Les Wallons n’aiment pas être antiflamands

Chronique de José Fontaine

Philippe Destatte qui a réalisé un travail historique considérable avec son collègue flamand Marnix Beyen (Un autre Pays, Le Cri, Bruxelles, 2009), rappelle que, dans la question nationale belge, un événement demeure en grande partie oublié, la création très ancienne de communautés culturelles, l’une flamande et l’autre wallonne.
Une origine lointaine
En février 1938 furent créé deux conseils culturels, l’un d‘expression française, l’autre d’expression néerlandaise. Ils étaient destinés à assurer en Wallonie et en Flandre l’épanouissement des langues, de la culture, du folklore, de l’éducation populaire. Ces conseils cessèrent de se réunir avec la guerre, reprirent en 1946, vivotèrent jusqu’en 1954 puis disparurent. Pourtant d’importants parlementaires, wallons ou flamands, déposèrent des projets de loi visant à leur donner une existence officielle, au moins à titre consultatif. En 1961, le nouveau gouvernement belge veut doter ces conseils de compétences réelles. En 1966, le législateur fixe quatre régions linguistiques (française, néerlandaise, bilingue et la plus petite région germanophone). Curieusement, les socialistes wallons poussèrent bien plus que les démocrates-chrétiens flamands à la création de conseils culturels correspondant à ces régions. Déjà en 1965, deux ministères de la culture avaient été créés, l’un de la culture française, l’autre de la culture néerlandaise. Cette dernière évolution correspond à un élargisement du concept de culture à l’éducation permanente, à la rénovation de l’enseigement, à la participation citoyenne, bref au Politique. Et, de fait, le premier pas de la Belgique vers le fédéralisme fut la création de deux conseils culturels (l’un français, l’autre néerlandais), indépendant du Parlement national quoique constitués des parlementaires wallons et francophones d’une part, flamands de l’autre.
Mécontentement syndical de la FGTB wallonne
Dans les milieux syndicaux wallons, cette initiative fut mal vue, notamment dans le Mouvement populaire wallon, car ce pas vers le fédéralisme était franchi non sur la base de la logique des trois Régions (Flandre, Bruxelles, Wallonie), mais sur la base de deux communautés (l’une française, l’autre néerlandaise). Restait à fixer le siège de ces deux nouveaux Conseils dotés encore de peu de pouvoirs, mais pouvant légiférer. Du côté wallon, on insistait pour que, dans la logique du fédéralisme et de la décentralisation, les Conseils soient fixés dans une ville de Wallonie. C’est à ce moment que deux grands journaux de l’époque le Pourquoi Pas ? (hebdomadaire aujourd’hui disparu) et La Libre Belgique (un des meilleurs journaux de qualité de Wallonie et Bruxelles qui, d'ailleurs, a fort évolué), lancèrent une campagne de presse en faveur de l’installation de ces deux Conseils non pas en Flandre et en Wallonie comme le voulait la logique mais… à Bruxelles! On invoqua plusieurs arguments, dont celui de l’efficacité, le fait (argument un peu surprenant mais qui a pris à l’époque), que, doté de pouvoir législatif, le Conseil culturel français ne pouvait siéger qu’à Bruxelles. L’option pour un siège en Flandre ou en Wallonie était qualifiée de « sentimentale » par un député bruxellois. La Libre Belgique avait aussi caractérisé le projet d’autoroute de Wallonie de «sentimental » et aujourd’hui encore, dans des médias, il y a une tendance appuyée à considérer toujours comme « symbolique » ou « sentimental » un choix wallon quand il s’oppose à un choix centralisé. L’autoroute de Wallonie s’est faite, malgré tout, mais non sans peine, innombrables étant les gens qui estimaient que les villes wallonnes n’avaient pas à être reliées entre elles, mais à Bruxelles et à Anvers selon une logique belge Nord-Sud et non une logique wallonne Est-Ouest. Les Conseils culturels s’installèrent donc à Bruxelles. A la suite de manoeuvres des partis politiques pour contraindre l’assemblée à s’aligner sur les choix de leur présidentocratie.
La Belgique francophone et antiflamande contre la Wallonie
Pourtant dans ces Conseils où s’expriment aussi les ministres de la culture française, les voix régionalistes ne manquent pas et on voit aussi l’autonomie culturelle comme une des dimensions du combat wallon. Cependant, le Conseil culturel demeure à Bruxelles, notamment pour contrer les Flamands qui s’y sont également établis. Les choses vont s’envenimer pour les Wallons quand une grande partie de la droite wallonne pousse à l’idée de ne faire plus de Bruxelles et de la Wallonie qu’une seule Communauté dont la capitale serait Bruxelles ! Ces partisans de la localisation du siège de la Communauté à Bruxelles insisteront sur le fait que la Wallonie elle-même devrait avoir sa capitale à Bruxelles, alors qu’elle a un territoire qui n’inclut pas Bruxelles. En 1983, quelques personnalités du monde culturel lancent contre cette évolution un Manifeste pour la culture wallonne qui, notamment, saluait l’éclosion d’une culture se réclamant de Wallonie de fait ou implicitement. L’argument qu’on leur jette à la figure depuis lors, c’est qu’en ne mettant pas toutes les forces francophones à Bruxelles (ville pratiquement entièrement francisée cependant), ils « font le jeu des Flamands » ou bien « ils se replient (1) sur une Wallonie provinciale et sans envergure ». Ce débat n’est pas clos. Mais il démontre que les forces belges unitaristes et droitières auront même pu profiter du passage de l’unitarisme au fédéralisme et de la centralisation à la décentralisation pour renforcer encore… la centralisation belge au détriment de la Wallonie, y compris sur le plan culturel. Il y a des Bruxellois régionalistes qui épousent le même point de vue que les Wallons et qui pensent qu’il faut supprimer la Communauté française. Elle ne convient pas à la région bruxelloise, elle ne convient pas à la Wallonie. Elle ne nous défend pas « contre les Flamands ». C’est la Région wallonne qui paye ses dettes (200 millions d’€ fin 2009), alors qu’une grosse partie de l’éducation supérieure et universitaire et des institutions culturelles les plus prestigieuses (les rédactions des radios, des journaux, des télés, le théâtre, l’opéra), sont à Bruxelles où elles favorisent par leur présence, le développement économique local et le prestige de la Ville. Aucun Wallon n’aurait d’objections à faire contre cette situation si, constamment, certains, constatant le poids économique et symbolique de Bruxelles, ne demandaient aux Wallons, pour cette raison, de s’abandonner à plus de centralisation encore, de lier le nom de la Wallonie à Bruxelles. Deux attitudes qui auraient comme conséquence la mort économique et culturelle, non pas de la Belgique francophone, mais de la Wallonie.
Pour mettre en cause cette inquiétude wallonne, certains rétorquent que la chance de la langue française en Belgique, c’est Bruxelles. Mais les Wallons ne se battent pas seulement pour une langue, mais pour un pays et ses habitants. Il n’est pas étonnant que le principal syndicat wallon de travailleurs, la FGTB wallonne, milite en faveur de la régionalisation de la culture et de l’enseignement et la suppression d’une Communauté française qui entend garder la Wallonie dans une sorte de camisole de force belge résiduaire. Au demeurant, douter qu’une Wallonie forte et prospère soit aussi une chance pour la langue française c’est vraiment mépriser les Wallons. Hélas ! les premiers à le faire sont eux-mêmes souvent des Wallons…
(1) Y a-t-il un seul mouvement autonomiste au monde qui, du moins en français, n’est pas accusé de « repli sur soi » ?

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    4 juillet 2010

    J'ai en tête que, l'une de ces dernières années, le français était toujours la première langue étrangère apprise en Flandre. Ce qui d'ailleurs donne aux Flamands des avantages considérables tant dans le secteur public que le secteur privé en Belgique, car, à cet avantage d'être bilingues, ils ajoutent leur prédominance générale tant au point de vue politique qu'économique dans la vie sociale belge en général. Mais je ne peux pas en dire plus, dans la mesure où cette question n'est pas véritablement étudiée. On peut simplement signaler que dans le dernier gouvernement belge, tous les postes importants par rapport à l'extérieur du pays (Premier ministre, Ministre des affaires étrangères, Ministre de la défense nationale...), étaient occupés par des Flamands. A cela s'ajoute le fait que le Président du Conseil européen est flamand ainsi que l'actuel commissaire belge. Tout en étant partisan de l'apprentissage du néerlandais que j'essaye de lire à tout le moins, j'estime quand même que des compétences égales aux Flamands chez les Wallons ne changerait rien à la situation que je viens de décrire. Il ne faut jamais oublier, dans les comparaisons qui sont faites entre Flamands et Québécois (à bien des égards pertinentes), que les premiers sont majoritaires dans leur pays, différence radicale. Même si les lois votées au Parlement belge depuis 1880 pour mettre à égalité le français et le néerlandais, sont justes dans leur principe, elles ont toujours été votées contre la minorité wallonne et francophone au Parlement (sauf les lois des années 30, fruit d'un compromis).
    Pourquoi les Wallons ont-ils sans cesse rejeté ces lois? Il me semble que psychologiquement et politiquement, il leur était difficile de soutenir les progrès d'une langue soutenue par cette majorité flamande qui a écarté la majorité des Wallons de la direction politique du pays, parfois durant de très longues périodes, ainsi de 1884 à 1916 par exemple. Pour les autres périodes, il suffit de voir l'orientation du gouvernement belge en place: si les socialistes n'y étaient pas, c'est que la majorité des Wallons n'y étaient pas représentés non plus (comme par exemple de 1950 à 1954, de 1958 à 1961, de 1966 à 1968... Après il faudrait voir les choses de près et en outre on est passé au fédéralisme qui sort les Wallons de leur position minoritaire, raison pour laquelle ce sont les Wallons qui ont le plus avantage à plus d'autonomie). Je réponds longuement et avec des nuances pour essayer d'illustrer ce que j'ai dit : que tant les Flamands (langue moins importante) que les Wallons (minorité arithmétique) sont des minorités en Belgique. Est-ce que je fais une erreur si je dis que les Québécois, eux, sont deux fois minoritaires (arithmétiquement et du fait de la position du français comme langue moins importante que l'anglais)? Tandis que les Canadiens anglais sont majoritaires sur tous les plans? En Suisse, on pourrait dire qu'il n'y a pas de minorités. Est-ce pour cette raison que les gouvernements fédéraux suisses comprennent tous les partis importants? Je sais qu'en Belgique, certains avaient proposé en 1918 que tous les partis importants se retrouvent au gouvernement belge. Ce qui d'ailleurs s'est souvent produit dans la période de l'entre-deux-guerres...

  • Archives de Vigile Répondre

    4 juillet 2010

    J'ai assisté hier après-midi à la répétition du Mur du son en face du Parlement de Québec.
    350 choristes sur un immense échaffaud: 300 Québécois, 50 Flamands.
    Les directives aux choristes étaient en français, en anglais et en flamand. Le français pour les Québécois, le flamand pour les Belges et l'anglais comme langue commune.

    Les choristes étaient plutot jeunes (lire moins de 40 ans).
    D'où ma question: est-ce que les jeunes Flamands parlent toujours français comme la génération précédente? Où est-ce qu'ils sont passés à l'anglais? Si je me fie à ce que j'ai vu hier, d'évidence, les Flamands comprennent mieux l'anglais que le français.
    http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/arts-et-spectacles/sur-scene/201007/04/01-4295393-le-mur-du-son-15-000-convives-font-la-fete-a-quebec.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B4_en-manchette_2238_section_POS1