Oui, il faut en parler

Accommodements raisonnables


Les incidents récents qui ont échauffé les esprits et redonné de la vigueur au débat sur l'accommodement raisonnable ont deux caractéristiques. Premièrement, ils n'ont pas été provoqués par des décisions des tribunaux et, deuxièmement, ils n'impliquent pas des communautés immigrantes!
C'est quand même paradoxal quand on sait que ce débat oppose d'habitude deux visions: d'un côté, ceux qui pestent contre les chartes des droits et estiment que les tribunaux sont trop conciliants face à des exigences des minorités qu'ils trouvent excessives, et de l'autre, ceux qui craignent que de tels débats ouvrent la porte à l'intolérance face aux immigrants.
Ce qui a mis le feu aux poudres, on se le rappelle, c'est d'abord l'existence d'écoles illégales, tolérées par l'État, même si elles ne respectent pas les programmes. C'est ensuite deux incidents mineurs, mais révélateurs, qui impliquaient la communauté juive hassidique la décision du YMCA de l'avenue du Parc de masquer les fenêtres d'une salle de yoga pour ne pas heurter leur pudeur, et un bulletin interne du service de police qui suggère aux policières de se faire discrètes dans leurs échanges avec les juifs hassidiques.
Dans les trois cas, aucun accommodement déraisonnable imposé par un quelconque processus judiciaire. Mais des décisions prises sur le terrain: la tolérance du ministère de l'Éducation, les efforts de bon voisinage du "Y", les efforts d'ouverture du service de police. On ne peut donc pas blâmer les tribunaux, le multiculturalisme imposé par le Canada, ou conclure à la nécessité de dépoussiérer les chartes. Mais il est clair qu'il y a un lien entre ces décisions et la culture des droits. Elles trahissent toutes le désarroi d'une société qui ne sait pas sur quel pied danser et qui ne sait pas où tracer la ligne.
Dans les trois cas aussi, les protagonistes ne sont pas des immigrants. La communauté hassidique est établie ici depuis plusieurs générations. Et si, parmi les écoles illégales, il y a des écoles talmudiques, on y trouve aussi plusieurs écoles chrétiennes pentecôtistes qui enseignent le créationnisme à de petits francophones "de souche".
Ces deux particularités peuvent nous aider à aborder ce débat de façon un peu plus sereine. Oui, il faut parler de ces choses-là. Mais cette réflexion collective sur les bienfaits et les limites de la logique de l'accommodement raisonnable peut se faire sans déclencher de débordements d'intolérance.
Par réflexion collective, je ne pense évidemment pas à la sortie de Mario Dumont. Le chef adéquiste a encore montré qu'il a un pif politique certain qui lui permet de sentir d'où vient le vent. Il a également un sens de la formule: "on ne peut défendre l'identité québécoise avec un genou à terre". Mais il lui manque un ingrédient essentiel: le leadership. Quand on veut aborder une question délicate comme celle-là, il faut proposer une démarche et des éléments de solution. Sinon, ce n'est que du populisme opportuniste qui risque surtout de nourrir les frustrations.
La nature des incidents nous rappelle que l'enjeu n'est pas la qualité des liens entre les nouveaux venus et la société d'accueil, mais plutôt les rapports entre des minorités religieuses et la société dans son ensemble. Ce que soulève l'accommodement raisonnable, c'est surtout la question des droits de pratique religieuse, la place de la religion dans l'espace public et dans l'espace privé.
Dans les faits, la plupart des communautés immigrantes et la grande majorité des nouveaux venus acceptent assez bien les règles du jeu de la société d'accueil. Les accommodements raisonnables n'affectent que de très petites minorités dévotes au sein des minorités et constituent une réalité marginale, quoique visible, qu'il ne faut donc pas dramatiser. Il est donc possible de fixer des limites aux accommodements sans affecter la qualité des rapports avec la majorité des immigrants et sans ouvrir la porte à l'intolérance.
D'ailleurs, la qualité de ces rapports avec les communautés dans leur ensemble constitue certainement une piste pour désamorcer les crises. Le problème de l'application des chartes, c'est qu'elles reposent essentiellement sur les droits individuels, ce qui mène entre autres à définir des accommodements qui répondent aux demandes des membres les plus militants des minorités.
Dans les faits, les rapports entre la majorité et ses minorités relèvent bien davantage des processus sociaux et des droits collectifs. Des solutions collectives, qui reposent sur les attentes et les besoins des groupes, et non pas sur ceux des individus les plus exaltés, nous aideraient à mieux concilier les besoins des nouveaux venus dans leur processus d'intégration et ceux de la majorité qui veut préserver ses valeurs.


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