Rwanda

Quand la justice doit « tout faire pour obtenir une condamnation »!

Questions de société

J’ai lu avec intérêt la série d’articles parus sous la plume de Madame Hachey dans La Presse du 16 au 18 novembre derniers et qui ont trait à la problématique de la traque et du jugement des criminels de guerre présumés, dont des ressortissants rwandais, et qui se cacheraient au Canada. La journaliste de La Presse rapporte la déception de ses interlocuteurs qui regrettent que les moyens alloués par le gouvernement pour rechercher et traduire ces criminels présumés devant la justice sont nettement insuffisants. Faute de ressources, constatent-ils très amers, on se contenterait de les expulser sans les juger.
En effet cela a failli être le cas pour M. Victor Ndihokubwayo, suspecté d’avoir participé au génocide rwandais. Dans sa livraison du 9 octobre dernier, le journal « The Globe and Mail » a consacré sa « une » au cas Ndihokubwayo. Il y est décrit le cauchemar enduré par le suspect et sa famille 18 mois durant et qui a failli déboucher sur une tragédie personnelle et familiale étant donné que l’extradition équivaut à conduire le concerné tout droit à une mort certaine.
Dans une dépêche datée du 29 août 2007, la Presse Canadienne rapportait que « Selon son avocat, Lorne Waldman, l'inspecteur Poudrier et l'Agence des services frontaliers du Canada ont supprimé des témoignages qui auraient pu aider à faire acquitter son client. D'autres témoignages auraient été volontairement écartés de l'examen du tribunal. Le 17 août dernier, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada acquittait l'individu et lui permettait de demeurer au Canada ». Voilà une fin heureuse et qui est tout à l’honneur du système judiciaire canadien. Pour l’heure, M. Ndihokubwayo a entrepris des poursuites contre la GRC.
Je partage donc l’opinion des invités de Madame Hachey lorsqu’ils réclament plus de moyens afin que ces criminels présumés soient traduits devant la justice. Comme il se doit dans un pays de droit comme le Canada, ces moyens seront également indispensables pour garantir aux accusés de pouvoir assurer leur défense.
Effectivement, le cas de M. Ndihokubwayo confirme la difficulté pour la GRC à mener des enquêtes au Rwanda comme le souligne le professeur François Crépeau mais démontre en plus que les enquêteurs eux-mêmes, sans doute sommés d’obtenir des résultats, ne sont pas toujours à l’abri de "bavures" et de manipulations de la part du gouvernement rwandais: l’existence de "syndicats de délateurs" est un fait patent au Rwanda du général Paul Kagame qui accuse tout opposant, réel ou imaginaire, de génocidaire quand il est hutu et de voleur quand il est tutsi. La stratégie de Kagame est de continuer à culpabiliser les occidentaux pour « n’avoir pas été là » au moment du génocide. Cela lui permet ainsi d’exploiter à son avantage remords et compassions sciemment entretenus dans divers médias. Certaines personnes, – loin de se douter de leur instrumentalisation –, croient se racheter en embarquant corps et âmes dans la traque des présumés génocidaires désignés par Kagame et son FPR qui eux-mêmes sont accusés de crimes de génocide.
Si le génocide rwandais est un fait indéniable, il faut reconnaître cependant que la communauté internationale a manqué de volonté pour démasquer et punir les véritables commanditaires. Des initiatives d’enquêtes dans ce sens ont été abandonnées sans qu’on ne sache exactement pourquoi. De même certaines enquêtes ont été mises soit sous embargo soit tombées dans les oubliettes. On se rappellera par exemple qu’un rapport du centre canadien « Droits et démocratie », organisme créé par le parlement canadien, a conclu à un génocide commis à l’endroit des réfugiés hutus au Zaïre par l’armée de Kagame en 1998. Depuis, plus rien!
Parlons un peu de ces listes de présumés génocidaires, dressées par Kigali et remises à Interpol et à différents pays.
- La liste initiale date de 1994 et comporte les noms de 428 personnes dont certaines étaient mortes avant 1990 et d’autres avant 1994 c’est à dire avant le génocide. On y retrouve même des victimes du FPR d’avril 1994.
- Des personnalités figurant sur la liste occupent des postes importants dans la fonction publique. C’est le cas de Boniface Rucagu, l’actuel gouverneur de la Région du Nord, Justin Munyemana, ex-Conseiller du Ministre de la Santé, Joseph Mporanyi, Sous-Préfet, etc.
- La liste sortie en 2001 comporte 2898 noms. On remarque que 36 noms ont été retirés depuis la liste précédente tandis que 801 noms y ont fait leur apparition. Par exemple Pierre Célestin Rwigema, ancien premier Ministre du gouvernement FPR pendant 5 ans, figure en bonne place au n°2279, depuis sa fuite vers les Etats-Unis.
(Source : [www.Musabyimana.be->www.Musabyimana.be]; Les listes du FPR : un fléau)
L’ironie du sort est que c’est sur ces listes farfelues que certains pays, dont le Canada, se sont basés pour refuser l’asile politique à des ressortissants rwandais.
Dans ce contexte, l’expulsion paraît donc comme une mesure de compensation à l’endroit du général Kagame qui agite l’épouvantail du génocide chaque fois qu’il est accusé de crimes contre l’humanité ou encore de dictature.
Ayant longtemps réclamé à cors et à cris qu’on lui remette les prisonniers et les génocidaires présumés actuellement jugés par le TPIR à Arusha, Kigali a déclaré avoir aboli la peine de mort et donc du coup fait tomber le dernier obstacle dans le seul but de se faire remettre sur un plateau d’argent, parfois des criminels, oui, mais plus souvent des innocents qui n'ont pour seul crime que celui d’être des opposants potentiels à son régime ethnisme et dictatorial.
Après avoir abandonné les rwandais à leur triste sort en 1994, aujourd’hui « la communauté internationale » se défile, une fois de plus, derrière un alibi fallacieux, à savoir que le Rwanda vient d’abolir la peine de mort! On serait tenté d’applaudir des deux mains s’il ne s’agissait en réalité que d’une supercherie de plus destinée à la consommation extérieure. L’abolition de la peine de mort n’a aucun sens dans un pays où les fréquentes exécutions sommaires sont toutes attribuées au banditisme.
Pour toutes ces raisons, il serait irresponsable d’accréditer l’idée que les enquêtes coûtent cher et qu’il faut dès lors se débarrasser purement et simplement des présumés criminels plutôt que de les juger au Canada. Le cas Ndihokubwayo justifierait à lui seul l’impératif de réunir les moyens nécessaires à l’accomplissement de cet acte ô combien salutaire.
Mais, là où je ne rejoins pas le Professeur Crépeau, c’est quand il veut tout faire « pour obtenir une condamnation »! Voire d’un innocent, serait-on tenté de compléter. Ne serait-il pas plus juste de tout faire pour punir les criminels avérés et aussi d’en faire autant pour sauver les innocents?
Faustin Nsabimana, président

Assemblée des Rwandaises et Rwandais de Montréal (ARM)
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En complément
Durs temps pour les tyrans
Isabelle Hachey
La Presse

Le vendredi 16 novembre 2007
Mao et Staline sont morts paisiblement dans leur lit. Idi Amin Dada, dictateur sanguinaire de l'Ouganda, a vécu un exil confortable en Arabie Saoudite. Seigneurs de guerre, miliciens et autres bourreaux ont longtemps coulé de beaux jours au nom de la réconciliation. Mais les temps changent pour les tyrans. Depuis une décennie, le bras de la justice internationale prend du muscle.

C'est peut-être l'arrestation d'Augusto Pinochet à Londres, en 1998, qui a tout déclenché. La Chambre des lords avait alors approuvé son extradition en Espagne, qui l'accusait d'avoir usé de la torture durant son règne au Chili. Pour la première fois, l'impunité d'un ancien chef d'État était levée par un tribunal national. Dès lors - et même si le vieux général, mort l'an dernier, n'a finalement jamais été jugé - les tyrans ne pouvaient plus se considérer à l'abri d'accusations de crimes contre l'humanité.
C'est peut-être aussi la mise sur pied de la Cour pénale internationale, qui commence tout juste à entendre sa première cause - celle d'un seigneur de guerre congolais. Ou l'arrestation du président de la Serbie, Slobodan Milosevic, premier chef d'État en exercice à être accusé (par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie) de crimes de guerre depuis la Deuxième Guerre mondiale. Toujours est-il que les arrestations, poursuites et requêtes en extradition se multiplient, du Pérou au Cambodge, en passant par l'Argentine, l'Uruguay et le Rwanda.
«Plusieurs tabous ont sauté récemment, dit François Crépeau, professeur de droit international à l'Université de Montréal. On a l'impression que les conditions ont été mises en place pour qu'on puisse croire à une justice internationale, pour qu'on puisse juger les criminels de guerre qui se seraient infiltrés dans tel ou tel pays. Le contexte politique est désormais beaucoup plus favorable.»
Dans les années 90, la mode était aux commissions vérité et réconciliation. La justice était alors reléguée au second plan; il était plus important de mettre fin aux atrocités que de punir ceux qui les avaient commises.
«En Amérique latine, plusieurs dictatures ont bénéficié d'amnisties, explique M. Crépeau. C'est ce qui fait que, dans la rue, des victimes pouvaient rencontrer leurs tortionnaires. Certaines commissions vérité et réconciliation n'ont pas osé nommer de noms, comme au Guatemala. C'est d'ailleurs une des raisons de l'échec de la paix dans ce pays. La violence au Guatemala en ce moment est à peu près équivalente à celle du temps de la guerre civile.»
Les amnisties accordées jadis sont maintenant contestées devant les tribunaux, voire carrément annulées, comme en Argentine. Même la célèbre Commission vérité et réconciliation d'Afrique du Sud n'a pas réussi à balayer trois décennies d'apartheid sous le tapis de l'histoire. En août, le procès d'Adrian Vlok, ministre très redouté de la Loi et l'Ordre de l'ancien régime raciste, s'est ouvert à Pretoria. D'autres procès devraient suivre.
Il faut agir. Non seulement pour apaiser les victimes, mais aussi pour prévenir d'autres tueries et assurer une paix durable, dit M. Crépeau. «On s'est rendu compte que, finalement, supprimer la justice pour assurer la paix, ça ne fonctionne pas.»
- source

Squared

Faustin Nsabimana1 article

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Faustin Nsabimana, président

Assemblée des Rwandaises et Rwandais de Montréal (ARM)





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