Le juge Antonio Lamer, alors qu'il était juge en chef de la Cour suprême. (Photothèque Le Soleil)
On écrit que le juge Antonio Lamer était un défenseur «de la dignité de la personne humaine» ou «des droits individuels». Il faut aussi rappeler ses commentaires, en rapport à la redéfinition du mariage civil, qui témoigne de son désenchantement face à la tournure néfaste dans laquelle s'engage la définition des droits. C'est comme si nous étions passé du côté des exagérations et de la perte du contact avec la réalité et le sens commun.
Bien sûr, il faut reprocher aux politiciens d'avoir abdiqué leurs responsabilités en adoptant une Charte qui transfert à des juges leur pouvoir de décision — ce qui est une atteinte à la démocratie, c'est-à-dire au droit fondamental des citoyens de faire eux-mêmes des choix de société et d'exercer le pouvoir législatif par l'entremise de ceux qu'ils élisent — et d'avoir utilisé des termes vagues et généraux permettant les dérapages et les aberrations que nous constatons aujourd'hui.
Toutefois, les propos du juge Lamer (entrevue au journal Les Affaires le 15 décembre 2001) démontre que le tournant historique aura été la redéfinition du mariage civil permettant son ouverture à des partenaires de même sexe (qu'on ne peut appeler «couple» car ce dernier réfère à l'accouplement et à la conjonction entre le mâle et la femelle d'une espèce animale). Le mariage est une institution sociale, une institution publique, qui dépasse les individus et, tel que l'affirme le juge Lamer, «il ne faut pas s'énerver parce qu'on a reconnu aux homosexuels le droit à certains avantages sociaux. Cela ne veut pas dire (…) qu'on soit d'accord avec le droit de se marier, d'adopter des enfants. Il ne faut pas commencer à démantibuler les institutions sociales».
Exemples de dérapages
C'est le meilleur exemple des dérapages et des aberrations occasionnées par la présence de la Charte. Il doit y avoir une modulation entre les droits collectifs et les droits individuels et le questionnement sur le mariage a démontré la difficulté du droit actuel de fonder une théorie de la justice équilibrée. Prisonnier d'un cadre de pensée individualiste rigide, les juges ont oublié que le mariage fait partie avant tout du domaine collectif et il est moins un droit ou un statut octroyé à une personne qu'une règle de sens commun qui prend sa source dans la nature des choses.
En définitive, il y a des vérités et des normes permanentes et invariables qui existent au-dessus des phénomènes d'époque et qui ne doivent pas être affectées par ces derniers. Ce sera la plus grande erreur des «chartistes» d'avoir perdu contact avec la réalité et d'avoir fait de l'individu le centre de toute chose. Toutes les questions qui se posent dans une société ne peuvent être isolées et réduites au seul espace occupé par l'individu où celui-ci a tous les droits et ne peut qu'être victime d'exclusion et de manque de respect (voir la dissidence de la juge L'Heureux-Dubé dans Egan [1995] 2 RCS 567) s'il y a interférence de l'autre ou de la communauté.
Il n'y a pas de doute que dans une centaine d'années, et même bien avant, on s'interrogera sur les aberrations et les dérapages qui auront été les conséquences de la présence des Chartes de l'individualisme. Et les juristes et historiens qui liront le libellé de ces documents qui ne seront plus que des pièces d'archives se demanderont avec étonnement comment on en est venu à un tel résultat. Dans l'intervalle, il faut espérer que les prochaines générations apprendront rapidement de nos erreurs et répondront au défi de nos sociétés qui consiste, comme le soulève un autre juge de la Cour suprême du Canada, Charles D. Gonthier, dans une entrevue à Alain-Robert Nadeau (Journal du Barreau, 1er octobre 2003), à tracer les limites entre les droits individuels et les droits collectifs.
Le juge Gonthier précise que ce grand défi «est celui de savoir où il faut fixer la ligne de démarcation entre les libertés et les responsabilités, c'est-à-dire les contraintes que l'on doit accepter; il faut se demander jusqu'à quel point on doit laisser le choix à la conscience individuelle. (...) Je pense qu'il est nécessaire d'avoir un certain encadrement. Nous en avons un, mais je crois que le risque que nos sociétés courent, le défi qu'elles ont, c'est la conscience des responsabilités. L'obligation vis-à-vis des générations futures».
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Me Martin Dion
Avocat, Québec
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