Des syndiqués issus du milieu de la santé manifestent devant l'hôtel où Claude Castinguay livre une allocution. (Photo Patrick Sanfaçon, La Presse)
Denis Lessard et Tommy Chouinard - La fin de non-recevoir catégorique du gouvernement Charest quant au scénario d'une hausse de la taxe de vente pour financer la santé a stupéfait les membres de la commission Castonguay.
Québec a tout simplement fait volte-face et sabordé une solution qu'il avait lui-même mise de l'avant, ont indiqué des sources proches de la préparation de ce rapport. «J'étais d'autant plus surprise que c'est le gouvernement qui nous avait demandé de faire cette proposition», a dit Johanne Marcotte dans une entrevue à La Presse hier. La membre choisie par l'ADQ dans le comité de réflexion sur le financement de la santé précise même que le ministre de la Santé, Philippe Couillard, lors d'une rencontre avec les trois commissaires - MM. Claude Castonguay, Michel Venne et Mme Marcotte - avait lui-même ouvert cette porte d'une hausse de la taxe de vente. «C'était en juillet, au tout début de nos travaux, M. Couillard était l'une des premières personnes qu'on ait rencontrées. Il est allé jusqu'à suggérer que le gouvernement puisse faire une caisse capitalisée financée avec un point de TVQ», a expliqué Mme Marcotte.
«Couillard avait ouvert là-dessus (une hausse de la TVQ) sans en faire une recommandation explicite», a confirmé une autre source.
En janvier, d'ajouter Mme Marcotte, Claude Castonguay - comme cela se fait normalement, «en bon président de comité» - avait rencontré M. Couillard et la ministre des Finances et présidente du Conseil du Trésor, Monique Jérôme-Forget, à quelques jours de la rédaction finale du rapport. «Il est revenu en disant que les deux ministres voulaient un scénario avec un point de TVQ.»
«La déclaration de M. Couillard, je ne la prends pas du tout. C'est pas pour rien que les gens sont cyniques à l'égard des politiciens. Tout ça aura été une mise en scène», lance Mme Marcotte. Jusqu'à cette rencontre avec les deux ministres en janvier, la commission Castonguay privilégiait une hausse d'un demi-point de la TVQ, qui nécessitait une franchise plus élevée, explique-t-elle.
Michel Venne a refusé, de son côté, de commenter les révélations de Mme Marcotte, mais a dit lui aussi «avoir été très surpris de la position du gouvernement sur la taxe, surpris du fait qu'elle ait été rejetée d'emblée».
D'autres sources, témoins aussi des travaux de la commission Castonguay, ont corroboré la version de Mme Marcotte. Désavoué la veille, Claude Castonguay était clairement furieux encore lorsque nous l'avons joint chez lui hier matin, et n'a pas voulu commenter. Devant la chambre de commerce de Montréal, le midi, il avouait avoir été «déçu» de la fin de non-recevoir du gouvernement.
C'est le troisième rapport que le gouvernement Charest passe à la trappe tout de suite après son dépôt. Les conclusions d'un groupe dirigé par Robert Gagné sur les régions ressources et celles du comité Pronovost qui préconisait la fin du monopole de l'UPÀ en agriculture ont été évacuées avec la même rapidité dans les dernières semaines.
«Je savais les réticences que Mme Jérôme-Forget pouvait avoir. Je savais les réticences que M. Couillard pouvait avoir», s'est contenté de dire M. Castonguay. Aux Finances l'automne dernier, on planifiait clairement sur la base d'un scénario où Québec récupérait le point de TPS que libérerait Ottawa. Mais le fédéral avait bougé plus vite que ne s'y attendait le gouvernement Charest et on n'avait pas osé combler, sans justification, l'espace fiscal.
Hier, à l'entrée de la réunion du Conseil des ministres, la titulaire des Finances, Monique Jérôme-Forget, a soutenu que jamais elle n'avait même jonglé avec l'idée de hausser la TVQ. Dès la formation du groupe de travail, le gouvernement avait prévenu M. Castonguay qu'il refuserait d'augmenter cette taxe pour juguler l'hémorragie financière du système de santé, a-t-elle soutenu. «M. Castonguay a su, depuis le jour 1, que nous n'allions pas de l'avant avec la TVQ. Je peux vous garantir ça. C'est moi qui lui ai dit.»
On était bien plus nuancé au cabinet de Philippe Couillard. La porte-parole de ce dernier, Isabelle Merizzi, a expliqué que «M. Couillard a rencontré le comité cet été et M. Castonguay plus tard (en janvier dernier). Les membres du comité avaient des scénarios, la TVQ en faisait partie, mais ils étaient prévenus que le gouvernement aurait ultimement à choisir parmi les propositions.»
Mme Jérome-Forget a soutenu hier que, lors de la rencontre de janvier, constatant que l'idée d'une hausse de la TVQ est toujours présente dans les recommandations, elle avait elle-même suggéré de la modifier, pour la rendre plus acceptable.
«C'est clair qu'on n'a pas donné (notre accord à une hausse de la TVQ). Quand ils nous ont proposé le rapport, il y avait une franchise très élevée pour les patients qui consultent un médecin. On a dit: écoutez, si vous voulez faire une proposition comme ça, vous êtes mieux de mettre la TVQ à 1% plutôt qu'à 0,5% parce que la franchise était» (trop élevée). Il y avait toujours une augmentation de la TVQ» dans le rapport Castonguay, a-t-elle expliqué. Mais elle a réitéré que le gouvernement avait déjà écarté cette option.
Elle a expliqué que le gouvernement n'a pas tenté de convaincre le groupe de travail de retirer sa proposition controversée «parce que c'est son rapport», «parce que ce n'est pas le nôtre». «M. Castonguay tenait beaucoup à la TVQ.»
Comme son collègue Philippe Couillard, Monique Jérôme-Forget a rejeté toutes les propositions du rapport Castonguay sur de nouvelles sources de revenus visant à financer le système de santé. Et elle n'est pas favorable d'emblée à l'idée de confier au privé la gestion des hôpitaux, ni à celle de revoir le panier de services couverts par l'État.
Même si elle rejette les principales recommandations du groupe de travail, pour lequel elle a dépensé 500 000$, Mme Jérôme-Forget assure que «le rapport Castonguay va vivre, va survivre».
La ministre appuie, comme le ministre Couillard, les recommandations visant à augmenter la productivité du système de santé: donner plus d'autonomie aux établissements, fusionner des agences régionales, adopter un nouveau mode de financement des établissements (par achat de services).
Selon elle, une augmentation de la productivité entraînerait des économies importantes. Elle entend réduire la croissance annuelle des dépenses du gouvernement en santé de 6% à 4%, comme le propose le rapport Castonguay. Mais Québec prendra plus de temps pour y parvenir que prévoit le groupe de travail. «Lui propose que d'ici cinq ans on soit capable de diminuer de 6% à 4%. J'estime que c'est court. Moi, je dirais que c'est sept à huit ans. «
Avec la collaboration d’Ariane Lacoursière.
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