Avantage à l'anglais - La dynamique actuelle joue contre le français

La loi 101 vise à assurer au français un statut supérieur à l'anglais. Elle demeure loin d'atteindre son objectif.

Chronique de Charles Castonguay

Comparer le statut du français avec celui de l'anglais n'est pas nécessairement compliqué. Prenons la région de Montréal où la compétition entre les deux langues est la plus intense. Entre 2001 et 2006, le poids de la population de langue d'usage française y a chuté de 70,9 à 69,1 % tandis que le poids de celle de langue d'usage anglaise a légèrement augmenté, passant de 17,3 à 17,4 %. Le rapport du français à l'anglais sur ce plan a fléchi de 3 % en cinq ans. Dans l'île de Montréal, le recul est de 5 %.
Du point de vue démographique, le statut du français vis-à-vis de l'anglais défaille.
La cause principale de ce recul est le pouvoir d'assimilation démesuré de l'anglais. Pour le voir, comparons le statut du français et de l'anglais au foyer. Dans la région métropolitaine, l'anglais attire une majorité des allophones qui choisissent de parler une nouvelle langue à la maison. Il y existe aussi une anglicisation nette des francophones, de l'ordre de 20 000 anglicisés au foyer. De sorte qu'au recensement de 2006, la population parlant l'anglais comme langue principale à la maison compte 178 000 personnes de plus que celle de langue maternelle anglaise, comparativement à un gain correspondant de 124 000 nouveaux locuteurs usuels pour le français. Le rapport entre ces excédents revient à un ratio de 144 personnes additionnelles parlant l'anglais au foyer pour 100 parlant le français.
Étendons cette analyse élémentaire à d'autres domaines connexes.
Nous savons que la langue de travail est un puissant déterminant de la langue d'assimilation. Quel est en 2006 le bilan dans ce domaine où, davantage que dans l'intimité du foyer, le choix de la langue est contraint par un environnement à majorité francophone? Pour 250 000 travailleurs de langue maternelle anglaise, la région de Montréal compte 481 000 personnes qui travaillent principalement en anglais, ce qui représente un excédent de 231 000 utilisateurs additionnels. L'excédent correspondant pour le français est de 173 000. Cela revient à un ratio de 133 travailleurs additionnels anglicisés du point de vue de leur langue de travail, pour 100 francisés.
Nous savons également que la langue des études pertinentes à l'exercice d'un métier ou d'une profession a un lien indéniable avec la langue de travail. Voyons d'abord les études collégiales, domaine où l'idéologie canadienne du libre choix règne en maître.
En moyenne, durant les années 2004 à 2006, pour 4463 nouveaux inscrits de langue maternelle anglaise, le Québec a compté annuellement le double, plus exactement 9038, en nouveaux inscrits au cégep anglais. Cela représente un excédent annuel moyen de 4575 étudiants. Les chiffres correspondants pour le français sont de 38 570 inscrits francophones, langue maternelle, et un total quasi identique de 38 929 étudiants inscrits au cégep français, pour un excédent annuel de 359. Le ratio entre les excédents est de 1274 étudiants additionnels au cégep anglais pour 100 au cégep français.
C'est comme si la quasi-totalité des étudiants allophones choisissaient le cégep anglais. En fait, 54 % des allophones se sont inscrits durant ces années au cégep anglais, contre 46 % au cégep français. Ces derniers ne font cependant que compenser un nombre équivalent d'étudiants francophones qui s'inscrivent au cégep anglais.
Au total, donc, le libre choix ne profite qu'au cégep anglais. Cette information essentielle n'est nulle part mise en évidence dans tout ce que l'année 2008 nous a apporté comme bilan, étude, fascicule, rapport ou avis en provenance de l'OQLF, du Conseil supérieur de la langue française (CSLF) ou de la commission Bouchard-Taylor.
Et l'enseignement universitaire? Durant les années 2004 à 2006, l'excédent des étudiants dans les universités québécoises de langue anglaise en regard de leur clientèle «naturelle», de langue maternelle anglaise, est en moyenne de 24 074 par année, contre 9796 pour le français. Un ratio de 246 surnuméraires qui étudient en anglais pour 100 qui étudient en français.
Avantage à l'anglais, donc, aux études postsecondaires, au travail, au foyer et, maintenant, sur le plan démographique.
Il y a plus. En octobre 2007, le Comité de suivi à l'OQLF a approuvé pour publication une étude portant sur les attitudes linguistiques des Montréalais en 2004. Plus précisément, sur leur perception d'une personne qui parle français comparativement à une autre qui parle anglais. L'étude n'est pas parue avec les autres en mars dernier. Et le bilan de l'Office n'en dit pas un mot. Au creux de l'été, «Contribution à l'étude des perceptions linguistiques» de Mme Elke Laur est enfin parue comme «note méthodologique» dans le site Web de l'OQLF. Tout pour l'enterrer.
Cette analyse va pourtant au vif du sujet. Elle démontre qu'«en moyenne une personne va être évaluée plus favorablement si elle nous parle en anglais». Autrement dit, l'anglais détient encore à Montréal un statut social supérieur à celui du français.
«Vos fonctionnaires ne vous disent pas toute la vérité sur la situation du français», avais-je dit à Louise Beaudoin, ministre responsable de la Charte de la langue française. C'était à Québec en août 1996. Je présentais un mémoire sur un projet de loi modifiant la loi 101. J'y critiquais un bilan préparé par un comité mené par les directeurs de la recherche à l'Office et au Conseil de la langue française. Comité qui, avant de finaliser son bilan, avait «remercié» ses deux membres externes, Michel Plourde et Josée Legault.
Lucien Bouchard avait des problèmes à l'époque avec son miroir. Cela a finalement débouché sur le «bouquet de mesures» de Mme Beaudoin. Qui s'est vite fané.
Le gouvernement a changé depuis mais pas le contrôle politique de l'information sur la langue. Avant de finaliser le bilan de l'OQLF, on a remercié son comité de suivi. Ou «nettoyé la soue», dans le langage propre à France Boucher. Puis MM. Bouchard et Taylor ont appelé de leurs voeux un «train de mesures» pour renforcer la position du français. Le CSLF est ensuite accouru avec un avis qui recommande ce que la ministre responsable avait déjà annoncé. On a enfin scellé le tout avec un love-in gouvernemental-patronal exaltant l'approche incitative à la francisation de la langue de travail et une campagne de Fierté française.
À quand le défilé?
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Extrait d'Avantage à l'anglais. Dynamique actuelle des langues au Québec, paru récemment aux Éditions du Renouveau québécois.


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