Les politologues parlent «des années molles» et de «spirale de cynisme»

JJC - chronique d'une chute annoncée


Québec — Le septennat Charest n'a pas enchanté les politologues interviewés par Le Devoir, c'est le moins qu'on puisse dire: l'un, Guy Laforest, parle du «Québec des années molles», en référence à un texte récent de Michel Venne. Un autre, Jean-Herman Guay, de l'Université de Sherbrooke, déplore la «spirale de cynisme» qui l'a caractérisé.
Une époque où la «méfiance l'a souvent emporté sur la confiance». Christian Dufour, de l'ENAP, soutient pour sa part que «ce qui a dominé au Québec depuis sept ans, c'est un immobilisme porteur de déprime collective, joint à un décalage entre les beaux discours et la réalité».
Les fleurs...
Néanmoins, les universitaires consultés n'ont pas eu trop de mal à trouver des «bons coups» à ce gouvernement, depuis 2003. Commençons donc par les fleurs. Plusieurs mentionnent, dans la colonne des actifs, les relations internationales, ce qui concorde du reste avec notre sondage. Guy Laforest, politologue de l'Université Laval et ancien président de l'ADQ, dit par exemple: «Jean Charest s'est montré très doué pour ça, et tout le monde qui le voit à l'oeuvre sur cette scène trouve qu'il est un excellent ambassadeur du Québec.» Jean-Herman Guay va dans le même sens. Il loue surtout «l'ouverture sur l'Europe», la négociation d'un accord Canada-UE: «À long terme, ça va être porteur.»
Stéphane Paquin, aussi de l'Université de Sherbrooke, souligne l'«accord France-Québec sur la mobilité de la main-d'oeuvre» et les relations intenses avec les États-Unis. Fait à noter: il n'était presque pas question de relations internationales dans les documents de 2003, sinon dans quelques références au «contexte de la mondialisation des marchés». Mais au total, Jean Charest y a mis un accent tel qu'on l'a parfois même accusé de «trop voyager». Selon Marc Chevrier, de l'UQAM, le bilan en relations internationales est plus mitigé qu'on peut le croire. Le bon coup, ce fut de faire une mission conjointe Québec-France au Mexique, où les deux premiers ministres, Charest et Raffarin, ont évolué ensemble. «Il a de bonnes idées, mais il n'occupe pas toujours l'espace disponible.» Lors de la catastrophe haïtienne, par exemple, «il s'est laissé tasser par Harper», estime M. Chevrier.
Revenons aux fleurs: «L'entente sur le financement de la santé avec le gouvernement Martin en 2004, enrichie d'un accord asymétrique avec le Québec, on l'oublie, mais ce fut positif», souligne Guy Laforest. Aussi de l'Université Laval, Vincent Lemieux, qui a écrit une histoire du Parti libéral, salue «les postes importants de ministres qu'il a attribués aux femmes».
Jean-Herman Guay voit plusieurs bons coups dans le septennat Charest. Lui aussi souligne les gains pour les femmes, notamment l'entente sur l'équité salariale. Autre réussite, souvent oubliée: la performance économique en général, dit Guay. Les taux de chômage parmi les plus bas de notre histoire: «Par rapport à l'Ontario, la situation est avantageuse pour le Québec», souligne-t-il. Le Québec s'est bien sorti de la récession jusqu'à maintenant et le contrôle des dépenses publiques a été relativement bon, bien que «pas aussi serré que le PLQ l'avait promis». M. Guay soutient qu'il ne faut pas oublier l'accent sur les questions environnementales, qui a souvent permis au Québec de se démarquer. Michel Venne, de l'Institut du Nouveau Monde, nuance la réussite économique: «Est-ce que la relative bonne tenue de notre économie n'est justement pas le résultat d'une structure économique forgée par le modèle québécois? Si oui, ce que critiquait le PLQ en 2003 est précisément ce qui nous a sauvés.»
... et les pots
Selon Christian Dufour, de l'ENAP, le budget 2010 aurait pu être un «bon coup» du gouvernement Charest. Mais «au moment où son gouvernement vient de poser le geste le plus courageux et possiblement le plus porteur depuis belle lurette — un budget très impopulaire mais pour l'essentiel nécessaire si l'on excepte la contribution de 200 $ par personne en santé sans coupure dans la bureaucratie en ce domaine —, le dossier de la corruption mine fondamentalement sa crédibilité pour poursuivre dans ce sillon». La crise de confiance à l'égard du gouvernement, rend la réussite de ce budget difficile: «Pour être crédible lorsqu'il demande aux Québécois des contributions financières nouvelles, un gouvernement doit être au-dessus de tout soupçon, en matière d'intégrité.» Comme à d'autres moments de son septennat, le gouvernement sera donc contraint de «naviguer à la petite semaine, sans cesse dans la gestion de crises, à gouverner dans les faits comme s'il était minoritaire».
Les sept péchés
Les pires erreurs de Jean Charest, selon Guy Laforest? «Avoir attendu sept ans avant de faire un budget vraiment "lucide", alors que les fonctionnaires du Trésor et des Finances s'entendent pour prescrire cela depuis 2001-2002. En passant, l'esprit de ce budget est dans le cadre financier du programme de l'ADQ en 2003», souligne-t-il. Au contraire, pour Alain Noël, politologue de l'Université de Montréal, il faut ranger parmi les meilleurs coups de Jean Charest le fait d'avoir compris que «pour gouverner le Québec, il fallait éviter de pousser trop vers la droite et accepter de composer avec des valeurs sociales plutôt ancrées au centre-gauche».
Les baisses d'impôt de 2007 sont très mal vues par nos experts. «Cela a brisé le climat avec le gouvernement Harper, et énormément diminué la crédibilité du Québec et de son gouvernement ailleurs au Canada», déplore Guy Laforest.
Jean-Herman Guay croit que ses bons coups, le gouvernement Charest les a occultés lui-même par des dossiers, dont certains de moindre importance, mais qui ont pris toute la place: «Le financement des écoles [privées] juives, la privatisation ratée du mont Orford, le calendrier scolaire, les garderies, la construction. Et maintenant, l'affaire Bellemare.»
Dans sa carrière politique, Jean Charest est souvent apparu comme un chat: il semble avoir «sept vies», opine Jean-Herman Guay. Cette fois, avec l'affaire Bellemare et les dizaines d'autres allégations, «la méfiance s'est installée de manière tellement durable que, politiquement, il pourrait bien être en train de vivre sa septième et dernière vie».


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