Selon les sondages, une majorité de Québécois souhaitent la réouverture du dossier constitutionnel. En théorie, il n'en tient qu'à l'Assemblée nationale d'exaucer leur voeu. Au Canada, le gouvernement fédéral n'a pas le monopole de l'initiative constitutionnelle.
N'importe quelle assemblée législative provinciale est également en mesure de mettre l'horloge en marche en adoptant, à la majorité de ses députés, un projet d'amendement. À compter de cette adoption, les autres partenaires de la fédération disposent de trois ans pour réagir.
En théorie, une telle majorité existerait à l'Assemblée nationale. Au cours des dernières semaines, l'ADQ a manifesté un intérêt certain pour une nouvelle série constitutionnelle. On voit mal comment le PQ pourrait ne pas appuyer des amendements qui vont dans le sens de ce que son partenaire bloquiste a défendu à la Chambre des communes.
Contrairement à ce qui fut le cas à Meech il y a vingt ans, les priorités constitutionnelles du Québec font consensus parmi les trois principaux partis à l'Assemblée nationale. Souverainistes, adéquistes et libéraux québécois souscrivent à l'enchâssement de la reconnaissance du caractère national du Québec dans la Constitution. L'idée de circonscrire le pouvoir fédéral de dépenser fait également l'unanimité des élites politiques québécoises. Voilà pour la partie facile.
Pour la première fois en vingt ans, il y a à Ottawa un gouvernement fédéral réceptif à ces deux idées. Pas plus tard que l'automne dernier, le premier ministre Stephen Harper a piloté une résolution aux Communes voulant que les Québécois forment une nation à l'intérieur du Canada. L'encadrement du pouvoir fédéral de dépenser fait partie du programme électoral de son parti conservateur.
Selon certains experts - qui s'appuient sur la pratique récente de la formule d'amendement pour l'affirmer - il pourrait être possible d'enchâsser le caractère distinct du Québec sur la foi d'un simple accord bilatéral entre le Parlement fédéral et l'Assemblée nationale. Dans ce scénario, les autres provinces n'auraient même pas voix au chapitre.
Pendant les années 90, le gouvernement de Jean Chrétien avait emprunté cette voie pour inscrire l'égalité du français et de l'anglais dans les institutions gouvernementales du Nouveau-Brunswick dans la constitution et pour en retrancher l'obligation faite au Québec de maintenir des structures scolaires confessionnelles.
Tout minoritaire qu'il soit, le gouvernement Harper pourrait compter sur l'appui du Bloc québécois et possiblement du NPD pour faire passer une résolution constitutionnelle en ce sens. Mais si l'adoption d'une simple résolution parlementaire sur la nation québécoise avait soulevé tout un tollé dans le reste du Canada l'automne dernier, celle d'un amendement en bonne et due forme à la Constitution déclencherait certainement une crise politique majeure.
La Cour suprême serait appelée à se prononcer sur le raccourci envisagé par Ottawa. Le Sénat à majorité libérale se servirait de son veto suspensif pour faire durer le supplice du gouvernement et de ses alliés. Même si le plus haut tribunal au pays finissait par donner son aval à la voie bilatérale, le coût politique d'une opération que bon nombre de Canadiens de l'extérieur du Québec percevraient comme un coup de force aurait vraisemblablement raison de ses auteurs.
Quant au pouvoir fédéral de dépenser, il est possible de l'encadrer dans la constitution avec l'appui de sept provinces comptant pour 50 % de la population. L'Alberta et la Colombie-Britannique répondraient probablement favorablement à une initiative en ce sens. Des provinces à tradition néo-démocrate comme le Manitoba et la Saskatchewan, ou moins nanties comme celles de l'Atlantique, auraient sans doute de grosses réserves.
Mais dans tous les cas de figure, il suffirait que l'Ontario ne soit pas d'accord pour tuer le projet dans l'oeuf. Même si la formule d'amendement permet de se dispenser de l'accord de la plus grosse province au pays pour modifier la Constitution, une loi fédérale l'interdit. Après le référendum de 1995, Jean Chrétien a fait adopter une loi qui oblige le gouvernement fédéral à s'assurer d'avoir l'accord du Québec, de l'Ontario, de la Colombie-Britannique et d'une majorité de provinces des Prairies et des Maritimes avant d'amender la Constitution. Plusieurs provinces ont également des lois qui les obligent à soumettre tout projet d'amendement à un référendum. C'est notamment le cas de l'Alberta, une province où la réforme du Sénat est une priorité emblématique au même titre que la reconnaissance du caractère distinct du Québec ici. Le gouvernement d'Edmonton ferait presque certainement d'un échange de bons procédés sur cette question une condition sine qua non à son appui à un amendement avancé par le Québec.
Mais même si l'Assemblée nationale consentait à troquer pouvoir de dépenser encadré contre Sénat transformé, on ne peut pas présumer que l'Ontario, où le gouvernement actuel souhaite plutôt l'abolition pure et simple du Sénat, ou encore les Maritimes, pour qui toute réforme de la Chambre haute se traduirait par une perte importante d'influence, se rallieraient à l'idée.
En fait, il pourrait être aussi difficile sinon plus de réformer la Constitution que de négocier le départ légal du Québec de la fédération canadienne. Cela fait dire à plusieurs ténors du mouvement souverainiste qu'entre l'indépendance et le statu quo, il n'y a pas de demi-mesure. Ces dernières années, un certain nombre de Québécois ont mis en veilleuse leurs aspirations souverainistes pour concentrer leurs énergies sur d'autres priorités qu'ils jugent à la fois plus pressantes et plus prometteuses.
Mais si le jeu n'en vaut pas la chandelle quand son enjeu est la création d'un nouveau pays, le projet de relancer la quête donquichottesque d'arrangements constitutionnels différents entre provinces canadiennes vaut-il davantage la peine ?
chebert@thestar.ca
Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.
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