Simplisme ou démocratie?

"Stoppons la réforme"



Simplisme! Le verdict prononcé par le président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Réjean Parent, disqualifiait d'un mot l'appel lancé par Mario Dumont pour un moratoire sur la réforme scolaire accompagné d'un retour à la discipline, à l'autorité et au vouvoiement dans les salles de cours. À la suite de quelques personnalités associées au Parti québécois (PQ), le chef adéquiste transposait ainsi la lutte contre la réforme scolaire dans l'arène politique, en la sortant des seuls colloques académiques où elle était contenue depuis plusieurs années.

Pourtant, c'est justement cette politisation de la question de l'école qui désole Réjean Parent, qui s'indigne que de «pseudo-experts» se permettent de fourrer leur nez dans les affaires de l'école québécoise. On comprendra donc que les vrais experts, ceux du ministère et des sciences de l'éducation, seraient seuls autorisés à réfléchir et discuter sur l'avenir de l'école. L'école serait le domaine réservé de la nomenklatura pédagogique et des «scientifiques» autoproclamés qui prétendent avoir un avis éclairé sur son avenir. C'est pourtant cette technocratisation de l'école et de la pédagogie qui fait problème et qui contribue, dans ce domaine comme dans bien d'autres, à dévitaliser la démocratie en la désinvestissant des questions qui préoccupent pourtant bien visiblement la population.
Des faits qui parlent
Car les faits sont là. Au-delà des classements internationaux que tous les camps mobilisent pour justifier leurs positions, le sens commun nous informe indéniablement d'une crise de l'école. Autrefois appelée à transmettre une culture et des connaissances inscrites dans l'héritage de la civilisation occidentale, l'école s'est transformée en quelques décennies en laboratoire idéologique où se sont multipliées les expériences «égalitaires» pour construire à partir d'elle une société plus conforme à l'utopie progressiste.
On aura discrédité la connaissance et l'effort avec une valorisation naïve de l'authenticité de l'élève, transformé en «apprenant» et traité pratiquement en cobaye par les «experts» du cartel pédagogique et leur rêve d'une société sans distinctions. À l'effort succédera la thérapie identitaire, le parcours scolaire d'un enfant prenant de plus en plus la forme d'une vaste entreprise de croissance personnelle où seule la bonne tenue de son estime de soi importera.
On comprend dès lors l'hostilité aux notes et à la compétition qui permettaient d'évaluer l'élève à partir de critères ne relevant pas de sa seule évolution individuelle avec une norme permettant de juger sobrement la différence des talents et des capacités. On comprend aussi le refus de la transmission des connaissances qui traduit pratiquement l'hostilité à une société déjà là que l'école s'était plutôt donnée pour mission de contourner ou d'abolir.
Devenue progressivement un champ de ruine, l'école a dû subir réforme sur réforme, sans jamais pourtant questionner la philosophie qui les animait toutes. C'est pourtant d'un basculement véritable dont a besoin l'école québécoise, bien davantage que d'une autre réforme «pragmatique», qui «corrigerait» les «excès» de la réforme sans en révoquer les principes.
Mauvaise philosophie
Qu'on le dise clairement: la réforme n'est pas un autre de ces projets aux bons principes déviés par une mauvaise application. La réforme est la porteuse d'une philosophie bien mauvaise qui avait plus à voir avec l'idéologie qu'avec la culture et qui doit être aujourd'hui congédiée au nom du bon sens et d'un humanisme à réhabiliter. La réforme est l'expression bien québécoise d'un pédagogisme sans génie qui a partout livré les mêmes effets, à la grandeur des sociétés occidentales, et qui est aujourd'hui mis en procès par ceux qui ne désirent plus sacrifier la continuité d'une civilisation aux fantasmes progressistes.
Pour quoi a plaidé Mario Dumont? Pour une école méritocratique qui entreprenne la réparation du désastre pédagogique, qui plaide pour la discipline et qui cesse de s'émerveiller devant la créativité d'un enfant qui, quoi qu'on en pense, a encore beaucoup à apprendre avant d'espérer juger de lui-même ce qui est bon pour lui, comme le ferait un adulte. Pour une école qui se respecte en tant qu'institution et impose entre autres choses le vouvoiement de ceux qui incarnent la culture à transmettre, quoi qu'en pensent encore les soixante-huitards attardés avec leur idéalisation de la jeunesse qui éradique toutes les distinctions sociales.
Mais en fait, ce que l'on a refusé à Mario Dumont, c'est le droit de penser au-delà du consensus progressiste, des idées convenues dans les chapelles ministérielles, du politiquement correct avec son obsession du nivellement égalitaire. On pourrait pourtant croire qu'à travers cette question comme tant d'autres, c'est la domination d'une élite dénaturée qui est encore une fois contestée par un peuple plus sage qu'on ne le croit. Une élite qui mise désormais sur l'excommunication idéologique pour assurer son emprise sur le débat collectif. Ce en quoi, derrière la seule question de la réforme scolaire, c'est peut-être plus profondément celle de la démocratie qui cherche à nouveau à surgir.
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Mathieu Bock-Côté, Doctorant en sociologie de l'UQAM
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