Le syndrome de la «baboune»

Commission Castonguay



Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, quand vous allez chez le dentiste, tout le monde est poli, gentil et souriant, mais que si vous allez à l’hôpital ou dans un CLSC, vous avez de grandes chances de tomber sur quelqu’un qui ne vous regardera même pas ou qui vous fera la « baboune » ?

La réponse est d’une simplicité absolue. Si vous n’êtes pas satisfait de votre visite chez le dentiste, vous risquez d’aller ailleurs. Pour conserver sa clientèle, un dentiste, ou un physiothérapeute, ou n’importe quel professionnel payé par le client, doit offrir le meilleur service possible. C’est la base de la logique du marché. Et ce n’est jamais de cela que l’on parle lorsqu’on aborde la question du privé en santé.
Ce n’est pas seulement une anecdote. Cela met en relief une des principales lacunes de notre système de santé, l’absence de concurrence. On peut corriger ce problème en développant des activités privées en santé. Mais les grands progrès viendront quand on réussira à introduire des mécanismes de concurrence à l’intérieur du système public lui-même.
Tout cela repose, en fait, sur une caractéristique assez universelle du comportement humain. Les gens ont en général tendance à se dépasser, à faire mieux, à se forcer quand ils y sont poussés, par la menace ou par la récompense. Ça s’applique aux étudiants, aux travailleurs, aux entreprises et aux institutions. Par exemple, il n’y aurait sans doute pas eu de programmes internationaux dans les écoles publiques si celles-ci ne s’étaient pas senties menacées par les écoles privées. Ou à l’inverse, si le service d’Air Canada est abominable, c’est que la société est en situation de monopole et qu’elle n’a pas à se forcer.
En santé, les institutions sont des monopoles, et le jeu de la menace et de la récompense ne s’applique pas. Vous n’aimez pas l’accueil qu’on vous fait dans un hôpital ? Vous n’avez pas vraiment le choix. Même dans un groupe de médecine familiale, qui est privé, les listes d’attente sont telles pour des médecins de famille qu’il n’y a pas de pression pour garder les clients ou en solliciter.
Mais c’est en fait pire que cela. Un hôpital n’a aucun avantage à ce que vous le choisissiez plutôt qu’un autre. Les établissements de santé sont financés sur une base historique. S’ils attirent de nouveaux patients, ils n’obtiennent pas un sou de plus. Et donc, un nouveau patient est plus un problème qu’autre chose, il sollicite des ressources limitées et exerce une pression additionnelle sur les coûts. Autrement dit, une administration hospitalière qui déciderait d’innover, de travailler l’accueil, de réduire les attentes et d’améliorer les soins, tant et si bien qu’elle attirerait une clientèle nouvelle, se dirigerait tout droit vers l’étranglement financier.
Il y a, dans les recommandations du groupe de travail présidé par Claude Castonguay, des mesures pour corriger cette aberration. Des mesures plus importantes que la TVQ et que le ministre Philippe Couillard s’est empressé d’accepter. Et qui consistent à abandonner le mode traditionnel de financement des établissements sur une base historique pour introduire la méthode d’achat de services. Les agences régionales achèteraient une certaine quantité de services aux cliniques, aux hôpitaux, tant de patients en clinique, tant de places d’hébergement.
Et cela introduit trois éléments. D’abord, cela forcera les établissements à accroître leurs efforts d’efficacité pour faire la meilleure offre possible, en matière de qualité et de coûts. Ensuite, de la concurrence entre établissements pour décrocher ce qui ressemble à des appels d’offres. Enfin, une récompense, puisque les établissements seront financés en fonction du volume de services, car l’argent suivra le patient. La méthode, qui inverse complètement la logique de financement, sera testée rapidement dans trois projets-pilotes, en Estrie, à Québec et au Saguenay.
L’introduction de la concurrence au sein du secteur public est beaucoup plus importante que l’élargissement du secteur privé. Mais celui-ci, à plus petite échelle, peut jouer le même rôle, accroître la concurrence, servir de soupape et d’aiguillon. Par exemple, l’entente avec la clinique privée Rockland MD pour abriter des opérations de l’hôpital du Sacré-Cœur, dans un cadre public et gratuit, permet de réduire les listes d’attente, le rôle de soupape. Mais cette entente soulève aussi une question : pourquoi est-il plus intéressant de faire ces interventions dans cette clinique plutôt qu’à l’hôpital où les salles d’opération sont vides ? Ça, c’est l’aiguillon.
Mais je reviens à mon point de départ. Dans ce débat, trop cristallisé sur le privé, anormalement exalté, on parle de valeurs, de principes, de système, mais à peu près jamais des gens, de leurs besoins, des soins qu’on leur prodigue, de choses simples, mais essentielles, comme l’importance d’un sourire.


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