Une pensée binaire qui occulte l'innovation coopérative

Commission Castonguay



Le rapport Castonguay a ramené une fois de plus le débat sur la santé sans pour autant relever le niveau de la réflexion. Une fois de plus, on ressasse les vieilles idées entre les tenants de la privation opposés à ceux qui sont en faveur d'un système public, comme si on était incapable d'en sortir. Encore une fois, avec l'idée lancée par le rapport des cotisations annuelles pour les cliniques de première ligne, idée empruntée aux coopératives de santé, on applique au privé une solution sortie de son contexte coopératif. Mais sommes-nous capables de suffisamment de nuances pour enfin ouvrir sur des chemins non fréquentés à ce jour, seule condition pour innover?
Dans le contexte actuel, la coopérative de santé est menacée d'une interprétation erronée, associée à tort à la privatisation du système de santé, ce qu'elle n'est assurément pas. Loin de là, les coopératives de santé constituent au contraire un modèle de prise en charge par les citoyens de leur santé, en ce sens que les communautés y sont désormais engagées, qu'elles sont décisionnelles dans le maintien de leurs services tout en contrôlant collectivement les orientations et la gestion de leurs services de santé de première ligne.
Les communautés qui se dotent de coopératives de santé refusent de se départir des services de base en santé et manifestent une volonté ferme de décider des services qu'elles veulent se donner en fonction de leurs réalités particulières. Surtout, les citoyens réunis en coopératives de santé sont déterminés à demeurer dans leur milieu de vie. Les plus patients des promoteurs locaux arrivent alors à arrimer leurs demandes spécifiques de services avec la complexité du réseau de la santé en mettant en place leur coopérative de santé.
Ces coopératives sont une trentaine au Québec qui correspondent à un partenariat de la communauté avec des médecins et autres professionnels de la santé auxquels s'ajoute un ensemble d'activités. Soutenus par la communauté qui gère les activités de leur propre clinique, les médecins peuvent désormais faire ce pour quoi ils ont été formés: pratiquer la médecine. Pour leur part, les citoyens-membres d'une coopérative de santé y trouvent leur compte. Ils maintiennent un service de santé accessible, avec une autonomie décisionnelle et des services qui collent à leur réalité et à leurs besoins, pour assurer l'avenir de leur milieu de vie.
Condamnés à innover
Alors qu'en 2003, on comptait à peine quatre coopératives de santé, on en dénombre une trentaine en 2008. Le contexte actuel n'est pas étranger à cette nouvelle réalité. En effet, rappelons qu'avec l'avènement de l'assurance-maladie au début des années 70, naissaient les cliniques privées administrées par des médecins. Depuis, elles ont répondu à 80 % des services de première ligne au Québec.
Or, ces cabinets privés sont passés de 1250 qu'ils étaient en 2000 à 840 en 2005; une diminution de près du tiers. Cette situation ne s'explique pas uniquement par la pénurie de médecins ou par les offres des magasins grandes surfaces faites aux professionnels de la santé pour qu'ils s'établissent et se concentrent dans les agglomérations. D'une part, la gestion trop accaparante des affaires d'une clinique, le casse-tête administratif pour gérer les programmes et, d'autre part, une volonté des médecins de s'investir à la pratique médicale dans un milieu de vie de qualité, sont, entre autres choses, des facteurs explicatifs.
À cela s'ajoute la féminisation de la médecine. Près de 50 % des médecins actuels sont des femmes alors que le taux d'étudiantes en médecine approche 75 % actuellement. Le nombre d'heures de travail est fonction d'un choix de vie centré sur un plus grand équilibre entre le travail et la famille et une volonté d'accroître la qualité de vie.
Décentralisation
La coopérative facilite la pratique médicale en rendant disponibles des locaux et des équipements adéquats, en assurant la gestion du personnel et de certains programmes de santé, en permettant une pratique dans un cadre de vie intéressant. Les médecins y sont toujours rémunérés par la RAMQ alors que les citoyens réunis en coopérative gèrent le fonctionnement en impliquant les travailleurs et les professionnels de la santé. Pour la majorité d'entre elles, ces cliniques sont occupées par des médecins et différents professionnels de la santé; physiothérapeute, ergothérapeute, psychologue, etc.
S'arrime à cela l'adoption par l'État d'un Programme national de santé publique 2003-12 qui met l'accent sur une décentralisation des services de santé au niveau régional. L'objectif est de donner un rôle de premier plan aux communautés dans l'amélioration et le maintien de la santé des personnes. Ce programme cherche à intégrer toutes les ressources en santé pour en rendre l'accessibilité plus facile aux citoyens, en plus d'établir des liens entre les différents secteurs sur une base territoriale. Cela a facilité le dialogue entre les instances gouvernementales et les communautés.
La prise en charge de la santé
L'Organisation mondiale de la santé établit une relation directe entre l'état de santé d'une personne et le pouvoir de décider de sa vie et de son devenir. Vivre des liens significatifs, ne pas être isolé, pouvoir prendre part à la définition des services de santé que l'on veut, agir ensemble pour maintenir un service de proximité essentiel, savoir qu'il y aura un lendemain pour sa communauté d'appartenance. N'est-ce pas là le début de la prévention de la maladie? C'est aussi ce que permet la coopérative de santé.
Une condition demeure essentielle pour repenser le système de santé et sortir des problèmes qui perdurent. Il faut que nous reconsidérions nos vieux paradigmes en commençant dès maintenant à regarder la réalité avec d'autres lunettes que celles qui nous enlisent constamment entre le privé et le public. Car l'essentiel du débat ne réside pas à ce niveau. Il réside plutôt dans notre capacité à ouvrir sur des chemins non fréquentés à ce jour.
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Marie-Joëlle Brassard, Directrice de la recherche et du développement au Conseil québécois de la coopération et de la mutualité


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