Les journalistes au chevet du Québec des accommodements raisonnables

Livres - 2008

Neuf cent un mémoires ont été présentés à la commission Bouchard-Taylor. En voici deux de plus. Enfin presque.
Circus Quebecus (Boréal) et Le Québec sur le divan (Les Éditions Voix parallèles) paraissent en même temps et partagent quelques points communs. D'abord, le sujet: «le malaise du peuple québécois» selon le premier essai; les «raisonnements de psys sur une société en crise» d'après le second.
Ensuite, une certaine impression de grande société du spectacle: Circus Quebecus exploite la métaphore tout au long de ses chapitres pour présenter les acteurs de la pantalonnade comme autant d'équilibristes, de contorsionnistes, de femmes à barbe et de dompteurs de lionnes; le Divan se permet au moins une allusion directe à cette allégorie, page 35: «Et le cirque commence, installant son chapiteau dans les différentes régions de la province». Les beaux esprits se rencontrent.
Finalement, voici aussi deux beaux fruits de la confrérie journalistique: Éric Clément de La Presse a dirigé le collectif du Divan avec le Dr Marc-Alain Wolf, de l'institut universitaire Douglas; Jeff Heinrich, de la Gazette, et Valérie Dufour, du Journal de Montréal, ont enfanté ensemble le Circus.
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«À la fin de la tournée de la commission Bouchard-Taylor, j'étais allongé chez moi sur le sofa et je me suis dit que tout ce matériel ferait un bon livre», explique Jeff Heinrich, interviewé hier par téléphone entre deux passages dans les médias électroniques, promotion oblige. «J'ai donc proposé à Valérie d'écrire un essai thématique sur la commission. Le résultat, c'est aussi un compte rendu de la tournée sur un ton badin et humoristique, une critique des lunettes roses des commissaires et un instantané du Québec en 2007 sur les gros dossiers de l'heure, la religion ou l'immigration.»
Leurs reportages respectaient les règles de l'art, parfois jusqu'à l'objectivité factice des agences de presse. Cette fois, les deux compères des accommodements, les seuls à avoir suivi tous les travaux de la première à la dernière journée, se permettent des écarts critiques et mordants.
Leur portrait au couteau à cran d'arrêt du président Gérard Bouchard, à l'esprit vif et allumé, s'avère particulièrement réussi, jusque dans le détail distrayant. Par exemple, quand l'historien diplômé de Paris, fils d'un «trucker» du Saguenay, discute «driveshaft» et «double clutch» avec un chauffeur de camion de Joliette. Ça ne s'invente pas et ça ne s'écrivait pas vraiment dans un journal.
Les deux collègues règlent aussi quelques comptes avec le «processus lui-même», soulignant au passage les rapports tendus des présidents avec les médias, avant et pendant les audiences. «On ne plaide pas d'un point de vue corporatiste, précise M. Heinrich. Nous deux, on peut même être critiques vis-à-vis nos propres médias. La couverture médiatique du phénomène des accommodements a été disproportionnée, au début. À la longue, on a mieux dosé et mieux couvert le phénomène. Les présidents, eux, ont continué à répéter que le racisme et la xénophobie n'originent que d'une infime minorité au Québec. [...] Ils ont aussi écarté les opinions des féministes et accueilli les femmes en hijab à bras ouverts.»
Au total, l'essai débouche sur le sentiment d'une sorte de grand «oui, mais» collectif. En gros, oui à l'immigration, mais pas à n'importe quelle concession. L'image d'une tolérance à la québécoise s'impose, celle d'une société souvent ouverte, parfois frileuse, de plus en plus nerveuse.
Un diagnostic
L'autre livre débouche sur une conclusion semblable. «Le Québec ne se porte pas si mal: il ne souffre pas de névroses graves, à tout le moins», résume le Dr Marc-Alain Wolf, d'ailleurs le seul à poser un diagnostic de trouble de la personnalité collective. Huit autres thérapeutes multiplient les analyses, s'attardent longuement à la question nationale et aux tiraillements identitaires pour finalement composer un croquis de groupe très original.
«On n'entend pas beaucoup le point de vue des psychiatres dans notre société, explique Éric Clément. Nous sommes donc partis avec une question toute simple: si vous aviez à traiter le Québec, que penseriez-vous entendre de sa part?»
Le Dr Camille Laurin, le père de la loi 101, a publié des textes sur le même sujet il y a longtemps. La brochette de neuf thérapeutes mélange les Québécois «de souche» et d'autres nés à l'étranger. «On a ajouté la psychologue Rose-Marie Charest et le doc Mailloux, un incontournable», dit le journaliste.
Au total, les psys respectent plus ou moins la commande, certains passant par de longues digressions avant d'arriver au diagnostic demandé. Le Dr Pierre Mailloux, lui, reste fidèle à son personnage de clown blanc dans le circus quebecus. Il juge par exemple que la commission Bouchard-Taylor était «balisée d'une grande frilosité de discours» attribuée à «la collectivité matriarcale québécoise» qui a incorporé «beaucoup de valeurs féminines» dont il fournit la liste: «la censure, la répression, le contrôle, l'uniformisation, la soumission, l'hypocrisie, l'utilisation de moyens détournés, le non-dit, la susceptibilité maladive»...
Le vrai de vrai rapport de la Commission, chapeautant les neuf cents et quelques autres, est attendu avant la fin mai.


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