Entente entre Belges, fin de la Belgique

Chronique de José Fontaine

Les nationalistes flamands en Flandre sont devenus , pour la première fois dans l’histoire, le premier parti flamand. Les socialistes en Wallonie ne sont pas loin de 40 % des voix. Dans le PS, objectivement, sont présentes les forces politiques et sociales les plus « régionalistes » soit certains hommes politiques comme le Ministre wallon Marcourt, la Ministre wallonne, Elianne Tillieux, le député wallon Christophe Colligon et surtout l’ensemble de la FGTB wallonne, le syndicat dominant en Wallonie (pas nécessairement PS, mais lié à lui comme aux Ecolos).
Les Flamands sont comme les Québécois
Un ami flamand me fait écouter une émission d’une radio flamande qui interroge Gaston Bouchard. La comparaison est faite entre les Québécois et les Flamands sur le plan linguistique et politique. De fait, comme au Canada une langue dominante (en Belgique le français), tend à vouloir s’imposer comme la seule langue du pays et de son unité, au détriment de l’autre. Les revendications flamandes, qui sont séparatistes en dernière instance, ont mauvaise réputation et les unitaristes francophones belges opèrent sur les Flamands le même salissage que les fédéralistes francophones canadiens. C’est-à-dire en assimiliant toute tentative séparatiste flamande au racisme, à l’antisémitisme etc. Au fond, les Belgicains francophones sont des Belges qui refusent de tenir compte du fait que les Flamands sont flamands et continuent à rêver d’une Belgique unie où, dans la tête de beaucoup d’entre eux, le problème (linguistique) flamand est secondaire (mais aussi le problème économique wallon). En 2007, ce sont ces Belgicains qui ont accroché des dizaines de milliers de drapeaux belges sur les demeures les plus cossues de Wallonie (et surtout à Bruxelles). Même si l’on peut rencontrer ces Belgicains dans une partie du mouvement ouvrier et parfois à l’extrême gauche, le drapeau belge n’a jamais été un drapeau syndical. Le drapeau wallon, oui. Et pourquoi ?
Les Flamands cependant sont majoritaires, pas comme les Québécois
A tout ce qui est dit ci-dessus et qui est juste, il faut ajouter une dernière chose qui, cette fois, distingue profondément les Flamands des Québécois. Les Flamands ont toujours constitué la majorité démographique du pays. Le parti dominant en Flandre, dès 1884, a dominé la vie politique belge jusqu’à aujourd’hui avec toujours d’ailleurs la partie (minoritaire) des Wallons votant catholique également (le parti qui est un peu l’héritier du vieux catholicisme politique wallon n’a d’ailleurs jamais eu aussi peu de voix : on a parfois dit qu’il était le parti « collabo » des Flamands). Et ceci a écarté la gauche wallonne très longtemps des responsabilités gouvernementales. A un point que la première revendication séparatiste ait été formulée en 1912 par le leader socialiste wallon Jules Destrée qui disait dans sa Lettre au Roi d’août 1912 : « Nous sommes gouvernés contre notre mentalité, nous payons tribut au peuple flamand qui nous impose sa langue et une unité menteuse à laquelle il faut substituer l’union, car il n’y a pas de Belges mais des Wallons et des Flamands». Minoritaires à cause du prestige du français en Europe et dans le monde (et en Flandre même, jusqu’à aujourd’hui), les Flamands étaient majoritaires numériquement rappelons-le. Et majoritaires à cause du prestige du français qu’ils parlaient ou parleraient bientôt (car les Wallons au départ parlaient le wallon, non le français), les Wallons étaient minoritaires numériquement et politiquement (socialistes et laïques face à une Flandre catholique et plus à droite). La Flandre dominante a tablé sur la manière dont la vieille bourgeoisie francophone belge avait équipé la Belgique sur un axe en fait flamand, Bruxelles-Anvers.
Les Flamands ont même dominé l’Etat belge
Déjà avant la Deuxième guerre mondiale, mais surtout dans la deuxième moitié du XXe siècle, dominante dans l’appareil de l’Etat, la Flandre a détourné pratiquement tous les subsides de l’Etat vers Anvers, d’autres ports, créé des industries directement concurrentes d’entreprises existant déjà en Wallonie, subsidié des industries mourantes sur son territoire. Mais refusé que le même traitemet soit réservé déjà aux industries wallonnes simplement en difficulté. C’est pour cela que ce sont les Wallons qui ont fait le pas le plus important vers la dislocation de l’ensemble belge en réclamant le fédéralisme non pas seulement sur le plan culturel (cas de la Flandre), mais aussi sur le plan économique. Pour les Wallons, le problème étant d’échapper à la minorisation politique, il fallait que le fédéralisme belge ne connaisse pas de hiérarchie de normes (sinon la Flandre, dominante au fédéral, aurait continué à s’imposer), et que l’Etat fédéral ne reprenne pas la main sur le plan international (comme souvent dans les Etats fédérés), puisque, derechef, cette main reprise par le fédéral l’aurait été par la Flandre. Aujourd’hui, tous les regards se tournent vers Bart De Wever parce que ce Flamand est l’hommme politique le plus important de la Région belge la plus importante.
Les Wallons ont intérêt à ce que la Belgique devienne une coquille vide
Mais aussi parce que le leader du PS, Elio Di Rupo, accepte l’idée de discuter avec lui malgré le fait qu’il se soit longtemps recroquevillé – bien à tort et à cause de son électorat belgicain – sur ce qui restait de l’unité belge chère aux Belgicains. Maintenant qu’un accord se profile entre Flamands, Wallons, Bruxellois et Germanophones (une petite communauté de 70.000 habitants, mais qui veut devenir une entité fédérée), on va sans doute aller vers un Etat belge résiduaire qui maintiendra encore un temps l’illusion d’un Etat belge. Mais dans cet Etat les commandes principales seront confiées aux Régions. Ce qui permettra aux Flamands de mieux défendre leur langue. A Bruxelles, de conquérir le manque d’autonomie qui lui manque. A la Wallonie d’actionner d’autres leviers étatiques, le fédéralisme ayant manifestement contribué à son redresssent maintenant que les grandes décisions économiques (l’ouverture de l’économie wallonne aux technologies nouvelles, l’aéroport de Charleroi, les liaisons de Liège avec Rotterdam, l’équipement des régions rurales, le soutien à l’agriculture wallonne, les exportations etc.), lui appartiennent de plus en plus. Pour le moment – autre fait unique dans l’histoire depuis 1945, la Flandre accepte même que le leader PS, Di Rupo, qui ne parle pas très bien le néerlandais, devienne malgré tout Premier ministre. La Flandre dominante serait prête à le lui pardonner puisque c’est pour appliquer un programme de déconstruction de l’Etat belge qu’elle souhaite et à laquelle la Wallonie a fortement intérêt (et parce que Di Rupo fait des efforts pour s’améliorer). Somme toute, dans la Belgique unie, tout le monde était minoritaire, dans une Belgique confédérale, réduite à une coquille vide, plus personne ne le sera. Revanche des peuples: l’entente entre Belges est en train de prouver qu’il faut supprimer la Belgique.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    27 juin 2010

    Et puis, les Wallons n'ont jamais dominé la Belgique, ce sont les bourgeois flamands francophones qui étaient aux commandes. On ne peut pas tracer un parallèle avec le Québec comme ça, où il suffirait de remplacer Québec par Belgique, Flandre ou Wallonie. Mais une chose est sure, un Québécois sera toujours plus proche d'un Wallon que d'un Flamand.

  • José Fontaine Répondre

    27 juin 2010

    Les Wallons sont les habitants de la Wallonie (et sont en majorité francophones). Les Flamands sont les habitants de la Flandre (et sont en majorité néerlandophones). C'est une première précision que je veux ajouter en raison du commentaire de TOM. Les deux territoires sont distincts et par conséquent le Québec ne peut être comparé à la Belgique divisée en deux territoires bien distincts, devenus des Etats fédérés avec d'ailleurs un 3e territoire, Bruxelles où cohabitent des Flamands, des Wallons, des Bruxellois de souche et des personnes d'origine étrangère.
    "Wallon" désigne les habitants de la Wallonie qui n'ont JAMAIS dominé ni l'économie belge, ni la politique belge puisqu'ils ont toujours été minoritaires. La bourgeoisie francophone belge, composée d'éléments issus de Wallonie, de Bruxelles, mais, surtout, de Flandre a dominé le pays jusque dans les années 60. Elle n'a pas à être désignée par le mot "wallon" puisque ses origines sont diverses. Et elle est appelée "francophone" parce que sa langue est le français. Cette classe dirigeante a été remplacée à la tête (politique et économique) de la Belgique par une bourgeoisie flamande, à la fois de langue néerlandaise et d'appartenance nationale flamande. Cette bourgeoisie flamande domina politiquement le pays depuis 1884 (le plus souvent les Wallons sont minoritaires dans les gouvernements belges avant qu'ils n'exigent que le gouvernement soit composé paritairement dans les années 70). Puis économiquement à partir des années 60.
    Le Professeur Quévit explique clairement cette évolution et le compte rendu de la revue TOUDI le dit à mon sens assez bien: http://www.larevuetoudi.org/fr/story/critique-flandre-wallonie-quelle-solidarité-michel-quévit-couleurs-livres
    Pour s'arracher à cette domination flamande, les Wallons réclamèrent le fédéralisme dès le début du XXe siècle, mais ne l'obtinrent qu'en 1980.
    Il est clair que la pratique d'une langue qui a dominé la Belgique très longtemps, qui est une grande langue internationale leur donne quelque avantage. Mais cet avantage ne compense absolument pas le fait que, minoritaires, les décisions politiques et économiques leur ont échappé, au point que - je le redis - c'est eux qui ont demandé l'autonomie économique pour la Wallonie, les Flamands demandant l'autonomie culturelle. Flamands et Wallons exigèrent donc leur autonomie dans le domaine où ils se sont sentis les plus menacés: l'économie et la politique pour les Wallons, la langue et la culture pour les Flamands.
    C'est d'ailleurs le heurt de ces deux handicaps qui explique la difficulté pour l'ensemble des Belges de dépasser un conflit qui est pratiquement né avec l'Etat belge en 1830. Et la nature de leur fédéralisme.
    On peut parler une langue majeure (le français) et être minoritaire numériquement. On peut parler une langue moins importante et pourtant être majoritaire numériquement. C'est pour cela que je dis que les deux peuples belges les plus importants sont tous les deux minoritaires, mais pas de la même façon.
    Dès le moment où, comme on le voit ces derniers jours, la tendance est forte à rendre les peuples belges encore plus indépendants l'un de l'autre, on va vers un apaisement du conflit mais peut-être aussi la disparition de la Belgique... Une disparition qui se réalisera de commun accord.
    Sur le plan culturel, les Wallons sont de fait comparables aux Canadiens anglais, mais s'en différencient puisqu'ils sont minoritaires. De même les Flamands sont comparables aux Québécois sur le plan culturel mais s'en différencient puisque, eux, sont majoritaires.
    Il suffit d'un peu être attentif à cette dualité de positions pour comprendre la question belge.

  • Archives de Vigile Répondre

    27 juin 2010

    La thèse de l’auteur que la Belgique se ressemble au Canada ne se tient pas debout.
    La Belgique est plutôt comparable au Québec qu’au Canada. Les Wallons sont, comme les Anglophones du Québec, en minorité – mais ils sont les maîtres traditionnels de l’économie et de l’administration gouvernementale. Ils dominent la métropole (Bruxelles = Montréal) et leur langue était la lingua franca du pays. Ils partagent la même culture que le voisin puissant (La France) comme les Québécois anglophones sont difficilement distinguables des Ontariens et les Américains.
    Les Flamands sont, comme les Québécois, un peuple qui est resté plus long temps consacré à l’agriculture et fidèle à leur foi catholique (plus que les Wallons). Ils se font dire par les Francophones qu’ils parlent « une langue morte » et même les Pays-Bas, qui partagent leur langue, n’a aucun espoir de voir leur langue utilisée ailleurs que dans la cuisine chez eux. Les Flamands sont, par conséquent isolés sur le plan culturel. Mais, comme les Québécois, ils passent par une explosion d’épanouissement et de nationalisme qui cherchent à écraser leurs anciens maîtres wallons.
    Les attitudes des Flamands sont très comparables à celles des Québécois francophones. Et les attitudes des Wallons se comparent étroitement à celles de l’ancienne génération d’Anglophones québécois – et peut-être certains de la génération actuelle.
    L’auteur détourne la réalité en cherchant à dénigrer la fédération canadienne. Le Canada, dominé par sa majorité et très proche au voisin puissant qui partage sa culture majoritaire, ne se compare pas du tout à la Belgique.