'argent, etc. Comme au Canada, ils collaborent désormais au sein d'institutions communes, tels un parlement, une banque, une cour de justice, une armée, etc.
Vous aimez invoquer les concepts de dignité, de respectabilité et de liberté au soutien de la thèse souverainiste. Une nation digne, respectable et libre de son destin n'a-t-elle donc d'autre choix que d'opter pour la séparation ou la sécession? Ne peut-elle pas choisir librement de s'affirmer dans un ensemble plus large, comme celui que constitue la fédération canadienne, tout en conservant sa dignité et sa respectabilité?
J'ai une inébranlable confiance en nous, Québécois et Québécoises de toutes origines. C'est précisément parce que j'ai confiance en ce que nous sommes collectivement que je crois en notre capacité de nous épanouir en tant que nation, tout en continuant de profiter des avantages qui découlent de notre appartenance à la fédération canadienne.
L'auteur est ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes.
Une nation libre... au sein du Canada
La liberté est un concept qui ne peut être réduit à l'idée d'indépendance
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
1 décembre 2006"Normand Perry. L'auteur est philosophe et chroniqueur du dimanche à Vigile"
(se tord de rire)
Normand Perry Répondre
29 novembre 2006Lorsque l'évidence est trop évidente, lumineuse ou aveuglante, il est normal de ne pas la voir et de bien vouloir l'admettre.
Et lorsque que nous sommes à court d'arguments devant l'évidence aveuglante tout le niant, il est également normal de ne plus savoir quoi dire et de finir par dire à peu près n'importe quoi.
C'est l'exercice auquel vient de se livrer le ministre Benoît Pelletier dans cette rhétorique aussi creuse que les profondeurs du Canyon !
Normand Perry.
L'auteur est philosophe et chroniqueur du dimanche à [Vigile->www.vigile.net]