Les techniques permettant d'extraire le gaz naturel emprisonné depuis des millénaires dans les schistes argileux provoquent une véritable révolution dans le secteur de l'énergie en Occident. Une révolution qui suscite l'engouement des gouvernements et des industries et qui force les États à repenser les sources d'énergies exploitables.
Mais cette révolution risque de neutraliser les efforts déployés ces dernières années relativement aux énergies renouvelables comme l'énergie éolienne et l'hydroélectricité. «Ce combustible émet beaucoup moins de gaz à effet de serre que le charbon et la plupart des hydrocarbures. Mais, comparativement à l'hydroélectricité ou à d'autres énergies renouvelables, ce n'est pas nécessairement souhaitable», dit Normand Mousserau, professeur au Département de physique.
En signant chez MultiMondes La révolution des gaz de schiste, M. Mousseau publie son troisième livre en trois ans, après Au bout du pétrole et L'avenir du Québec passe par l'indépendance énergétique. C'est le premier ouvrage grand public en français à paraitre sur le sujet et sa sortie, coïncidant avec les travaux du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement, a fait la manchette dans la presse écrite et la presse électronique. «J'ai essayé de présenter le phénomène de façon le plus objective possible, affirme l'auteur. Je crois par exemple qu'il est possible d'exploiter ces gaz de façon acceptable sur le plan environnemental. Il faut mettre des balises claires et tirer des leçons de ce qui s'est fait ailleurs.»
Le physicien, qui fait œuvre ici d'intellectuel engagé, prend tout de même position sur la nécessité d'un moratoire. «Il faut qu'on stoppe l'exploration des gisements et qu'on s'entende, comme société, sur la façon de développer la filière.»
Aberrations
On peut remonter avec une certaine précision au commencement de la révolution des gaz de schiste: avril 2008. Alors que les prix du pétrole et du gaz naturel ne cessent de grimper, on annonce qu'il est désormais possible d'exploiter de façon rentable les schistes (auxquels l'auteur préfère le mot shales, étymologiquement plus acceptable selon lui) du sous-sol. Une expérience menée au Texas (Barnett Shale) a été couronnée de succès.
Aussitôt les grandes entreprises gazières du continent se ruent sur cette ressource qui, sous certains aspects, est plus facile à extraire que le pétrole, car les gisements sont gigantesques. Les gouvernements leur ouvre les portes, puisqu'ils «voient dans les gaz de shale une manière rapide d'augmenter les rentrées d'argent tout en créant localement de l'emploi», comme l'écrit l'auteur. Considérés comme «anecdotiques» au milieu de la décennie, les gaz de schiste représentent aujourd'hui 20 % de toute la production gazière des États-Unis.
Le Québec ne veut pas être exclu de la parade et les élus s'enflamment à leur tour pour ces gaz. Mais cet empressement a sa zone d'ombre. Alors que les autorisations sur les claims atteignent plusieurs milliers de dollars par hectare en Colombie-Britannique, le Québec laisse les entreprises occuper la même surface pour quelques cents. Des camions circulent dans des campagnes, on creuse et l'on fait même trembler la terre à certains endroits.
Pourquoi ce laxisme de l'État? demande le chroniqueur économique de Radio-Canada Gérald Fillion à Normand Mousseau venu lui présenter son livre début novembre. «Ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question», répond-il. Mais il n'hésite pas à parler de la «gestion abominable» de cette ressource.
Son ouvrage révèle que l'opinion publique a parfois raison de se dresser contre les projets industriels présentés par les promoteurs comme des merveilles technologiques. Ainsi, le marché du gaz naturel semblait justifier il y a une décennie à peine la construction d'immenses ports méthaniers capables de recevoir les exportations étrangères de gaz liquéfié, dont la production intérieure chutait dramatiquement. Au Canada seulement, neuf projets étaient débattus, dont deux au Québec (Gros-Cacouna et Rabaska). «Mais l'urgence de 2004, qui ne souffrait aucune opposition, s'est soudainement évaporée» en 2008, peut-on lire. Résultat: un seul de ces projets a vu le jour et ces installations n'ont fonctionné qu'au tiers de leur capacité en 2010. Plus ironique encore, le site Kitimat LNG, qui sera construit en Colombie-Britannique, verra son usage être complètement inversé. Il servira à l'exportation des surplus de gaz canadien...
L'universitaire dans la cité
Au quotidien, Normand Mousseau est chercheur en physique théorique. Parallèlement à ses recherches et à son enseignement, il dirige le pôle UdeM du Réseau québécois de calcul de haute performance (RQCHP), qui rassemble des chercheurs de l'École Polytechnique, de l'Université de Sherbrooke, de l'Université Concordia et de l'Université Bishop. Sept personnes travaillent pour le RQCHP à l'Université de Montréal afin de soutenir les groupes de recherche qui utilisent les superordinateurs du RQCHP, actifs jour et nuit. «Nous cherchons à modéliser le monde qui nous entoure», explique M. Mousseau.
Les imposantes tours qui hébergent les 1792 coeurs des deux superordinateurs situés au pavillon Roger-Gaudry ont effectués en 2009 plus de 13 millions d'heures de calcul, pour un utilisation à plus de 87 % du temps disponible. Et d'autres appareils seront intégrés au réseau d'ici un an.
Est-ce le travail des intellectuels comme lui de se porter au centre du débat sur l'énergie à l'occasion d'activités de communication? «C'est une responsabilité de citoyen, et ma formation de scientifique me sert», dit-il.
Dans son livre, il précise qu'il ne prend pas position pour ou contre l'exploitation des gaz de schiste au Québec. «Une telle responsabilité ne m'appartient pas comme physicien ou universitaire. Par contre, j'espère définir ici une base commune – évidemment incomplète, qui contribuera à éliminer les demi-vérités et les manipulations du débat pour recentrer ce dernier sur les faits et les inconnus réels», écrit-il.
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Mathieu-Robert Sauvé
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* L'énergie de Normand Mousseau (3 min)
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"La révolution des gaz de schiste"
Normand Mousseau publie un livre sur les gaz de schiste
Son ouvrage révèle que l'opinion publique a parfois raison de se dresser contre les projets industriels présentés par les promoteurs comme des merveilles technologiques.
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