Le prince Charles à Montréal

Les larmes de la démocratie

j’ai vu une jeune manifestante de l’âge de mes filles pleurer pour la démocratie parce qu’elle ne pouvait pas continuer de manifester

Chronique de Louis Lapointe

Comme je l’avais indiqué dans une récente annonce, je suis allé à cette manifestation d’accueil du prince de Galles et de la duchesse de Cornouaille à la caserne des Black Watch hier. J’aurais pu ne pas y être allé, j’avais une bonne raison, notre foyer vient d’être assiégé par la grippe A (H1N1). J’ai même encore quelques douleurs thoraciques, probablement une irritation de la gorge.

Donc, j’ai fait un homme de moi et j’ai revêtu mon trench Burberry – le manteau que portaient les troupes anglaises dans les tranchées de la Première Guerre mondiale – ma casquette à carreaux et un un épais foulard de tartan pour me protéger du froid. Un photographe de la Presse m’a dit que j’étais habillé pour être avec ceux d’en face.

Il devait être 15h30. C’est là que Patrick Bourgeois est arrivé avec le sourire fendu jusqu’aux oreilles. « Bonjour Louis Lapointe, je suis plus habitué de vous voir dans votre petit carreau, m’a-t-il dit en riant ». Patrick prend la peine de m’envoyer un petit mot de temps en temps, comme il le fait avec d’autres rédacteurs de Vigile. On s’est serré la main et il est aussitôt allé rejoindre son QG. « Bon, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui !» Après avoir donné quelques bonnes tapes dans le dos, il a pris son porte-voix et s'est mis à réchauffer les troupes. Tout le monde s’est alors avancé dans la rue en scandant les formules habituelles et le trafic de la rue Bleury a dû s’arrêter. Je n’ai vu aucune impatience chez les automobilistes, le bruit des klaxons ressemblait davantage à des encouragements, il faut dire que 80% des Québécois sont défavorables à la monarchie.

En m’avançant dans la rue, j’ai remarqué que mon voisin était aussi chic que moi. « J’ai suivi vos conseils, m’a-t-il dit, je me suis mis chic, on a plus de chance d’être respecté par les policiers, les vestes de cuir attirent les coups». Il ne pouvait pas si bien dire, notre camarade Bernard Desgagné qui avait mis sa veste de cuir, a reçu plusieurs coups de matraque au thorax et à la tête. C’est sa photo qui faisait la une de cyberpresse hier soir. Encore là, j’extrapole, puisque lors du samedi de la matraque en 1964, les policiers frappaient tout le monde, les petites vieilles et les passants en costumes cravates.

Même si les mœurs policières ont changé, et qu’elles sont relativement plus civilisées, nous savons que de tout temps les policiers ont toujours fait du profilage social et racial à Montréal. Mon père, un gars de Rouyn-Noranda, m’a raconté qu’un jour, au début des années 50, il avait eu l’idée d’amener ma mère, une fille du Plateau, dans un parc de Westmount et avait eu la mauvaise idée de s’asseoir sur un banc de parc en début de soirée. La police de Westmount était aussitôt arrivée et avait dit à mes parents qu’ils n’avaient rien à faire là et de retourner chez eux dans l’Est. Un peu comme fait le SPVM avec les itinérants aujourd’hui. Ils les repoussent vers l’est, toujours plus vers l’est ! Le jour où je verrai un squeegee sur la rue Crescent, ce sera la preuve que Montréal a changé!

Au fur et à mesure que la manifestation avançait, des membres du RRQ venaient voir les petits nouveaux comme moi pour leur expliquer ce qu’il fallait faire, comment avancer, quand reculer, pourquoi un policier s’adressait à la foule avec un porte-voix et terminait toujours son laïus par « Dieu sauve la reine ! » avant de lancer l’antiémeute contre les manifestants. Une preuve par l’absurde que nous sommes encore en régime monarchique et toujours aussi colonisés. La police défend symboliquement la reine lorsqu’elle donne l’ordre à ses troupes de passer à l’attaque, elle ne donne pas l'impression d'être au service de la démocratie. Il n’en fut pas différemment hier après-midi.

Alors que l'antiémeute nous refoulait vers la station de métro au coin de Bleury et Président-Kennedy, j’ai vu une jeune manifestante de l’âge de mes filles pleurer pour la démocratie parce qu’elle ne pouvait pas continuer de manifester librement devant l’édifice des Black Watch, parce que la police défendait la monarchie, le symbole antidémocratique par excellence.

Les historiens nous diront que c’est la même monarchie anglaise qui a envoyé ses troupes en 1759 pour envahir la Nouvelle-France. Mais plus récemment, en 1982, c’est la reine d’Angleterre qui est venue entériner en personne un des gestes les plus antidémocratiques de l’histoire du Québec et du Canada. À l’occasion du rapatriement de la constitution de 1867, le Canada, l’Angleterre et sa royauté imposaient au Québec une nouvelle constitution et une charte qu’il n’avait pas voulues, ni signées, puisque rejetées à l’unanimité par ses députés de l’Assemblée nationale.

Quand des jeunes pleurent pour la démocratie, je me dis que tout n’est pas perdu, que tous ces jeunes qui étaient dans la rue hier étaient là pour les bonnes raisons, que d’autres jeunes les rejoindront bientôt, des vieux aussi, comme moi et d’autres qui étaient là hier. Je sais maintenant que plusieurs leaders sortiront de ces rangs, comme ils sont sortis de ceux du samedi de la matraque en 1964 et de la manifestation de la St-Jean en 1968. Entre chaque élection, le seul endroit où le peuple peut légitimement défendre la démocratie et la liberté, c’est dans la rue, sur la place publique.

Contrairement à ce que disent Gilles Duceppe et Pauline Marois, la monarchie britannique ne peut pas nous laisser indifférents comme peuple puisqu’elle est un vestige toujours vivant qui sert à cautionner chaque jour l’illégitimité de la constitution canadienne. Lorsque la Gouverneure générale du Canada a autorisé il y a un an à peine le premier ministre canadien Stephen Harper à ajourner la session parlementaire en cours pour qu’il évite un vote défavorable de la chambre des communes qui aurait fait tomber son gouvernement, la monarchie par sa représentante a encore une fois servi à légitimer ce qui ne l’était pas.

La première chose qu’a faite le premier ministre canadien après avoir obtenu son ajournement de la Gouverneure générale fut de prendre les élus indépendantistes du Québec – ceux du Bloc - à partie et de dénoncer tous ceux qui avaient eu le malheur de s’associer à eux pour tenter de faire tomber le gouvernement. Parce qu’il avait l’appui de la représentante de la reine, Stephen Harper pouvait insulter les Québécois et leurs élus, un geste inqualifiable et inconcevable dans une vraie démocratie.

Toutes les illégalités et les illégitimités commises par les gouvernements de ce pays lorsqu’il y a un enjeu important trouvent toujours leurs motivations dans l’exacerbation du ressentiment anti-Québécois et leur caution auprès de la monarchie britannique. Ça fait partie de l’héritage historique du Canada. Un gène que partagent plusieurs Canadiens anglais. Sinon, expliquez-moi pourquoi les Anglais de Montréal et la Gazette préfèrent cent fois l’occulte corruption de la mafia montréalaise à l’indépendance démocratique du Québec?

Paradoxalement, ce sont Patrick Bourgeois et les membres du RRQ qui sont les derniers remparts de la démocratie au Québec et au … Canada contre la monarchie britannique! Une monarchie qui sert à rendre légal ce qui ne l’est pas ne devrait pas exister dans un pays qui se dit démocratique comme le Canada. Une monarchie qui permet au Canada anglais de se dédouaner des gestes antidémocratiques qu’il a pu commettre et qu’il commettra encore contre le Québec.

Comme le disaient de nombreux jeunes manifestants que j’ai entendus hier, quand la police protège la monarchie et qu’elle s’en prend à la foule qui manifeste librement, c’est parce que le régime ne tourne pas rond. Cette police ne défend plus les institutions démocratiques, mais contribue plutôt à renforcer le pouvoir antidémocratique d’une monarchie sur ses sujets québécois à qui elle a imposé de force une constitution qui n’a aucune légitimité. C’est contre cela que nous manifestions hier. Contre la monarchie et la constitution. Pour la démocratie, pour la république, pour la légalité et la légitimité.

Comment peut-on qualifier un État qui est gouverné sous l’égide d’une constitution qu’il n’a pas adoptée et qu’on lui a imposée de force? Antidémocratique.

Comment peut-on qualifier le gouvernement qui la lui a imposée? Antidémocratique.

Comment peut-on qualifier les institutions qui la font respecter: ces gouvernements, ces juges et ces policiers antiémeutes? Antidémocratiques.

Si Gilles Duceppe et Pauline Marois n’ont pas compris que la manifestation d’hier contre la monarchie britannique était une manifestation contre le pouvoir symbolique de cette royauté et ses conséquences sur le Québec, contre l’illégitimité de la constitution de 1982, contre la Charte de 1982, contre les jugements iniques de la Cour Suprême du Canada rapetissant de plus en plus chaque jour les pouvoirs du Québec et fragilisant sa langue et ses institutions, c’est qu’ils n’ont pas encore compris ce qu’ils faisaient en politique.

Si nous voulons la souveraineté, c’est parce que nous voulons enfin la une vraie démocratie pour le Québec. Le Canada est fondamentalement un pays antidémocratique et la monarchie anglaise en est non seulement le symbole, mais également la caution qui autorise depuis la conquête de 1759 les pires abjections contre le Québec, comme cette constitution, cette charte des droits, cette loi sur la clarté et tous ces jugements de la Cour Suprême contre la Charte de la langue française.

C’était contre cela que les manifestants du RRQ, de la SSJB et du MSQ manifestaient courageusement hier. Contre l’illégitimité des institutions canadiennes qui s’imposent au Québec grâce au pouvoir constitutionnel de la monarchie britannique !

Featured bccab87671e1000c697715fdbec8a3c0

Louis Lapointe534 articles

  • 889 994

L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





Laissez un commentaire



4 commentaires

  • Marie-Hélène Morot-Sir Répondre

    15 novembre 2009

    Ah oui, moi aussi je vous aime vous les Vigiles si vigilants. Monsieur Lapointe, je viens seulement de lire votre texte ce matin, je vais l'envoyer si vous le permettez à plusieurs journaux français et à plusieurs présidents de région et même tenter également de le faire parvenir jusqu'à Paris en espérant que pour cette destination précise 'il n'y aura pas de barrage ..
    Je suis navrée pour Bernard Desgagné et j'espère de tout coeur qu'il est bien remis aujourd'hui .. Merci à vous tous,à Patrick Bourgeois et à tous ceux autour de lui, qui comme vous Monsieur Lapointe, sont sortis de chez eux où ils étaient bien douilletement installés, vous êtes vraiment les seuls à avoir ce courage de vous lever et de résister encore pour votre terre, tout comme vos pères avant vous et tous vos ancêtres ..

  • Archives de Vigile Répondre

    11 novembre 2009

    Puissant texte! Très bien articulé!
    Seigneur que je vous aime au Vigile.net!
    Continuez votre beau travail!
    Stéphane Magnan

  • Archives de Vigile Répondre

    11 novembre 2009

    Texte très éloquent qu'il faudrait expédier au Président de la République Francaise afin de l'instruire de la réalité québécoise et lui éviter ainsi de parler à travers son chapeau.
    Bravo monsieur Lapointe!

  • Archives de Vigile Répondre

    11 novembre 2009

    Magnifique d'intelligence politique ce texte.
    Du point de vue de la doctrine d'État essentiel est ici :
    .......................................
    (...)
    Les historiens nous diront que c’est la même monarchie anglaise qui a envoyé ses troupes en 1759 pour envahir la Nouvelle-France. Mais plus récemment, en 1982, c’est la reine d’Angleterre qui est venue entériner en personne un des gestes les plus antidémocratiques de l’histoire du Québec et du Canada. À l’occasion du rapatriement de la constitution de 1867, le Canada, l’Angleterre et sa royauté imposaient au Québec une nouvelle constitution et une charte qu’il n’avait pas voulues, ni signées, puisque rejetées à l’unanimité par ses députés de l’Assemblée nationale.
    (...)
    .........................................................
    Pourquoi nos élites souverainistes ne l'ont pas compris, parce que la doctrine d'État n'est pas assez présente chez ceux là mêmes qui veulent nous faire passer de demie État annexé à État souverain.
    JCPomerleau