Lutte à mort chez les libéraux wallons

Chronique de José Fontaine

Des amis québécois m’ont dit rêver de voir se séparer la fonction de Premier ministre et la fonction de chef du PQ. Avec l’espoir que le chef du parti, plus directement intéressé à la réalisation du programme du parti, puisse critiquer les inévitables compromis qu’amène à envisager un Premier ministre du fait du pouvoir qu’il exerce sur tous les Québécois.
En Wallonie, on connaît ce système. Chez nous (et dans le reste de la Belgique), on parle de particratie. Distinguer les partis du pouvoir démocratique explicite, parlementaire, gouvernemental, c'est une nuisance grave. Avant la Première Guerre mondiale, un seul parti (dans l’Etat belge, alors complètement unitaire), était habituellement au pouvoir, d’où l’importance du gouvernement comme au Québec. Dans l’entre-deux-guerres, il n’y eut plus que des gouvernements de coalition. Après la Deuxième Guerre mondiale, cela devint la règle générale (sauf en 50-54 et un peu en 58). Et cela s’est transmis aux Etats fédérés créés ensuite (après 1980) et qui deviennent plus importants que l’Etat fédéral.
Le gouvernement wallon, par exemple, est une coalition (cohérente d’ailleurs), de trois partis (socialistes, verts et démocrates-chrétiens). L’espace francophone est coupé en deux Régions (Bruxelles largement francophone et la Wallonie). Mais, même si les élections à la Région bruxelloise et de Wallonie sont distinctes, les partis sont les mêmes. Les présidents des partis négocient donc avec les autres partis les coalitions qui vont se mettre en place, ici et là. Ils choissent les ministres et le chef de ce gouvernement. Du coup, la situation de ce dernier n’est pas claire vis-à-vis du corps électoral (il est parfois arrivé que le président du parti le renvoie, comme le faisaient autrefois les monarques, et prenne sa place, longtemps, tout en gardant ses responsabilités fédérales). Du côté francophone belge (Bruxelles et Wallonie), cela se complique encore du fait que les partis (et donc leurs présidents), jouent un rôle en Wallonie, à Bruxelles, mais aussi au niveau fédéral. Cela brouille par conséquent (et à mon sens très gravement), surtout pour la Wallonie (en Flandre et à Bruxelles c’est moins aigu), les rapports du gouvernement de la Wallonie et du corps électoral wallon. Le Pouvoir fédéral et le Pouvoir régional (wallon et bruxellois), a en définitive le même visage, celui du président du parti, non celui du Premier ministre wallon (ou bruxellois). C’est très mauvais pour la Wallonie. C’est pire pour la démocratie. Le jeu des partis politiques transcende à ce point le rapport entre gouvernants et gouvernés que les citoyens ne savent plus exactement par qui ils sont gouvernés. Ni quel « nous constitutionnel » ils sont (wallon ou belge ? à Bruxelles et en Flandre c’est plus clair).
La crise qui déchire pour le moment les libéraux wallons et francophones du MR (Mouvement réformateur), l’illustre avec éclat. Le président du MR Didier Reynders, qui est aussi vice-Premier ministre (fédéral) du gouvernement de coalition (5 partis, dont deux flamands), est fortement contesté comme président du parti. Il a gagné les élections fédérales de juin 2007, mais a perdu les élections wallonnes de juin 2009. Deux parlementaires sur trois de son parti demandent sa démission. Il ne la donne pas.
A mon sens, les observateurs politiques wallons ne voient pas assez la nuisance fondamentale que révèle cette crise : la particratie. Elle couve depuis longtemps au MR. Mais aussi grave que soit cette crise, elle ne concerne pas directement la direction des affaires en Belgique, à Bruxelles ou en Wallonie. Elle concerne la façon dont un parti est dirigé. Ces querelles ne concernent pas non plus directement les électeurs. Ce qui est en jeu n’est pas de savoir qui va diriger la Wallonie, mais qui va diriger le MR. Ce n’est pas là le lien entre un gouvernement et un pays, un gouvernement et un peuple. Vu le caractère hybride de l’Etat belge en général ( à la fois fédéral, confédéral, avec des restes fossilisés de l’unitarisme comme la monarchie), les citoyens sont déjà perdus. Mais avec la particratie, cela cafouille encore plus. C’est fou ce que les institutions belges désorientent les jeunes qui me semblent de plus en plus devenir indifférents à l’idée même de démocratie. Par-dessus le marché – c’est vraiment le terme qu’il faut employer - il y a l’Europe néolibérale qui ne fait pas que brouiller, elle, le rapport dirigeants/dirigés: elle le supprime, de plus en plus cyniquement (la Commission européenne s’exprime encore un peu en français mais le plus souvent en anglais, pas dans nos autres langues européennes). Les Wallons voient donc les lieux de démocratie (sauf peut-être à un niveau très local, mais aux enjeux forcément moindres), s’éloigner d’eux à la vitesse de la lumière. Les Wallons sont en outre un peuple minorisé depuis 1830 en Belgique. Qui se sont tirés de ce mauvais pas par la méthode de la grève générale, typique de notre mouvement ouvrier qui finit d’ailleurs (logiquement), par réclamer l’autonomie wallonne contre l’Etat unitaire. Mais cette autonomie – pourtant bien réelle et étendue en principe et en fait – on ne la sent pas vraiment. Et la particratie semble avoir été inventée, parallèlement à l’Europe néolibérale, pour tuer chez les citoyens toute perception « du gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Or sans cela, il n’y a tout simplement pas d’humanité possible. Qui va tenir ce discours chez nous ? J'ai bien peur que ce ne soit personne, tellement on est habitué à ce système particratique qui sera le tombeau de la Wallonie et de la démocratie (1).
(1) Un autre aspect de cette crise c'est la volonté du FDF d'Olivier Maingain de s'implanter en Wallonie et d'y imposer ses vues belge francophones diamétralement opposées à l'idée wallonne. Il est vrai que l'arrogance FDF a toujours fait échouer ce parti dans ses tentatives d'implantation dans une Wallonie qu'il ne voit que comme une masse de manoeuvre francophone. Mais même si cet échec est probable, la tentative en dit long sur la mentalité de certains Belges francophones sur le mépris qu'ils nourrissent à l'égard du pays wallon.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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