L'essayiste Laurent Laplante pratique, depuis au moins une dizaine d'années, une sorte de journalisme d'enquête philosophique appliqué à de grands enjeux contemporains. Dans des méditations qui s'inspirent de l'actualité sans s'y réduire, il met en oeuvre une méthode d'analyse qui emprunte moins, explique-t-il, à la rigueur de la science politique qu'à «la phénoménologie chère au journalisme».
Dans La Démocratie entre utopie et squatteurs, il propose une «défense» de l'idéal démocratique, précédée d'une solide critique. «Exiger la clarté du diagnostic confine parfois à la cruauté, reconnaît-il. Exigeons-la pourtant. Sans la mise en exergue des malentendus qui anémient la démocratie, il n'est pas de réforme possible.» Dans cette entreprise, Laplante ne revendique pas le statut de spécialiste. «On percevra forcément, prévient-il, quelque chose d'échevelé et d'aventureux dans mes réflexions.» Le penseur, dont la vie est «absorbée par le journalisme, l'enseignement ou la littérature», voudrait se voir reconnaître un seul mérite, celui de cultiver le «désir entêté d'une société démocratique plus fidèle à son utopie et moins parasitée par les squatteurs et autres démagogues».
Au chapitre des «illusions et mensonges» qui dénaturent la démocratie, Laplante identifie l'inégalité des chances entre les options, causée par un traitement partisan de la carte et des listes électorales, par des financements souterrains et par une presse en panne de diversité. Il pointe aussi la perte d'influence des élus au profit du seul premier ministre (pas directement élu comme tel) et de conseillers non élus. «Si le député, écrit-il, ne peut plaider la cause du peuple auprès du pouvoir et doit endoctriner ses électeurs au lieu de les entendre, l'hypothèse s'affadit d'un gouvernement du peuple par le peuple.»
Très sévère à l'égard des médias qui n'assurent plus «la surveillance désirable», Laplante déplore, pour expliquer ce phénomène, la concentration de la presse, l'obsession du profit et la formation des journalistes, confondue avec celle des relationnistes. Le démarchage (lobbying) et le culte des sondages (qui atomisent le citoyen) s'ajoutent à cette liste de nuisances.
D'autres sources d'inquiétude, plus profondes encore peut-être, sont identifiées par Laplante. Il s'agit, notamment, de la soif de sécurité, bassement exploitée par des campagnes de peur pour justifier des mesures répressives ou médiocrement apaisée par des médias producteurs de réconfortants divertissements plutôt que de clés de compréhension du réel. Il s'agit, aussi, du règne de «l'épidermique», qui entretient l'incohérence et qui fait, par exemple, qu'«on professe un vif mépris pour les politiciens, mais [qu']on savoure leurs promesses les plus improbables». Ce qui inquiète surtout Laplante, toutefois, ce sont les «simplifications du populisme», qui tuent la réflexion, le recul critique et qui encouragent les «solutions radicales et instantanées» au nom du «bon sens», des «vraies affaires» et du «vrai monde» qui n'a rien à faire des «questions oiseuses» des intellectuels. Résultat: «L'individu moyen admet qu'il ignore tout du fonctionnement de son grille-pain, mais, à l'entendre, l'éthique n'a pour lui aucun secret. D'instinct, il sait l'insuffisance de la peine prononcée contre un pédophile.»
Le pluralisme et, par conséquent, la modération étant, selon lui, des critères démocratiques essentiels, le journaliste ne proposera pas de solutions simplistes et tranchantes visant à renouer avec l'idéal qu'il défend. Il suggérera néanmoins quelques pistes.
Il importe, écrit-il, de restituer aux mots leur sens et de chérir l'apport des intellectuels, dont les journalistes devraient faire partie, dans cette mission. «Que des squatteurs israéliens soient qualifiés de colons nourrit l'équivoque, explique-t-il par exemple. Que le terme de terrorisme noie la notion dans le flou artistique permet aux politiciens de dangereux assauts contre les droits fondamentaux. Qualifier d'insurgés les Irakiens qui se battent contre une armée d'occupation, c'est immensément bête et quotidiennement radio-canadien, mais qui s'en préoccupe?»
La démocratie, selon Laplante, devrait «valoriser à l'extrême l'absence d'extrémisme» et «chercher l'amélioré plutôt que le pointilleux idéal des principes désincarnés». En matière de mode de scrutin, par exemple, il faudrait sortir de l'alternative tranchée -- scrutin uninominal à un tour ou proportionnelle pure -- pour privilégier une solution mitoyenne, respectant à la fois le désir de stabilité et celui d'une plus juste représentativité.
Contre les démagogues
Heurté par l'hystérie engendrée par le débat sur les accommodements raisonnables, Laplante, favorable au concept, dénonce les «démagogues qui propagent une peur porteuse de rejet». L'affaire du vote des femmes voilées, à l'été 2007, confinait au délire et à «la peur d'avoir peur d'avoir peur». Le journaliste rappelle qu'«aucune -- aucune -- demande n'a été soumise par la communauté musulmane pour demander le vote malgré le voile. La volonté du vivre-ensemble, selon la formule de Georges Leroux, doit nous mener à développer, non pas une «cohabitation polie», mais un «pluralisme chaleureux», qui passerait par une laïcité acceptant «tous les symboles religieux, à la seule condition qu'aucun ne compromette la sérénité sociale ou ne relève de l'intimidation».
Le jugement très sévère -- trop, à mon avis -- que Laplante réserve aux médias, détournés de leur mission par la concentration et le mercantilisme, l'amène à plaider pour un enseignement de la langue de ces derniers afin «d'aider le peuple à se soustraire au conditionnement médiatique». L'avenir d'une démocratie en santé, finit-il par clamer, ne passe justement pas par une obsession de la santé, mais par l'éducation, qui détermine tout le reste.
Parfois surstylisé et légèrement décousu, cet essai offre néanmoins un solide parcours réflexif sur la plus nécessaire de toutes les utopies.
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La démocratie entre utopie et squatteurs
Laurent Laplante
Multimondes
Québec, 2008, 136 pages
"La Démocratie entre utopie et squatteurs" - Laurent Laplante
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