«Monsieur Clip» peut-il combler les attentes?

«Si l'ADQ devient une espèce de Parti libéral ''light'', sa pertinence politique va disparaître assez rapidement»

ADQ - De l'identité à l'autonomisme - La souveraineté confuse

Pris entre son désir de former bientôt le gouvernement et les pressions plus radicales de ses militants les plus à droite, Mario Dumont aura fort à faire pour ne décevoir personne.
[->rub354] Québec -- On a fait beaucoup de cas de ceux qui ont été surpris par le succès de l'ADQ aux élections, mais qu'en est-il de la droite et de tous ceux qui ont voté pour Mario Dumont? Qu'attendent-ils de son arrivée dans l'opposition officielle? À en croire leurs réponses, il n'aura pas la tâche facile.
On ne mentionne pas l'ADQ une seule fois dans le documentaire L'Illusion tranquille, qui a défrayé la manchette cet automne. Et pourtant, tout dans ce film annonçait les résultats du dernier scrutin. «Le film n'a été diffusé à la télévision qu'après la campagne électorale, fait remarquer la réalisatrice Joanne Marcotte, une militante adéquiste. Au lieu d'influencer le vote, il l'explique.»
Dans ce pamphlet sur le prétendu échec du modèle social québécois, Mme Marcotte et ses invités nous parlent d'un Québec qui «étouffe», d'un discours de droite enterré par les voix d'influentes élites nationalistes et syndicales.
Or il sera désormais plus difficile d'affirmer de telles choses. Avec le PLQ au pouvoir et l'ADQ dans l'opposition officielle, jamais la droite n'a été aussi bien représentée à l'Assemblée nationale depuis la Révolution tranquille. «Il y a là une occasion. [...] Il y a quand même plus de 60 % du pouvoir du côté d'une remise en question du rôle de l'État, croit l'économiste Claude Montmarquette, l'un des intellectuels ayant participé au documentaire. M.Charest aura maintenant les appuis politiques pour mettre en place ses politiques de réingénierie et l'ADQ pourrait lui faciliter la tâche. D'un autre côté, M. Dumont a le souci de prendre le pouvoir. Ma crainte, c'est de le voir adoucir son programme.»
Michel Kelly-Gagnon, du Conseil du patronat (CPQ), abonde dans ce sens. «Il [Mario Dumont] a déjà dilué son programme. Je peux comprendre ça, c'est de la stratégie. Mais, à mon avis, si l'ADQ devient une espèce de Parti libéral "light", sa pertinence politique va disparaître assez rapidement.»
Avec un ancien président du CPQ comme Gilles Taillon dans les hautes sphères du parti, le patronat sera sans contredit bien représenté au sein de l'opposition officielle. Et pourtant, M. Gagnon n'a pas trop d'attentes. «Si je me fie aux échos que j'ai eus, il n'y aura aucun projet de loi majeur d'ici au mois de décembre, mes attentes sont modestes.»
Pas à l'abri des querelles internes
Voilà de quoi décevoir certains partisans comme Jean-Philippe, un jeune fonctionnaire de Québec âgé de 23 ans. «Il y a une chose que j'aimerais voir changer rapidement et c'est le remboursement de la dette», lance-t-il en disant que le vote du prochain budget constitue une belle occasion. «Les surplus du fédéral, j'aurais aimé qu'on les investisse là.» Ses études en administration, poursuit-il, l'ont convaincu de l'urgence de la situation. Jean-Philippe n'a pas été conquis par l'ADQ lors du débat des chefs ou par le film L'Illusion tranquille. Il vote pour Mario Dumont depuis qu'il est en âge de le faire. Et ses attentes sont nombreuses et variées: allocations à la naissance pour un troisième enfant, valorisation de la formation professionnelle, abolition des commissions scolaires. En revanche, certaines propositions adéquistes lui semblent carrément «ridicules», telle la politique de 100 $ par semaine par enfant proposée en campagne électorale. «Je crois qu'ils devraient beaucoup mieux développer leurs idées avant de les soumettre au grand public.»
On le voit bien: malgré sa popularité et un programme jugé flou, l'ADQ n'est pas à l'abri des critiques et des chicanes de famille. Pour Mathieu Laberge, l'un des jeunes qui exprimaient leur ras-le-bol de l'immobilisme dans L'Illusion tranquille, ce sont les propositions concernant les commissions scolaires qui ne tiennent pas la route, entre autres, à cause de la réticence des municipalités à prendre le relais. L'ADQ a «repris» le discours de L'Illusion tranquille, dit-il. «Le parti a maintenant le fardeau de la preuve sur ses épaules.»
Mathieu Laberge a étudié en économie, discipline qu'il enseigne aujourd'hui dans un cégep de Montréal. Le regard qu'il porte sur Mario Dumont est sans complaisance. «On l'a surnommé Monsieur Clip et ce n'est pas pour rien.» Au-delà des beaux discours, le chef de l'ADQ doit «démontrer que les solutions qu'il propose sont bonnes ou, sinon, en proposer de meilleures». De «Monsieur Clip», il attend surtout la confirmation du dégel des droits de scolarité, un thème récurrent dans L'Illusion tranquille.
Norma Kozhaya, de l'Institut économique de Montréal (IEDM), était aussi intervenue sur ce sujet dans le film. «Leur arrivée pourrait changer la donne dans plusieurs dossiers, notamment dans le dossier des droits de scolarité. Désormais, nous aurions deux partis en faveur du dégel, le gouvernement et l'opposition.»
Or certains se demandent si, dans ce dossier comme dans d'autres, l'ADQ ira jusqu'au bout de ses promesses. Le professeur de cégep Frédérick Têtu, qu'on connaît bien pour ses nombreuses prises de position en faveur de CHOI-FM à Québec, n'est guère optimiste sur ce point. «Dans sa première sortie publique après les élections sur les droits de scolarité, Mario Dumont s'est glissé entre les deux autres partis en proposant de limiter l'augmentation à la hausse du coût de la vie alors que Jean Charest veut augmenter les droits de 50 $ par session. Dans ma perspective, il s'est carrément écrasé face à cette question. S'il s'écrase sur une question aussi centrale, je ne m'attends pas à grand-chose de sa part.»
La souveraineté: tout mais pas ça
Mais s'il est un dossier qui risque de mettre l'ADQ en mauvaise posture, c'est sans contredit celui de la question nationale. Toutes les personnes interrogées par Le Devoir dans le cadre de ce reportage l'ont souligné. Et sur la stratégie à adopter, les avis divergent. Pour certains, il vaut mieux en parler le moins possible. Selon, Frédérick Têtu, c'est notamment parce qu'il en a peu fait mention en campagne électorale qu'il est allé chercher autant de votes. «J'espère que l'ADQ va résister à la tentation de ramener le débat sur la question nationale», affirme Joanne Marcotte, qui était dans l'organisation du parti pendant les élections. «Ça ne va pas être facile... Dès qu'il est devant les journalistes, il se fait questionner là-dessus.» Du côté des milieux d'affaires, Michel Kelly-Gagnon rappelle que la «majorité» de ses membres demeurent d'allégeance libérale, ce qui n'est pas étranger à la position clairement fédéraliste de ce parti. En même temps, remarque Mathieu Laberge, «Mario Dumont n'a plus le choix, il va devoir dire ce que c'est, l'autonomie». Or l'ADQ est allée chercher beaucoup d'électeurs chez les péquistes, fait remarquer Jean-Philippe. Mais pour combien de temps? «Je ne crois pas que l'ADQ va pouvoir bientôt former le gouvernement. Je connais beaucoup d'anciens du PQ qui ont voté ADQ cette fois-ci. Je crois qu'ils vont s'en aller quand ils vont réaliser à quel point le parti est plus à droite.»
Le Devoir


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