Marois dénonce la culture du «fric»

Elle critique aussi François Legault dans un entretien à paraître cette semaine

"Stoppons la réforme"



Québec - Pauline Marois trouve «fatigant» que le Québec soit «dominé par la productivité» et que «la consommation de masse», «la réussite liée au fric et aux biens de consommation» aient éclipsé «les autres valeurs, les autres dimensions de la vie».
C'est ce qu'elle a déclaré dans une interview étonnante d'une quinzaine de pages qui paraîtra dans un livre intitulé Les Deux Principales Réformes de l'Éducation du Québec moderne (Presses de l'université Laval) et où elle critique tant son prédécesseur, Jean Garon, que son successeur, François Legault.
Vendredi, Mme Marois participera d'ailleurs au lancement de l'ouvrage (qui a été dirigé par des penseurs de la réforme, Claude Lessard et Gabriel Gosselin), à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal. La chef péquiste se retrouvera alors côte à côte avec l'ancien ministre libéral Paul Gérin-Lajoie.
L'entretien, qui porte plus précisément sur les États généraux et la réforme de 2000, a été effectué bien avant que la ministre ne devienne chef du PQ, alors qu'elle était encore critique en matière d'éducation du Parti québécois (titre qu'elle a eu de mai 2003, sous Bernard Landry, à janvier 2006, sous André Boisclair).
«La vie, ça ne devrait pas être une course aux profits, à la productivité et à la consommation; j'espère que, dans l'avenir, l'on va essayer de tempérer ça un petit peu», affirme l'ancienne ministre de Lucien Bouchard. Le «fric», lance celle qui a fait les manchettes cet automne en raison de sa somptueuse demeure, «ce n'est pas ça la réussite pour moi. Malheureusement, on ne réfléchit plus à ces choses-là». Sur ce plan, «notre société stagne», soutient-elle, avant de préciser que l'éducation «devrait contribuer à la mise en place d'une société plus égalitaire, plus respectueuse des différences, une société qui saurait davantage mettre l'accent sur le savoir-être que sur l'avoir».
Flèches à Legault et Garon
Dans l'entretien, Mme Marois s'attaque sans le nommer à son successeur François Legault pour la façon dont il a géré le dossier de la réforme. Elle dit avoir été «très déçue lorsque le ministre a reporté la réforme d'un an», en 1999. À l'époque, M. Legault disait vouloir éviter qu'on «expérimente avec les élèves» alors qu'on annonçait de «grandes modifications» aux façons d'enseigner. Mme Marois juge les choses ainsi: «Je pense que ce n'était pas justifié. Il n'avait qu'à dégager du personnel et quelques ressources pour accompagner les enseignants et pour prendre les quelques décisions de base qu'il restait à prendre. Je trouve ça dommage.»
À part ce fait, la politicienne se dit «plutôt d'accord avec ce qui s'est passé» après elle, si ce n'est la politique des universités de son successeur: «je ne l'envisageais pas tout à fait comme ça, avec les contrats de performance [de François Legault], et ce qui est arrivé par la suite, mais il y a à ce sujet des plus et des moins», note-t-elle, sibylline.
Mme Marois se montre aussi critique à l'égard de son prédécesseur Jean Garon, qui n'avait pas inscrit, dans le mandat des États généraux sur l'éducation, (cette vaste consultation qui a débouché sur la réforme), l'obligation de faire des recommandations. «C'était assez spécial», s'étonne-t-elle avant de dire: «Quand je suis devenue ministre de l'Éducation, j'avais l'impression que cette commission n'irait nulle part [sic].» Selon elle, la composition de la commission était quelque peu «disparate», car on y trouvait des gens qui avaient peu d'expérience en éducation. Or, dit-elle, «lorsqu'on traite de pédagogie, de contenus, il y a un angle un peu pointu que l'on ne peut avoir comme chef d'entreprise ou à un autre titre».
À propos de Lucien Bouchard, Mme Marois affirme qu'il avait une vision trop noire de l'état de l'école: «Il pensait que ça n'allait pas bien du tout en éducation. Je crois qu'il se trompait d'ailleurs, mais enfin, cela étant, il m'avait demandé de lui proposer des avenues pour agir, pour corriger la situation qu'il percevait.»
«Apprendre à apprendre»
La politicienne raconte ainsi son arrivée en poste: «Je ne connaissais rien d'autre que mon expérience personnelle, je n'avais pas réfléchi à l'éducation. Alors, je me suis plongée corps et âme dans ça. Et puis, les états généraux, c'était une chance extraordinaire pour moi. J'y faisais mon apprentissage en même temps.»
Marois confie qu'un des textes qui l'a le plus marquée et qui a le plus influé sur la réforme est L'Éducation: un trésor est caché dedans (Paris, Odile Jacob, 1995), un rapport remis à l'UNESCO par la Commission internationale sur l'éducation pour le XXIe siècle, présidée par Jacques Delors. Elle y a puisé l'objectif «d'apprendre à être», ce qui signifie selon elle «apprendre à apprendre». «Apprendre à communiquer ce que l'on apprend. Apprendre à faire des synthèses, intégrer des connaissances. Il s'agissait donc, bien sûr, de mettre l'accent sur l'acquisition de compétences et des connaissances», soutient-elle. Elle définit le «savoir-être» comme la «capacité de s'adapter au fur et à mesure que la société change, que les connaissances évoluent». Selon elle, «la société dans laquelle nous vivons et vivrons exige de nous d'être capables d'échanger et de transmettre nos connaissances, d'acquérir des connaissances de l'autre, sinon, nous risquons de nous marginaliser».
Nulle surprise si la chef péquiste s'est mise en colère, récemment, lorsque certains de ses anciens compagnons de route, Bernard Landry, Joseph Facal et Jean-François Lisée, ont signé un manifeste contre la réforme. C'est là, soutient-elle dans l'entretien, le coeur de son héritage politique de ministre: «Si on retenait quelque chose de moi concernant mon apport au gouvernement, j'aimerais que l'on retienne ça, le préscolaire et la réforme au primaire et secondaire.» Depuis, elle a cependant fait des déclarations plus nuancées. Le 7 novembre, elle soutenait à l'Assemblée nationale que la réforme scolaire «a bifurqué en cours de route [...], il y a eu quelques dérapages [...], et je crois que ça prend certains redressements».


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