Montréal et Bruxelles peuvent tuer leurs hinterlands

Chronique de José Fontaine

Karl Deutsch estimait qu’un territoire situé dans l’hinterland d’une métropole ne peut jouir d’une vraie autonomie. Si Montréal n'est plus majoritairement française (=n’est plus québécoise), le Québec meurt. L’élection du 1er novembre dernier amène à poser la question. Bruxelles, quoique de langue française, est bien la métropole de la Wallonie, mais pas pour la Wallonie. La Wallonie, comme le Québec, est donc menacée de mort aussi et cela, depuis deux siècles. Nous vivons, sous d’autres modalités, le drame du Québec jusqu’au fond de notre cœur de patriotes wallons.
Rappel
Territorialement, la Flandre est une Région autonome, Bruxelles aussi, la Wallonie aussi. La Belgique est tripartite. Mais à côté des trois Régions territoriales, existent des Communautés se définissant par la langue parlée : une Communauté flamande et une Communauté française, pouvoirs politiques autonomes également (1). La Communauté flamande regroupe la Flandre de 6.000.000 d’habitants et les quelques dizaines de milliers de Bruxellois flamands. La Flandre a fusionné Communauté flamande et Région flamande dans la Vlaamse Gemeenschap, devenue sa seule voix politique ou institutionnelle. La Communauté française regroupe les 3,4 millions de Wallons (1) et le million de Bruxellois francophones. Du côté francophone, l’absorption du million de Bruxellois francophones par la Wallonie n’est pas faisable politiquement. A côté d’une Région bruxelloise et d'une Région wallonne, demeure donc une Communauté française chargée exclusivement de l’enseignement et de la culture dans ces deux Régions (nombre de ses compétences leur ont été transférées en 1993 à cause de son impécuniosité chronique).
En 1993, certains auraient voulu aller plus loin et transférer tout à la Wallonie (et à Bruxelles), y compris la culture et l’enseignement. Une communauté politique se doit de mener des politiques scolaires culturelles liées aux autres politiques, cela tombe sous le sens. Mais cela ne se fait pas.
Il s’ensuit une série d’imbroglios néfastes. Le dernier en date souligne la nuisance d’un tel système pour la démocratie. Le voici.
Payer pour s’asservir et se détruire
La Communauté française sans assise territoriale ne peut lever d’ impôts. Elle fait donc appel à Bruxelles et à la Wallonie, car elle est en difficultés suite à la crise. Dans son dernier budget, le gouvernement wallon a décidé de l'aider par une contribution importante (200 millions d’€). C’est d’autant plus lourd que cette contribution serait prévue pour de très nombreuses années. Or, la Région bruxelloise, prétextant ses difficultés à elle et son statut (elle est bilingue et les Flamands y occupent politiquement une place très importante), ne consentira (avec l’accord invraisemblable des dirigeants wallons), aucun soutien à la Communauté!
Or, Bruxelles, métropole écrasamment francophone, concentre sur son territoire un ensemble de réalités matérielles et symboliques de Belgique française (bibliothèques, hautes écoles, universités, théâtres, maisons d’édition, maisons productrices de films, mille associations sociales et culturelles … qui relèvent de la Communauté qui les finance !!!), rendant Bruxelles au total plus riche que la Wallonie. Les Wallons financent donc maintenant les activités qui les rendent moins riches et moins influents que Bruxelles, qui les rendent moins visibles dans le monde, en particulier le monde de culture française, qui les rendent moins dotés d’écoles de niveau supérieur et du rayonnement qui les accompagne etc. Somme toute, les dirigeants wallons acceptent sur le plan si vital de l’enseignement et de la culture de contribuer financièrement à la prépondérance de Bruxelles, quitte à se ruiner et à redevenir des provinciaux plus dépendants de Bruxelles qu’avant l’autonomie si durement conquise contre l'Etat unitaire.
La solution à cela, les régionalistes tant bruxellois que wallons l’ont donnée, ensemble et à plusieurs reprises : tout transférer aux Régions. Mais les partis politiques francophones belges ne l’acceptent pas. Leur référence ultime, ce ne sont pas les Régions (Bruxelles et la Wallonie), dans lesquelles sont pourtant élus, distinctement, les Parlements wallons et bruxellois. Leur référence ultime, ce sont les partis, qui s’organisent sur un plan francophone ignorant les Régions. Les partis sont des machines qui produisent des dirigeants, à la faveur d’un système électoral qui laisse peu de choix aux électeurs, des machines se dissimulant sous un voile idéologique à l’authenticité douteuse et dirigée de manière autoritaire par un Président tout-puissant faisant et défaisant les carrières. Tout cela dilue les responsabilités ultimes de tout dirigeant politique démocratique, partout ailleurs dans le monde libre, celles à l’égard du Parlement qui le contrôle et, par là, des citoyens dont il est le chef et le représentant. Les partis qui manipulent les institutions régionales (Wallonie et Bruxelles), les vident donc de leur sens démocratique. Tout en priant les habitants de la Wallonie de financer – à très grands frais et pour un temps qui va durer longtemps - les obsèques d’un pays en voie d’être privé de son système représentatif et de dirigeants responsables et identifiables. En effet, avec des non-pays (comme l'est la Communauté française dans laquelle on veut noyer la Wallonie), les hommes politiques ne sont plus nulle part, leur pouvoir ne peut être identifié et le Politique sombre dans l'indéchiffrable.
PS: On lira ici toutes les informations:Lettre du Mouvement du Manifeste Wallon, La Libre Belgique, la RTBF, des polémiques Wallonie-Bruxelles.
(1) Je n’oublie pas les 70.000 habitants de la Communauté germanophone, mais comme cette petite Communauté pèse moins dans le problème exposé, je la néglige par pure méthode.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    9 janvier 2010

    Tout dépend de la façon dont on se positionne comme pays. Pour le Québec, c'est le français (et aussi d'autres choses, mais c'est le nerf de l'affirmation nationale).
    Nous, Wallons, notre préoccupation première n'est pas linguistique et la proximité linguistique de Bruxelles ou de la France peut devenir un handicap. A l'autonome 1987, à l'université de Liège, a lieu un colloque sur le cinéma québécois. Les Québécois nous disent les difficultés face au monde anglo-saxon, pour finir par nous dire que nous, nous n'avions pas de problèmes avec la France. Tous les Wallons se sont récriés. Le rayonnement du cinéma français faisait justement alors que le cinéma wallon (ni même belge), ne pouvait pas exister. En revanche, la mondialisation et la transformation de la Belgique en Etat fédéral l'a énormément servi: le cinéma wallon s'est (encore que ce soit relatif), émancipé de l'étiquette belge et il a pu être reconnu internationalement (y compris en France), parce que la France n'était plus la seule caisse de résonance possible, mais Cannes, événement international.
    Bruxelles est un grand pôle voisin, proche, amical (tout ce que l'on voudra), mais qui ne facilite pas l'existence. Il m'est arrivé de recevoir des étrangers pour peu de temps, soucieux avant tout de voir Bruxelles dont le nom est connu internationalement. Le temps manquait pour voir la Wallonie mais, hélas!, à Bruxelles, la Wallonie est invisible. Même pour un Bruxellois (tendance de tout qui habite une grande ville). François Schuyten (le dessinateur), à qui je demandais un jour pourquoi la Wallonie était absente de ses dessins m'a dit: "Parce que je ne la sens pas palpiter". Or c'était à une époque où la Wallonie traversait une vraie tragédie et dans une génération où elle avait violemment mis en cause l'Etat belge, tout le contraire de quelque chose qui n'aurait pas "palpité". Brel et beaucoup de grandes références francophones belges internationales (Hergé par exemple), sont des références qui confirment l'inexistence de la Wallonie. Or celle-ci a un patrimoine finalement plus riche que Bruxelles et un profil de pays. Je comprends parfaitement les difficultés du Québec, mais selon les critères wallons, ce sont d'autres difficultés qui nous empêchent d'exister et nous menacent d'ailleurs à terme de disparition, puisque la France nous annexe et que Bruxelles nous ignore. Je le dis sans les considérer comme des adversaires. On me rétorque souvent que nous avons de la chance d'être proches d'une grande métropole francophone et de la France, puissance mondiale. C'est vrai (en partie), si l'on considère les Wallons comme 3,5 millions d'individus. Mais comme collectivité la Wallonie est à l'ombre de ces deux grands arbres qui l'occultent par la simple dynamique de leur être. Il arrive souvent que ceux à qui je fais valoir cela, haussent les épaules. Je peux les comprendre: ils pensent que la Wallonie n'existe pas comme collectivité, que les Wallons sont des individus destinés à perdre leur appartenance. Or, cela, je ne l'admets pas et et ne pourrai jamais l'admettre parce que ce serait signer l'arrêt de mort d'un peuple. Ceci dit, on peut signer cet arrêt-là en se disant que ce peuple n'existe pas. C'est probablement ce que vous pensez, sans voir où est le mal et je ne mettrais pas en cause votre bonne foi, vous demandant simplement de m'écouter.
    C'est notre autonomie politique qui nous sauvera.

  • Archives de Vigile Répondre

    8 janvier 2010

    C'est plutôt étrange, quand j'ai lu le titre je pensais que vous feriez une comparaison entre le Québec et le Flandre ! A savoir que, malgré sa prospérité, la Flandre ne peut empêcher le français d'être lingua franca et de menacer la flamandicité de la périphérie !
    Puisqu'il est question de la Wallonie, il est certain qu'une part non négligeable du territoire wallon fait désormais partie de l'Hinterland bruxellois.
    C'est le cas en particulier du Brabant Wallon, qui grâce à sa proximité avec la capitale, son marché immobilier plus abrodable qu'en Flandre, et sa relative tolérance linguistique, attire entreprises, hommes d'affaires et eurocrates. Ainsi son PIB est comparable à celui d'une province flamande.
    Cependant, au niveau linguistique, on peut tempérer cette comparaison.
    Le Québec est un isolat linguistique en Amérique et Montréal y représente la seul marché d'emploi porteur. L'anglicisation de la métropole a des conséquences jusque dans le Saguenay !
    De plus, comme le Québec offre des facilités aux anglophones sur tout son territoire, l'anglicisation par assimilation linguistique peut se faire de proche en proche et atteindre toute la Province.
    Il n'en va pas de même en Wallonie protégée par une frontière linguistique rigide. Les lois linguistiques belges font que les Flamands ne peuvent obtenir des facilités en néerlandais dans le Brabant Wallon sans une modification de la Constitution Fédérale. Ainsi, indépendance flamande ou pas, le seul risque que Bruxelles représente pour les Wallons sera la plus grande nécessité de connaître le néerlandais, mais en aucun cas la défrancisation !
    La situation ressemblera à l'Alsace, où l'on vit en français mais où la connaissace de l'allemand est fortement recommandée !
    Enfin, il faut simplement mentionner la proximité du marché français (60 m de personnes), qui encourage la connaissance du français en Flandre.