Marc Lépine, tueur de Polytechnique, Valery Fabrikant, le tireur à Concordia, et Kimveer Gill, le tireur à Dawson, nourrissaient chacun une haine différente, a écrit [la journaliste et chroniqueuse Jan Wong->2009], dans le Globe and Mail de samedi. Mais un trait serait commun à ces personnages: «Ils avaient tous trois été marginalisés par une société qui valorise l'ascendance "pure laine".» Mme Wong s'est attardée à l'expression controversée, au passage: «Ailleurs, on répugne à parler de pureté raciale. Mais pas au Québec», a-t-elle écrit dans un reportage, mâtiné de perspectives personnelles, qui a suscite un tollé au Québec.
Aux dires de cette journaliste d'expérience, née à Montréal en 1953 et diplômée de McGill, «plusieurs personnes venant d'ailleurs n'ont pas conscience à quel point les décennies de luttes linguistiques ont été éprouvantes dans cette ville autrefois cosmopolite. Et ce ne se sont pas que les anglophones de longue date qui en ont souffert. Les immigrants aussi en ont été affectés.» Voilà, selon elle, une réponse à la question que plusieurs Montréalais se sont posées depuis mercredi: «Pourquoi nous?», pourquoi «les trois fusillades du genre dans les établissements post-secondaires au Canada ont toutes eu lieu à Montréal, pas à Toronto ou à Vancouver, Halifax ou Calgary»? Après tout, note Wong, il y a des jeunes gothiques, accros aux jeux vidéo, etc., partout au pays. Mais il n'y a que Montréal qui est aux prises avec des tensions linguistiques et du racisme de type «pure laine».
La journaliste a fait l'unanimité contre elle, hier, au Québec. Tant la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) que la chroniqueuse controversée du National Post, Barbara Kay, en passant par le gouvernement Charest, ont dénoncé ces propos.
[La SSJB a annoncé par communiqué dès hier matin qu'elle déposerait une plainte au Conseil de presse contre le Globe and Mail et la journaliste Jan Wong->2014]. «Certains journalistes des grands quotidiens de Toronto semblent présentement péter les plombs au sujet du Québec», a dit le président général de la SSJB, Jean Dorion. «On croyait avoir touché le fond du baril avec le papier de Barbara Kay sur le Québecistan, mais Madame Wong la dépasse de beaucoup dans la fabulation malveillante», a ajouté M. Dorion dans son communiqué.
Or, même Mme Kay considère que Jan Wong a «totalement erré» dans son explication des tueries à Montréal. «It's bullshit!», s'est-elle exclamée hier au téléphone en parlant des thèses de Wong. «Fabrikant était, il est vrai, un immigrant. Mais il travaillait dans un établissement entièrement anglophone. Quel rapport avec les tensions linguistiques? Il a travaillé toute sa vie en anglais! Et ce type, Gill, il était anglophone et il est allé commettre son crime où? Dans un établissement anglophone! S'il y avait quelque lien avec les "tensions linguistiques" ou la loi 101, il se serait rendu dans un endroit francophone, non?» Quant à Marc Lépine (de son nom algérien, Gamil Gharbi), son motif était sexiste, dit Barbara Kay. Elle souligne que les événements de 1989 ont été analysés de toutes les manières possibles. «Or, en 17 ans, personne au Québec, à ma connaissance, n'a fait référence à un motif linguistique ou ethnique. Personne!» Sur son blogue, Gill écrit même que «le Québec est un endroit correct pour vivre». Selon Barbara Kay, Mme Wong ne connaît plus Montréal très bien puisqu'elle a déménagé à Toronto il y a longtemps. De plus, elle a été correspondante du Globe and Mail en Chine de 1988 à 1994.
Jack Jedwab trouve aussi que Wong ne connaît pas Montréal. Directeur de l'Association des études canadiennes, il a été invité à débattre avec la journaliste, hier matin, à la radio anglophone 940 AM. «Elle semblait faire référence à un Montréal d'une autre époque. Le terme "pure laine" n'est plus très courant.» Selon lui, faire des liens entre les trois événements (Polytechnique, Concordia et Dawson), c'est de la foutaise. «Ça ne fait que fausser le diagnostic. Ça distrait notre attention des vrais problèmes, comme les sous-cultures chez les jeunes et le rôle d'Internet dans la genèse de ces projets morbides.» M. Jedwab trouve au reste au contraire que les événements de la semaine dernière ont plutôt démontré une «solidarité exemplaire» entre francophones et anglophones.
«Je ne comprends pas que le Globe publie quelque chose de si bas», s'est exclamé la chercheuse Micheline Labelle, qui dirige le Centre de recherche sur l'immigration, l'ethnicité et la citoyenneté (CRIEC), à l'UQAM. Mme Labelle estime que, «pour moins que ça, des minorités vont devant les tribunaux». Elle y voit un discours s'apparentant à du «néoracisme», c'est-à-dire une généralisation d'un trait culturel (et non ethnique) appliquée à une population donnée.
Au cabinet de la ministre de l'Immigration du Québec, Lise Thériault, on est en pleine préparation d'une politique de lutte contre le racisme et la discrimination. Une commission parlementaire a été mise sur pied mercredi dernier, laquelle conduira à la publication d'une politique et d'un plan d'action le printemps dernier. «Aucune donnée ne peut soutenir ce que Mme Wong avance», a affirmé hier Marie-Hélène Paradis, attachée de presse de la ministre. Les problèmes des immigrants sont réels au Québec, a-t-elle dit, «et nous nous y attaquons», mais les affirmations de Mme Wong alimentent «le type de jugements rapides qui conduisent à la discrimination».
Jan Wong n'en est pas à sa première controverse de nature ethnique. Au moment de la nomination d'Adrienne Clarkson au poste de gouverneure générale du Canada en 1999, elle avait multiplié les articles pour critiquer cette dernière. Elle lui avait reproché notamment d'avoir «conservé le patronyme non chinois de son ex-mari» et de ne pas être une vraie immigrante chinoise, puisque son père avait du sang «irlandais». Elle avait raconté que, plus jeune, Clarkson ignorait «les autres immigrants chinois». Wong se questionna même: une personne si «éloignée de ses racines» pouvait-elle légitimement être considérée comme «la première membre d'une minorité visible à devenir gouverneure générale»?
Mme Wong n'a pas donné suite aux appels du Devoir.
Les «pures laines» coupables ?
Un article du Globe and Mail sur la tragédie de Dawson soulève un tollé
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