L'affaire Wong a au moins le mérite de nous ramener à un débat fondamental dans nos sociétés où de plus en plus souvent les médias cherchent davantage à exciter qu'à informer.
Partout en Amérique du Nord sévissent " ces amuseurs publics " des ondes, que ce soit à la radio ou à la télévision, qui n'ont comme seul objectif de provoquer la réaction du public pour gonfler leurs auditoires à des fins bassement commerciales. Le Québec ne fait pas exception et en cela n'est pas une " société distincte ". Mais l'affaire Wong est pour nous beaucoup plus préoccupante.
Jan Wong est une journaliste d'expérience et est bien connue au Canada anglais. De plus, elle travaille pour le réputé Globe and Mail qui revendique le statut de journal " national ". Certains seraient tentés d'invoquer la " liberté d'expression " pour défendre Me Wong lorsqu'elle fait un lien entre les tueries du Collège Dawson, de l'Université Concordia et de Polytechnique et la marginalisation des immigrés dans une société qui valorise les " pure laine ". Ce principe fondamental de la liberté d'expression permet jusqu'à un certain point à des individus de dire n'importe quoi, tant qu'ils n'empiètent pas sur les droits des autres. Dans la balance des inconvénients, il est à cet égard mieux de les laisser parler plutôt que de leur imposer le silence.
Mais on a affaire ici à un principe beaucoup plus exigeant que la liberté d'expression, soit la liberté de presse, bien définie dans des codes d'éthique journalistique. Ainsi, des blâmes peuvent être adressés à des journalistes s'ils ont agi de façon irresponsable sans qu'ils soient poursuivis en cour. Le journaliste et son entreprise ont un fardeau beaucoup plus lourd lorsqu'ils prennent position que le simple citoyen qui commente un événement au gré des conversations.
La liberté de presse, on ne le dit jamais assez souvent, comporte des responsabilités inhérentes importantes. On n'a qu'à lire la plupart des codes d'éthique journalistique pour s'en rendre compte.
Dans le document sur les " Droits et Responsabilités de la presse " du Conseil de presse du Québec, on insiste sur le fait que " les médias et les professionnels de l'information doivent éviter de cultiver ou d'entretenir des préjugés ".
Guide déontologique
Dans le guide déontologique de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, on indique que les " journalistes doivent être sensibles à la portée de leurs reportages. Ils doivent éviter les généralisations qui accablent des groupes minoritaires, les propos incendiaires, les allusions non pertinentes à des caractéristiques individuelles, les préjugés et les angles de couverture systématiquement défavorables qui pourraient attiser la discrimination ".
Même dans la presse d'opinion, cette liberté n'est pas absolue. Le Conseil de presse indique que " les auteurs de chroniques, de billets et de critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d'exactitude. Ils doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu'ils emploient de donner aux événements une signification qu'ils n'ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes ".
La liberté de presse est un acquis précieux mais fragile. Elle repose en grande partie sur la crédibilité de ceux et celles qui l'exercent. Des journalistes qui doivent comme le décrit le Guide de déontologie de la FPJQ " baser leur travail sur des valeurs fondamentales telle (...) l'honnêteté qui leur impose de respecter scrupuleusement les faits, et l'ouverture d'esprit qui suppose chez eux la capacité d'être réceptifs aux réalités qui leur sont étrangères et d'en rendre compte sans préjugés. "
Or comment associer un événement aussi triste que la tuerie de Dawson au caractère " pure laine " de la société québécoise, sans sombrer dans les pires préjugés à l'égard d'une collectivité toute entière? Pour remplir la responsabilité d'informer, il ne suffit pas de dire qu'on ne fait que " poser des questions et explorer des avenues inconfortables " comme on l'a lu dans un éditorial du Globe and Mail. L'exactitude des faits est beaucoup plus exigeante.
Alain Gravel
_ L'auteur est président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Il signe ce texte au nom de l'exécutif de cet organisme.
L'affaire Wong et la liberté de presse
Par Alain Gravel
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