Commandites: Chrétien était prêt à payer politiquement

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Livres - 2008



Joël-Denis Bellavance - (Ottawa) Jean Chrétien était prêt à encaisser les coûts politiques des allégations de malversations relativement au programme de commandites en 2003, mais il a tiré sa révérence plus tôt parce que son éternel rival Paul Martin brûlait d'impatience de prendre le pouvoir.
M. Chrétien a donc décidé de proroger la session parlementaire quelques jours avant que Paul Martin ne soit officiellement désigné chef du Parti libéral du Canada à Toronto le 14 novembre. La passation des pouvoirs a eu lieu le 12 décembre 2003.
Résultat : la vérificatrice générale Sheila Fraser n'a pu déposer son rapport accablant sur le programme de commandites en novembre 2003, comme prévu, parce que la session parlementaire avait été prorogée. Ce rapport, qui soutenait que près de 100 millions de dollars avaient été versés à des agences de publicité liées au Parti libéral sans justification raisonnable, a finalement été déposé le 9 février 2004. Le dépôt de ce rapport a provoqué une chute importante et immédiate des appuis au Parti libéral dans les sondages, notamment au Québec.
« M. Chrétien était prêt à affronter la tempête dans le dossier du programme de commandites. Mais les alliés de Paul Martin étaient trop pressés de le voir partir. Ils voulaient le pouvoir le plus rapidement possible », a confié à La Presse une source libérale digne de foi.
D'anciens proches collaborateurs de Jean Chrétien réfutent aussi les accusations de Paul Martin contenues dans son autobiographie qui paraîtra dans trois semaines.
Le Devoir a obtenu une version non corrigée de ce livre de 555 pages, intitulé Contre vents et marées, et a publié de nombreux extraits dans sa livraison d'hier. Dans son livre, Paul Martin règle ses comptes avec ceux qui, à son avis, l'ont empêché d'avoir le règne auquel il s'attendait depuis longtemps, toujours selon Le Devoir.
Un chapitre entier du livre porte sur le scandale des commandites. Selon Paul Martin, Jean Chrétien a voulu lui nuire en n'affrontant pas lui-même la tempête. Il l'accuse d'avoir retardé la publication du rapport de la vérificatrice générale jusqu'à ce que M. Martin le remplace à la tête du gouvernement. « J'étais en colère contre Jean Chrétien qui m'avait laissé cette bombe à retardement », affirme Paul Martin dans son bouquin.
« Soit parce qu'il craignait que son héritage ne fût entaché par le scandale des commandites, soit en raison de son aigreur à mon égard - il est seul à pouvoir trancher cette question -, il fit en sorte de retarder la publication du rapport de la vérificatrice générale jusqu'à ce que j'aie pris sa place au 24, Sussex. L'ironie de la situation dans cette triste affaire est que, plus tard, Jean Chrétien et les gens de son entourage critiquèrent sévèrement la manière dont je m'étais occupé du rapport de la vérificatrice générale, alors que lui et ses collaborateurs avaient délibérément choisi de rejeter sur moi la responsabilité de réparer ce gâchis », affirme M. Martin, toujours selon Le Devoir.
Mais Jean Pelletier, l'ancien chef de cabinet de Jean Chrétien, a rejeté hier ces accusations.
« Une fois qu'il (M. Martin) a été élu chef du parti le 14 novembre, (...) il s'est mis à bousculer M. Chrétien. Il faisait dire à M. Chrétien de s'en aller au plus sacrant. Il faisait passer ses messages par le Bureau du Conseil privé », a affirmé M. Pelletier.
« M. Chrétien a dit : «Je ne suis pas pour me mettre à ouvrir le Parlement et me faire tirer dans le dos, alors qu'il se débrouille, il veut le pouvoir il va l'avoir et il se débrouillera avec ce qu'il y a dans le dossier des commandites» », a ajouté M. Pelletier.
Il a affirmé que M. Chrétien aurait simplement remis le rapport de la vérificatrice générale à la GRC pour qu'elle mène des enquêtes. Pour calmer la grogne, Paul Martin a plutôt décidé de créer une commission d'enquête publique sur le scandale des commandites.
« Il aurait envoyé le rapport à la vérificatrice générale et à la police, il lui aurait dit : faites votre ouvrage. Martin a décidé de faire un show avec une commission d'enquête, et il s'est promené à travers tout le pays pour allumer le feu sur l'affaire des commandites. Tout ce qu'avait à faire Martin, c'était de recevoir le rapport et de le transmettre à police. (...) Mais il a voulu faire un show médiatique pour se distinguer de M. Chrétien », a dit M. Pelletier.
Il a précisé que des accusations avaient déjà été portées contre un des acteurs du scandale des commandites, Paul Coffin, lorsque M. Chrétien était encore premier ministre.
Dans son livre, Paul Martin écrit aussi que ses intentions ont souvent été mal interprétées par M. Chrétien. Les tentatives de renversement qu'on lui imputait n'étaient souvent, à son avis, que des maladresses. Paul Martin croit que l'une des décisions les plus inexplicables de Jean Chrétien a été de limiter à 5000 $ les sommes qu'un militant ou une entreprise peut verser à une formation politique. M. Martin considère que cela a entravé la marche du Parti libéral et a profité au Parti conservateur.
Les proches collaborateurs n'ont pas été impressionnés par les écrits de l'ancien ministre des Finances.
« On n'avait pas besoin de cette preuve additionnelle du mauvais jugement de Paul Martin qui a été un être hypocrite et déloyal et qui semble-t-il est toujours habité par un esprit de vengeance », a lancé Jean Pelletier.
Quant à Eddie Goldenberg, qui a été le bras droit de Jean Chrétien pendant presque toute sa carrière à Ottawa, il s'est contenté de dire : « Je n'ai pas lu le livre. Je pense que je vais peut-être commencer par le livre de Julie Couillard. Ce sera peut-être plus intéressant ! »
Avec William Leclerc et La Presse Canadienne.


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