Dumont: quand la génération X fait de la politique

Le succès de l'image de «bon père de famille»

ADQ - De l'identité à l'autonomisme - La souveraineté confuse

Par Mathieu-Robert Sauvé

L'élection de 41 députés de l'Action démocratique du Québec (ADQ) au scrutin du 26 mars, reléguant le Parti québécois (PQ) au rang de tiers parti, est largement due à la performance de son chef durant la campagne, mais surtout à son image publique. Or, quelle est l'image de Mario Dumont? Celle d'un homme ambitieux, pugnace et... paternel.

Sur une photo de Jacques Nadeau publiée en une du Devoir au lendemain de l'assermentation des élus, le 13 avril, on voit un Mario Dumont ravi. Après tout, l'ADQ est le seul des trois grands partis à avoir fait des gains et a d'excellentes chances de former le prochain gouvernement. Face à lui, un enfant de huit ou neuf ans l'écoute, admiratif. On ignore ce qui se dit, mais on peut penser que le père de famille de 36 ans de Rivière-du-Loup promet un avenir meilleur à un futur électeur.
Une telle image aurait été inconcevable avec le chef du Parti québécois, André Boisclair, à cause de l'orientation sexuelle de ce dernier. Et même Jean Charest, dans la même posture, aurait été bizarre; le premier ministre est peut-être un père attentif et dévoué, mais on le voit rarement tenir des bébés dans ses bras ou s'asseoir au milieu d'une garderie.
Mario Dumont, lui, n'hésite pas à utiliser publiquement son image de «bon père de famille». Une stratégie qui le sert. Ce fils d'agriculteur, né à Cacouna et fier de ses racines, ne cesse de répéter que l'ADQ est le «parti de la famille». Même si les électeurs ignorent la portée exacte de cette formule, ce thème vaut bien, politiquement parlant, la «priorité santé» des libéraux ou l'«objectif éducation» des péquistes.
Dès son entrée en fonction, le nouveau chef de l'opposition officielle a joint la parole aux actes, exigeant une minifourgonette comme voiture de fonction, plutôt qu'une limousine. Afin de mieux trimbaler Angela, Charles et Juliette entre le Bas-du-Fleuve et la colline parlementaire.
Le Grand Soir n'arrivera pas
À titre d'auteur d'un livre sur les modèles masculins québécois (Échecs et mâles, Les Intouchables, 2005), je m'intéresse depuis plusieurs années aux leaders politiques. Bien que les grandes victoires de Mario Dumont soient encore à venir, son cas est intéressant à plusieurs égards. Selon la chroniqueuse politique Josée Legault, Mario Dumont serait le «fils spirituel de Robert Bourassa», et selon l'écrivain Pierre Vadeboncoeur «le nouveau Maurice Duplessis». On l'a aussi comparé à Jean-Marie Le Pen, chef du Front national français, Mike Harris, ancien premier ministre ontarien, et Ralph Klein, ancien premier ministre albertain...
Sans doute, Dumont et Duplessis ont quelques ressemblances: leur discours populiste, antisyndical et leurs origines rurales. Mais alors que le vieux lion de Trois-Rivières a été élu pour la première fois à l'âge de 37 ans, le jeune lièvre de Cacouna est à son quatrième mandat et n'a même pas cet âge. De plus, Duplessis est mort célibataire, sans enfant, alors que Dumont est père et marié depuis plus de dix ans.
À première vue, Dumont partage avec Bourassa une plus grande filiation. Comme lui, il a étudié en économie, et son approche plaît au patronat. Sur le plan constitutionnel, il est autonomiste sans être souverainiste, et cultive une certaine indifférence pour le reste du Canada. Là s'arrêtent les ressemblances: Bourassa est la création de l'establishment montréalais et Dumont est un pur produit du terroir. Alors que le mariage de Bourassa avec Andrée Simard est une alliance stratégique plus qu'une histoire d'amour, qui oserait qualifier l'union de Mario Dumont avec Marie-Claude Barrette d'opportuniste?
Mais au-delà des origines et du statut civil, la plus grande différence entre Mario Dumont et ses «pères spirituels» est son identité générationnelle. Un nouveau modèle se conçoit avec de nouveaux matériaux, et Dumont est un authentique représentant de la génération X. Éduqué, cultivé (il a récolté les succès au populaire jeu Génies en herbe), il est arrivé plein d'idéaux dans une société occupée par les baby-boomers de la génération lyrique.
Il aurait pu être cynique, désabusé; il est devenu frondeur, à la limite de l'arrogance, et parfaitement ingrat. Pour lui, l'État québécois moderne n'est pas une réussite; c'est un échec. Il se propose de le réformer de l'intérieur en dégraissant la fonction publique, en abolissant les commissions scolaires, en sabrant les programmes sociaux.
Jeune militant, il est élu à 20 ans à la présidence de la Commission jeunesse du Parti libéral. Mais alors que l'on attend de lui l'approbation du programme des mandarins du parti, il exprime son tempérament en claquant la porte au rejet du rapport Allaire. Comportement typiquement X: pas de compromis!
Devenu chef de l'ADQ et longtemps seul député de son parti, on l'aperçoit de temps à autre dans les bulletins de nouvelles. Il semble prêcher dans le désert pendant trois mandats. Les politologues du Québec fustigent unanimement l'improbable troisième voix présentée par Mario Dumont... jusqu'à la victoire morale du printemps 2007. Soudainement, on rend hommage à son franc parler (il est le seul leader politique à s'être prononcé contre les accommodements raisonnables et à avoir remis en question la réforme scolaire), et par-dessus tout, le peuple aime ce qu'il dégage.
Ce qu'il dégage? Ni homme Whippet ni homme rose, Mario Dumont «paraît bien» avec ses vestons ternes, ses cravates de paysan et sa coupe propre. Il a choisi un mode de vie «old fashioned way», marquant un retour vers les valeurs chères aux Québécois...
À l'heure où les réseaux de télévision présentent des histoires de trentenaires machos ou au contraire complètement dominés par leur blonde, Mario Dumont apparaît comme une contradiction. Et les électeurs aiment ça: 31 % des voix pour un parti dont ils ne connaissent pas trois candidats.
Lise Payette disait dans l'une de ses chroniques du Journal de Montréal que Mario Dumont serait peut-être celui qui mènera le Québec à la souveraineté. Appelé à commenter cette affirmation, il l'a réfutée mollement. Comme autonomiste, il estime que le Québec doit obtenir plus de pouvoir d'Ottawa, mais la stratégie référendaire n'est pas la bonne. «À force d'attendre le Grand Soir, le mouvement souverainiste n'a produit que des reculs», répond-il en substance.
Venant d'un membre d'une génération qui a assisté à la fin des grandes idéologies sans verser une larme, cette référence fait mal.
Le petit père
Sur le site de l'ADQ, on cite une déclaration de Mario Dumont sur sa fonction de père: «Le fait d'avoir des enfants a changé ma vie. Je fonce en me disant: "J'ai quelque chose d'utile à faire, mais si cela ne marche pas, j'ai autre chose dans la vie."»
On imagine mal Mario Dumont abandonner toute velléité politique pour devenir homme au foyer. Mais ce témoignage reflète bien le nouveau rapport des Québécois avec la famille. Il y a nettement un regain d'intérêt pour les couches et les biberons, à en juger par la hausse des taux de natalité révélée par l'Institut de la statistique du Québec. Il y a eu 82 000 nouveau-nés au Québec l'an dernier, une hausse de 8 % par rapport à l'année précédente. C'est chez les francophones que cette remontée est la plus vigoureuse avec 75 % des naissances.
La famille n'est pas un gage de succès lorsque l'on fait de la politique, mais l'absence de famille peut être un désavantage, comme le révélait le sociologue Michel Dorais dans une analyse post-électorale au sujet d'André Boisclair. «Le fait d'être célibataire a été, je pense, bien plus néfaste pour son image que le fait d'être homosexuel», disait-il au journaliste Guillaume Bourgault-Côté (Le Devoir, 31 mars). «À part sa famille politique, on ne l'a jamais vu entouré de proches. Même s'il n'a pas de conjoint, il doit bien avoir des proches, non? Un homosexuel a aussi une famille, des amis. Or, on ne les a jamais vus.»
Mario Dumont peut-il légitimement aspirer aux plus hautes fonctions? C'est ce que l'avenir nous dira. Une chose est sure: la «mariomanie» qui s'est emparée du Québec le 26 mars témoigne d'une confiance nouvelle pour le jeune politicien. Mais il faut plus qu'une image de bon père et une fourgonnette de fonction pour faire un chef d'État.
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Mathieu-Robert Sauvé, Journaliste et auteur


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