Dans [un texte d'une candeur étonnante, paru le 27 octobre dernier dans La Presse->2569], Bernard Landry affirmait que "la nation québécoise possède et contrôle déjà un puissant État-nation (...) Notre État-nation même sans la souveraineté complète est même plus puissant à certains égards que bien des États-nations formellement souverains ne le sont en réalité. Notre État dispose déjà d'importants moyens juridiques et financiers (...)". Le Québec devenu indépendant, ajoute-t-il, " n'aura en pratique qu'un seul ministère à créer, celui de la Défense nationale (...) Il a déjà tous les autres.
Jamais un leader souverainiste n'a fait un tel aveu concernant les rôles et responsabilités du Québec au sein de la fédération canadienne. Cet État-nation puissant, dont parle Bernard Landry, s'est développé à l'intérieur du Canada. Loin d'être colonisés, opprimés ou bafoués, les Québécois bénéficient, selon Landry, de compétences qui font l'envie d'un grand nombre d'États souverains.
Il est vrai cependant que, contrairement aux pays indépendants, le Québec n'a toujours pas sa propre armée. Pardon, sa propre force de " maintien de la paix ". Une force à laquelle Gilles Duceppe s'empresse d'ajouter une garde côtière, des sous-marins et... un service d'espionnage (Le Devoir, 19 octobre 2005). Que pour mieux servir les Québécois, Jean Charest ait l'ambition de former davantage de professeurs, de travailleurs sociaux, de médecins ou d'infirmières n'est pas suffisant, cela fait trop " provincial ". Il faut aussi former des espions.
En reconnaissant que des États souverains ont moins de pouvoirs que le Québec, Bernard Landry démontre que la souveraineté n'est pas une fin en soi et que, au contraire, elle est fort relative dans bien des cas. Il contredit aussi la thèse voulant que le fédéralisme canadien soit un frein au développement du Québec. S'il faut en croire ses propos, le Canada est plutôt un levier de premier ordre pour le Québec. Ceux et celles qui voudront à l'avenir présenter le Canada comme un carcan feraient mieux de s'en inspirer.
Évidemment, l'ancien premier ministre n'en est pas à sa première contradiction. Sous René Lévesque, il faisait la promotion de la souveraineté-association, une confédération politique chapeautée d'organismes paritaires qui auraient le contrôle de la politique monétaire, de la défense, de la politique extérieure, de la poste, etc. À l'époque, et jusqu'à tout récemment, mettre en commun avec le reste du Canada des domaines aussi vitaux pour la souveraineté nationale ne posait pas de problèmes à Bernard Landry. Au contraire, il était d'avis que la souveraineté-association était " la seule solution qui puisse convenir à une nation digne de ce nom ". (La Presse, 24 octobre 2001). Dans le même article, il ajoutait qu'il s'agissait-là d'un projet " moderne ", " une union de type confédérale à l'européenne ".
Or, quand il a compris que l'Union européenne adoptait de plus en plus de traits fédéraux, Bernard Landry a rapidement décrété la caducité de l'union confédérale (Le Devoir, 28 août 2003). L'été dernier, le vote du Monténégro en faveur de la souveraineté semblait l'avoir conforté dans son nouveau choix en faveur de l'indépendance pure et dure. C'était passer sous silence le fait que la volonté des Monténégrins était largement motivée par la perspective d'une adhésion rapide à cet ensemble plus large qu'est l'Union européenne.
N'en déplaise à Bernard Landry, force est de constater qu'en Europe et ailleurs dans le monde, les fédéralistes incarnent le progrès, l'innovation et la modernité. Alors que des ennemis que l'on qualifiait " d'héréditaires " comme l'Allemagne et la France mettent aujourd'hui leur souveraineté nationale en commun, leur monnaie, leurs frontières, leurs politiques fiscales, leurs politiques sociales, même leur politique étrangère et de défense, ici, les souverainistes cherchent à nous convaincre de marcher en sens inverse.
Bernard Landry termine son texte en se demandant pourquoi la nation québécoise devrait se satisfaire du statut de province et renoncer à l'égalité avec les autres nations de ce monde. Il devra lui-même - ainsi qu'André Boisclair d'ailleurs - répondre à la question suivante : pourquoi le Québec, qui formerait déjà un État-nation puissant et qui aurait déjà plus que bien des États souverains de ce monde, voudrait-il emprunter la voie périlleuse de la sécession et se priver des avantages du lien canadien pour seulement quelques pouvoirs de plus ? En fait, nul besoin de répondre, c'est déjà fait. Merci, monsieur Landry.
L'auteur est ministre des Affaires inter-gouvernementales canadiennes.
Merci, monsieur Landry
L'ex-premier ministre contredit la thèse voulant que le fédéralisme canadien soit un frein au développement du Québec
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