Les Québécois, ces moutons

Livres - 2008


Selon l'auteur Christian Dufour, «le souci de bonne entente (avec les francophones) constitue manifestement la préoccupation prioritaire, alors que le français ne l'est pas». On est loin des manifestations monstres pour la défense de la loi 101, comme celle-ci à l'extérieur du centre Paul-Sauvé en décembre 1988. (Archives La Presse)


Plutôt que bêler à l'unisson en anglais à la première occasion venue, les Québécois, ces moutons, devraient cesser de penser qu'il faut absolument être «baaa-lingual» dans la vie, dit le chercheur Christian Dufour, qui lance ainsi un nouveau pavé dans la mare linguistique.
Le titre de cet essai tout frais: Les Québécois et l'anglais, le retour du mouton. Avec, sous le titre, une photo du mouton, qui dit: «Je suis baaa-lingual».
Quel est le problème? Outre le fait que les Québécois soient incroyablement fiers de leur personne quand ils savent à peu près bien parler anglais, le problème, c'est que les Québécois sont trop gentils et que ce n'est pas innocent, selon M. Dufour. «L'ouverture et la tolérance dont on parle toujours de façon élogieuse (...) sont en partie l'envers d'une malsaine abdication identitaire, manifestation la plus récente d'un atavisme de conquis», écrit-il.
Les plus moutons des moutons? Les jeunes, avance l'auteur, citant à cet égard une étude de mai 2008 du Conseil supérieur de la langue française selon laquelle ils sont vraiment très prompts à passer à l'anglais dans une conversation. «La perspective d'entrée en conflit avec un non-francophone ne plaît guère, surtout s'il s'agit d'un nouvel arrivant», écrit M. Dufour.
«Le souci de bonne entente constitue manifestement la préoccupation prioritaire, alors que le français ne l'est pas», écrit-il ailleurs.
Christian Dufour passe ensuite en revue les derniers moments forts de nos disputes linguistiques. La commission Bouchard-Taylor qui a refusé «de reconnaître leur droit d'aînesse aux francophones de souche dans la construction du Québec de demain»; Pauline Marois, dont l'anglais (moyen) est raillé; Pauline Marois qui, le temps d'une déclaration, a envisagé que soit enseignée la géographie aux enfants en anglais, etc.
Pour M. Dufour, il serait dangereux «que notre système d'enseignement s'oblige désormais à produire systématiquement des Québécois bilingues». Dangereux pour le fait français. Parce que si tout le monde est bilingue, pourquoi les immigrants se donneraient-ils la peine d'apprendre le français?
L'ex-premier ministre Bernard Landry approuve tout à fait la thèse principale de l'ouvrage. «Le bilinguisme, on en fait une obsession», se désole-t-il.
M. Landry, qui dit parler trois langues et qui dit que ses enfants sont presque tous trilingues aussi, estime que c'est là une richesse, mais que s'ils ne l'étaient pas, ils ne les considéreraient pas moins.
«J'ai beaucoup voyagé et j'ai rencontré quantité de Français ou de Chinois qui étaient vraiment très brillants et qui ne pouvaient s'exprimer que dans leur langue nationale» signale-t-il par ailleurs.
Il évoque aussi cette fois où, à Hong-Kong, il s'apprêtait à donner sa conférence en anglais, avant qu'on ne l'invite à le faire en français. Et vive la traduction simultanée.
L'anglais, oui mais...
Jean-François Lisée, ex-conseiller de Lucien Bouchard et de Jacques Parizeau et actuel directeur du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal, n'avait pas encore lu le pamphlet de Christian Dufour, hier, mais leurs idées convergent assurément. «La société n'a pas l'obligation de rendre tout le monde parfaitement bilingue», dit M. Lisée à son tour.
M. Lisée n'en demeure pas moins favorable à la mise en place de semestres intensifs d'anglais, dès le primaire. Il jugerait aussi à propos de fusionner les cégeps, pour que les deux tiers des cours de ce niveau se donnent en français et le tiers, en anglais. L'objectif: faire en sorte que l'élite puisse s'exprimer dans les deux langues.
Et l'élite, ça commence où? Au cégep? Oui, répond Jean-François Lisée, précisant que cela va de la personne qui fera une technique à cette autre qui exercera une profession.
Mais n'est-ce pas snob de prétendre que l'anglais, c'est bon pour l'élite, mais futile pour les autres? Non, répond M. Lisée, parce que rien n'empêche un jeune de 16 ans qui n'entend pas aller au cégep de prendre les moyens d'apprendre l'anglais, «mais ce n'est pas une responsabilité de l'État de veiller à ce que chacun, à 17 ans, soit bilingue».
À l'instar de M. Dufour, M. Lisée croit «que les Québécois ne sont pas complètement décolonisés». «Dans les institutions financières du centre-ville de Montréal, on retrouve la crème des jeunes. Des jeunes francophones parfaitement bilingues, qui travaillent avec des diplômés de l'Université Concordia tout aussi bilingues. Alors quand les francophones acceptent si volontiers de passer à l'anglais, ce n'est pas la faute aux anglophones, ni aux immigrants. C'est la faute aux francophones. C'est à eux de dire: '' Nous sommes à Montréal. Parlons français au bureau et réservons l'anglais pour nos conversations avec nos clients américains.''«
Colonisés? Non
Bill Johnson, ex-président d'Alliance Québec (lui aussi bilingue), s'étonne au contraire qu'un livre comme celui de Christian Dufour puisse paraître aujourd'hui. Colonisés, les Québécois? À une certaine époque, oui, dit-il. Colonisés, surtout, par l'Église catholique qui obligeait les gens à faire 12 enfants, réduisant d'autant les chances de chacun d'être instruits. Colonisés, aujourd'hui? Non. Mais «revanchards», oui, avec toutes ces lois linguistiques si contraignantes qui n'ont pas leur raison d'être, selon M. Johnson.
«Cachez ce sein que l'on ne saurait voir, cachez cet anglais que l'on ne saurait voir...», regrette M. Johnson.


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