Les Pieds nickelés

Aux diplomates habitués à décoder les évolutions politiques, Nicolas Sarkozy préfère les réseaux d'intérêts privés et les visiteurs d'un soir.

Élection présidentielle française


On se souvient de l'incident qu'avait provoqué Nicolas Sarkozy à Québec en octobre 2008 dans l'enceinte de la Citadelle. Contrairement à la tradition diplomatique française de non-ingérence instaurée après De Gaulle, il était sorti de son discours et s'était laissé aller à exprimer, à mots à peine couverts, son amour d'un Canada uni.
L'affaire avait fait du bruit. Mais pas autant que ses déclarations encore plus provocantes lors de la cérémonie de remise de la Légion d'honneur à Jean Charest. Cette fois, il accusa les souverainistes de sectarisme et de pratiquer la détestation de l'autre. Quelques jours plus tard, l'Élysée fut d'ailleurs obligé d'envoyer une lettre d'excuse à Gilles Duceppe et à Pauline Marois.
J'avais alors expliqué que ce que certains prenaient pour un changement d'orientation stratégique mûrement réfléchi ne relevait que de l'opinion et du style provocant d'un seul homme. Il était en effet facile de constater que le point de vue du président reflétait moins les orientations du Quai d'Orsay, qui n'avait jamais songé à un tel virage, que son amitié personnelle avec le financier Paul Desmarais.
Ce que nous ne savions pas à l'époque, c'est qu'il ne fallait pas le prendre «personnel». Les Québécois n'étaient que les premiers à goûter à cette nouvelle diplomatie faite de provocations et de coups médiatiques. On le sait aujourd'hui, nous n'étions que de sympathiques cobayes.
Après trois ans de cette médecine intensive, on ne compte plus les incidents internationaux provoqués par un président qui, tel un adolescent mal dans sa peau, ne résiste jamais à la tentation de se faire remarquer. Les récents échecs diplomatiques français en Tunisie, en Égypte, en Libye et au Mexique ont mis en évidence le caractère totalement erratique et finalement contre-productif de cette diplomatie qui est en train d'isoler la France un peu partout dans le monde.
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Ce qui vient de se passer en Tunisie relèverait du Grand-Guignol si les faits n'étaient avérés. Afin de faire oublier les voyages de sa ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, «sur le bras» des amis du dictateur tunisien, Nicolas Sarkozy s'est empressé de nommer un nouvel ambassadeur à Tunis. Le président l'a fait sans respecter l'usage, qui veut que l'on demande l'accord du pays hôte avant de confirmer une nomination. Ensuite, il a court-circuité les réseaux classiques en choisissant un ancien «Sarko boy» nommé Boris Boillon.
Dans le plus pur style sarkozyste, le nouveau venu profita de sa première conférence de presse pour traiter de «débiles» les questions d'une jeune journaliste tunisienne. Le lendemain, des Tunisiens manifestaient devant l'ambassade et le jeune diplomate dut s'excuser publiquement à la télévision.
Les diplomates s'arrachent aussi les cheveux devant l'escalade que vient de provoquer le président avec le Mexique. Au lieu de négocier discrètement le rapatriement de Florence Cassez, condamnée à 60 ans de prison au Mexique, pour qu'elle purge sa peine en France, Sarkozy a choisi l'affrontement. Résultat: l'année du Mexique prévue en France est compromise, des centaines de manifestations culturelles sont annulées et la jeune femme risque de passer de longues années dans les geôles mexicaines. Tout cela pour une banale affaire de droit commun!
Le soulèvement en Libye a aussi mis en évidence la diplomatie très personnelle menée par Nicolas Sarkozy auprès de Mouammar Kadhafi. Si, à la fin de 2007, le président a permis au tyran de planter sa tente pendant cinq jours à deux pas de l'Élysée, c'était pour service rendu. Un service qui avait permis, quelques mois plus tôt, au président français et à son épouse de poser en libérateurs des infirmières bulgares.
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On pourrait aligner d'autres exemples qui ont poussé une trentaine de diplomates, dont une vingtaine en exercice, à signer cette semaine [une lettre anonyme dans Le Monde->35539]. Ils y dénoncent une diplomatie fondée sur «l'amateurisme», «l'impulsivité» et les seules «préoccupations médiatiques». Exactement comme à Québec en 2008!
Selon les auteurs, c'est parce qu'il a fait fi des notes diplomatiques qui remontaient des ambassades et tout centralisé sur sa personne que Nicolas Sarkozy est passé à côté du printemps arabe. Alors que le secrétariat d'État américain autorisait les ambassades à rencontrer les représentants de l'opposition, Nicolas Sarkozy l'interdisait. Sarkozy a ainsi congédié l'ambassadeur Jean-Christophe Ruffin, jugé trop critique à l'égard du président sénégalais qui, à 84 ans, s'apprête à briguer un troisième mandat. Aux diplomates habitués à décoder les évolutions politiques, Nicolas Sarkozy préfère les réseaux d'intérêts privés et les visiteurs d'un soir. Avec pour résultat, écrivent les diplomates, que «la voix de la France a disparu dans le monde».
Une telle débandade diplomatique alors même que le vent de la démocratie se lève enfin dans des pays membres de la Francophonie ne peut représenter qu'un échec pour tout le monde francophone. La Francophonie n'avait vraiment pas besoin de ça!


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