Les pleureuses de la Belgique unitaire

Chronique de José Fontaine

Le Président français a proposé un plan de relance de 24 milliards d’€. La Wallonie y va de 1,5 milliard d’€ de plan pluriannuel. Il fallait entendre les journalistes belges à Face à l’Info d’hier soir. Ils regrettaient que ces plans de relance soient décidés par la Flandre et la Wallonie « chacune dans leur coin », tout en concédant (en un énorme soupir), que c’était assez logique puisque ces démarches correspondent aux compétences de ces deux Etats fédérés et non de l’Etat fédéral. Voire même admettaient (en re-soupirant), que ces plans étaient différents étant donné les situations économiques et géopolitiques différentes de la Wallonie et de la Flandre. Mais en re-re-soupirant encore sur le fait que le Gouvernement fédéral belge, lui, n’avait toujours pas son plan. Et en en rajoutant encore dans l’interprétation tendancieuse par le fait de souligner que les Régions feraient cela pour « prouver qu’elles existent »…
Cela m’énerve, je dois le dire, parce que les journaux invités à « Face à l’info » ne sont, le plus souvent, pas des journaux wallons, mais très tournés vers Bruxelles. Cela me désole encore parce que l’un des aspects du plan de relance wallon vise à un financement original de l’isolation des logements wallons qui sont souvent très vieux (et par une formule originale qui permettra aux bénéficiaires – logements collectifs ou individuels – de ne débourser pour payer ces investissements que la différence entre la facture énergétique d’avant l’isolation et celle d’après). Dès les années 60, le mouvement wallon plaçait cette question de l’habitat wallon parmi ses préoccupations prioritaires. Qui ne sont donc rencontrées qu’un demi-siècle après.
Cependant, personne ne le rappelle. Il y a pourtant toute une logique dans les aspirations autonomistes wallonnes et celles-ci se voient rencontrées petit à petit. C’est cela l’histoire d’une communauté historique : la continuité des projets, des rêves, des aspirations. Les amis québécois qui me lisent ne s’étonneront guère de l’existence de ces plans, étant donné que l’Etat québécois a depuis longtemps les capacités de soutenir et dynamiser l’économie québécoise selon ses propres critères depuis longtemps. En Wallonie, c’est neuf. On pourrait dire que la Wallonie n’a acquis ces pouvoirs que depuis 1999 : les compétences dévolues alors n’ayant été transférées qu’à partir de cette date. On n’en a vu les effets que depuis peu sur la longue durée de notre histoire. Tout cela est inédit et trouble sans doute les journalistes dont je parlais pour commencer. La Wallonie va également faire appel à l’épargne des particuliers, leur proposant des taux intéressants et des réductions d’impôts s’ils placent leurs avoirs dans une sorte de « banque » (pas de dépôts, pas d’agences, mais une épargne rétribuée utilisée en vue d’investissements dans le développement wallon). Ce dernier point est aussi
une première qui fait crier Le Soir au confédéralisme.
Les Wallons ne vont quand même pas pleurer pour l’éternité la fin de la Belgique unitaire ? Andrée Ferretti nous parle de l’athéisme de Spinoza dans un roman que je trouve emballant et bien écrit Bénédicte sous enquête (VLB, Montréal, 2008). Notamment parce qu’il illustre bien (à mes yeux de croyant), une grandeur de l’athéisme que l’on peut illustrer par la formule : « L’amour est une joie qu’accompagne l’idée de sa cause. » Ce qui est une façon de refuser la logique de l’espérance, du désir vu comme une espérance. La joie de Spinoza naît de se réjouir de ce qui est. C’est une logique dans laquelle je peux entrer et je peux dire à ceux que j’aime qu’ils sont la cause de ma joie (mais je suis un homme d’espérance). Andrée Ferretti imagine le vieux Spinoza bousculé par une petite fille sur le Dam d’Amsterdam : elle se retourne et « lui » dit : « moi aussi j’aime me déguiser ». C’est une des scènes les plus belles de ce si beau livre. Cela me donne l’occasion de dire en passant que cela vaut la peine de se le procurer pour les longues soirées d’hiver quand la neige assiège les maisons. Cela me donne aussi l’idée de fustiger mes compatriotes. Je peux comprendre que Gide voulait mourir désespéré, pas malheureux, mais seulement content de ce qui est (et n’espérant rien : dés-espéré). Et je peux comprendre (sans l’admettre), par quelle sagesse l’athéisme refuse l’espérance. Mais ce qui m’énerve au plus haut point, ce sont ceux qui se ruent à une tristesse plus profonde en ne voulant ni se réjouir de ce qui est, ni même espérer dans ce qui serait. Ceux qui se condamnent à cette sorte d’espérance à l’envers qu’est le regret. Ici celui de la Belgique unitaire. Comme si son odeur de mort était à préférer aux peines et à la joie de la Wallonie vivante.
José Fontaine

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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