Parlez-moi d'une visite royale

Visite royale - Charles - Novembre 2009

David Ledoyen, Montréal - J'aime bien finalement que la famille royale visite le Québec. Je vais même jusqu'à déplorer que ces visites ne soient pas plus fréquentes.
Qu'on ne s'y méprenne pas. Le faste plus ou moins important associé à ces manifestations royales me laisse froid. Je n'ai pas de sympathie particulière pour les représentants des Windsor, des Saxe-Cobourg et Gotha et de leurs «proches alliés». Mais pas plus d'antipathie personnelle. Ces visites me plaisent en ce qu'elles sont un rappel de la nature de l'État qui est le nôtre. Malgré l'amnésie du quotidien, le Canada et le Québec sont des monarchies constitutionnelles.
Que notre souveraine et ses héritiers présomptifs soient Anglais m'indiffère. Évidemment, l'origine historique de cette situation, le colonialisme britannique, n'est pas un fait anodin. Ce poids historique et social est de conséquence. Mais l'origine de la dynastie régnante n'a pour moi que peu d'importance dans la réflexion sur le fondement de l'État. Premièrement, parce que le Canada a littéralement nationalisé la monarchie lors du rapatriement de la loi constitutionnelle en 1982. Sur le plan strictement légal, Elizabeth II est la reine du Canada (et du Québec) en plus d'être souveraine du Royaume-Uni et de quelques autres contrées. Le Canada est, depuis le statut de Westminster de 1931 et le rapatriement constitutionnel de 1982, un État complètement indépendant mais toujours monarchique. Le Québec n'est pas un État indépendant, mais il est toujours monarchique.
Ensuite, parce que la question du principe monarchique de l'État se poserait aussi bien si les souverains étaient d'origine polonaise ou lituanienne.
Parlons-en donc de ce principe, puisque la visite du prince Charles nous en donne le prétexte. La tradition constitutionnelle britannique, dont s'inspirent directement les principes politiques canadiens, veut que le souverain règne, mais ne gouverne pas. En d'autres termes, c'est bien la reine elle-même qui est le chef de l'État. Elle est représentée par la gouverneure générale et les lieutenants-gouverneurs. Le souverain délègue le pouvoir exécutif au premier ministre qui, dans notre système, provient de la majorité élue.
La véritable question demeure: d'où provient le pouvoir de la reine, qu'elle délègue en vertu des principes de la Constitution? La formule officielle veut qu'Elizabeth soit reine «par la grâce Dieu». La voici cautionnée par une bien haute autorité, à laquelle nous n'avons jamais accès autrement que par ses représentants autoproclamés des divers clergés. À cette idée de la source légitime du pouvoir s'oppose celle qui veut que ce soit le peuple qui soit la véritable base du pouvoir politique.
Le peuple se rencontre plus facilement que Dieu, et avec un peu d'ouverture d'esprit on peut aller jusqu'à concevoir que toute la population en fasse partie... Cette manière de concevoir la politique s'exprime dans plusieurs idéologies, mais notamment dans le républicanisme. Ce dernier n'a jamais été dominant au Canada, où il a été réprimé à plusieurs reprises au XIXe siècle. Parfois par l'armée du pouvoir colonial, mais surtout par la collusion des clergés et des conservateurs.
Bref, les visites royales nous rappellent que notre système politique a des origines historiques conservatrices et des fondements tout aussi conservateurs. La libéralisation des idées et des pratiques politiques des dernières décennies permet-elle de dépasser cette origine? Les Québécois et les Canadiens sont-ils des républicains de placard? Il est permis d'en douter. Certains peuvent bien souhaiter l'abolition de la monarchie, encore faut-il savoir quel principe de permanence de l'État la remplacera. Ces questions primordiales nous amènent bien au-delà des manifestations folkloriques des petits bourgeois et du kilt du prince.


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